🦅 Propagande sous Napoléon : l’invention de la communication politique moderne

🎯 Pourquoi la propagande sous Napoléon est-elle emblématique en histoire ?

Lorsqu’on évoque la propagande sous Napoléon, on touche aux racines mêmes de la communication politique moderne et de la gestion de l’opinion publique par un chef d’État. Bien avant les réseaux sociaux ou la télévision, Napoléon Bonaparte a compris, dès ses premières campagnes en Italie, que le pouvoir ne se gagnait pas seulement par les armes, mais aussi par les mots et les images. Il a mis en place un système de contrôle total, allant de la censure de la presse à la glorification artistique, pour transformer un général talentueux en une figure quasi divine, créant ainsi une « Légende » qui perdure encore deux siècles plus tard.

🗂️ Dans cet article, tu vas découvrir :

👉 Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre comment le jeune Bonaparte a commencé à sculpter sa propre statue dès ses premières victoires.

🧭 La genèse du mythe : du général Bonaparte au Premier Consul

📌 L’apprentissage de la communication en Italie (1796-1797)

La propagande sous Napoléon ne commence pas avec le sacre de 1804, mais bien plus tôt, sur les champs de bataille de la campagne d’Italie. En effet, le jeune général Bonaparte, à peine âgé de 27 ans, saisit immédiatement l’importance de raconter sa propre histoire pour ne pas laisser les politiques de Paris le faire à sa place. Il comprend que pour exister politiquement face au Directoire, il doit devenir une figure populaire, presque mythique, auprès des soldats et du peuple français.

Pour cela, il crée ses propres journaux militaires, comme le Courrier de l’Armée d’Italie ou La France vue de l’Armée d’Italie, qui sont diffusés bien au-delà des casernes. Dans ces feuilles, il se met en scène non seulement comme un stratège invaincu, mais aussi comme un « soldat-citoyen » proche de ses hommes, dormant au bivouac et partageant leurs souffrances. C’est une véritable innovation : il court-circuite les rapports officiels pour s’adresser directement à l’opinion publique.

L’épisode du pont d’Arcole en novembre 1796 est l’exemple parfait de cette fabrication du héros : si la réalité est plus nuancée (Bonaparte tombe dans la boue et l’assaut échoue dans un premier temps), l’image qui est diffusée est celle d’un général s’élançant seul avec un drapeau sous la mitraille. Cette image d’Épinal, relayée par les gravures et les récits, ancre dans l’esprit des Français l’idée que Bonaparte est protégé par le destin.

Ainsi, dès cette époque, Bonaparte utilise la presse pour façonner son image politique. Pour approfondir les mécanismes généraux de ce type de communication, tu peux consulter l’article sur la propagande dans l’histoire, qui pose les bases théoriques de ces pratiques.

📌 L’expédition d’Égypte : transformer l’échec militaire en succès culturel

La campagne d’Égypte (1798-1801) est un autre moment clé de la propagande sous Napoléon, car elle démontre sa capacité à manipuler la perception d’un événement. Sur le plan purement militaire, l’expédition se termine mal, avec la destruction de la flotte à Aboukir et le départ précipité de Bonaparte laissant ses troupes sur place. Pourtant, grâce à une communication habile, il parvient à présenter cette campagne comme une épopée grandiose, à la fois guerrière et scientifique.

En emmenant avec lui des savants, des dessinateurs et des ingénieurs (l’Institut d’Égypte), Bonaparte donne à sa conquête une dimension civilisatrice et intellectuelle qui séduit l’élite parisienne. Les découvertes archéologiques et la publication ultérieure de la monumentale Description de l’Égypte servent à masquer les revers militaires sous un vernis de gloire culturelle. C’est une diversion médiatique magistrale : on parle des pyramides et des pharaons pour ne pas trop parler de la situation stratégique bloquée.

De plus, Bonaparte soigne son image de « Sauveur » : il se pose en régénérateur de l’Orient, respectueux de l’Islam (bien que ce soit pure tactique), tout en se montrant impitoyable envers les Mamelouks. Cette dualité entre le guerrier et le savant renforce sa stature d’homme d’État complet, capable de gouverner la France. À son retour, il est perçu non comme un général en fuite, mais comme le recours providentiel face à un Directoire affaibli, préparant ainsi le terrain pour le coup d’État du 18 brumaire.

📌 Le Premier Consul : la pacification comme outil de promotion

Une fois au pouvoir après 1799, la propagande change de nature : il ne s’agit plus seulement de glorifier le chef de guerre, mais de célébrer le pacificateur et le reconstructeur de la France. La propagande du Consulat insiste lourdement sur la fin des troubles révolutionnaires, la paix religieuse (le Concordat de 1801) et la paix extérieure (paix d’Amiens en 1802). Bonaparte est présenté comme celui qui a « fini la Révolution » tout en gardant ses acquis.

Les rapports de police et les préfets sont mis à contribution pour surveiller « l’esprit public » et remonter les rumeurs, permettant au pouvoir d’ajuster son discours en temps réel. C’est une forme primitive mais efficace de sondage d’opinion. Le Premier Consul se déplace beaucoup en province, organisant des entrées triomphales qui rappellent les anciens rois, mais avec une sobriété vestimentaire qui le distingue : la fameuse redingote grise et le petit chapeau commencent à devenir ses attributs iconiques, symbolisant un pouvoir actif et laborieux, opposé au faste inutile de l’Ancien Régime.

Cette période de transition est cruciale car elle habitue les Français à voir en un seul homme l’incarnation de la Nation. La personnalisation du pouvoir est en marche, et elle ne fera que s’accentuer avec la proclamation de l’Empire. Si tu t’intéresses aux comparaisons historiques, cette centralisation autour d’un chef peut être mise en parallèle avec les méthodes analysées dans l’article sur la propagande nazie, bien que les contextes idéologiques et les moyens de terreur soient évidemment très différents et anachroniques à comparer directement sans précaution.

🎨 Les arts au service du pouvoir : peindre la gloire

📌 David et le néoclassicisme : l’esthétique de l’Empire

L’utilisation de l’art est un pilier fondamental de la propagande sous Napoléon. L’Empereur ne laisse aucune place au hasard dans sa représentation : il nomme Jacques-Louis David « Premier Peintre » de l’Empire, lui confiant la lourde tâche de fixer pour l’éternité les moments forts du règne. Le néoclassicisme, avec sa rigueur, ses références à l’Antiquité romaine et sa grandeur, devient le style officiel du régime, parfaitement adapté pour légitimer un pouvoir qui se veut l’héritier des Césars.

Le tableau Le Sacre de Napoléon est sans doute l’œuvre de propagande la plus aboutie de cette période. David y travaille pendant trois ans (1805-1807) et modifie la réalité historique sur ordre direct de l’Empereur. Par exemple, la mère de Napoléon, Letizia Bonaparte, qui avait boudé la cérémonie par désaccord avec son fils, est pourtant représentée en bonne place dans les tribunes, trônant au centre de la composition. De même, le Pape Pie VII est peint bénissant la scène, alors qu’il était en réalité spectateur passif, voire contraint.

Ce tableau n’est pas un documentaire, c’est un message politique : il montre une dynastie unie, une Église soumise et un Empereur qui tient son pouvoir de lui-même (il se couronne) tout en étant sacré. L’art ici ne copie pas le réel, il le corrige pour qu’il corresponde au récit national voulu par le chef de l’État. C’est une manipulation visuelle d’une efficacité redoutable, car l’image frappe les esprits plus durablement que les textes.

📌 Baron Gros et la mythologie de la compassion

Si David peint la majesté froide des cérémonies, Antoine-Jean Gros est chargé de peindre l’émotion et la proximité de Napoléon avec ses soldats. Son œuvre maîtresse, Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa (1804), est un chef-d’œuvre de manipulation historique. L’événement réel (une visite rapide dans un hôpital en Syrie) est transfiguré en une scène quasi christique où Bonaparte touche le bubon d’un malade sans gant, défiant la mort et la contagion avec une sérénité divine.

Cette toile a une fonction précise : faire taire les rumeurs accusant Bonaparte d’avoir fait euthanasier les pestiférés lors de la retraite. En transformant un épisode sombre en un acte de bravoure et de compassion surhumaine, la peinture retourne l’accusation et renforce l’aura sacrée du dirigeant. Napoléon n’est plus seulement un chef militaire, il devient un roi thaumaturge, capable de guérir ou du moins d’apaiser les souffrances par sa simple présence.

De même, après la boucherie de la bataille d’Eylau en 1807, Gros peint Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau, montrant l’Empereur le visage grave, levant les yeux au ciel en signe de compassion pour les morts, russes comme français. Cette image vise à humaniser la guerre et à dédouaner Napoléon de la responsabilité du massacre, en le présentant comme un père affligé par la folie des hommes, alors qu’il est le principal responsable des conflits incessants.

📌 Ingres et la divinisation impériale

Jean-Auguste-Dominique Ingres pousse la logique de la propagande sous Napoléon à son paroxysme avec son tableau Napoléon Ier sur le trône impérial (1806). Ici, l’Empereur n’est plus humain. Figé dans une pose hiératique, couvert de lourds vêtements de sacre, tenant les regalia (sceptre, main de justice), il ressemble à une idole byzantine ou à une représentation de Dieu le Père (comme celui du retable de Gand).

Cette œuvre, bien que critiquée à l’époque pour son aspect trop archaïque et « gothique », révèle l’intention ultime du régime : placer l’Empereur au-dessus des mortels, dans une sphère intemporelle et sacrée. Il incarne l’État de manière absolue. Cette imagerie sert à consolider la légitimité d’une dynastie toute neuve, qui a besoin de s’ancrer dans une symbolique millénaire pour faire oublier qu’elle est issue d’un coup d’État récent.

Pour voir ces œuvres en détail et comprendre leur portée, le site des collections du musée du Louvre est une ressource incontournable, permettant d’analyser comment chaque détail (aigle, abeille, main de justice) participe à ce discours visuel.

🤐 La presse muselée : « Menteur comme un Bulletin »

📌 La réduction drastique des journaux

Napoléon a une vision très utilitaire de la presse : pour lui, elle doit servir l’État ou se taire. Dès le début du Consulat, en janvier 1800, un décret supprime la grande majorité des journaux parisiens : sur les 73 titres existants, il n’en reste que 13, puis bientôt seulement 4 (dont Le Moniteur Universel, Le Journal de l’Empire, La Gazette de France). C’est une mise au pas brutale d’un secteur qui avait foisonné de liberté (et d’excès) sous la Révolution française.

Les journaux survivants ne sont plus libres de leur ligne éditoriale. Ils sont placés sous la tutelle du ministère de la Police dirigé par Fouché, puis Savary. Chaque article politique doit être approuvé avant publication. Il est interdit d’évoquer certains sujets sensibles, comme les mouvements des troupes, les mauvaises récoltes, ou même les suicides, pour ne pas démoraliser la population. La presse devient un simple relais de la parole officielle.

En province, la situation est encore plus stricte : souvent, un seul journal par département est autorisé, et il se contente généralement de recopier les articles du Moniteur parisien. Cette centralisation de l’information garantit qu’une seule version des faits circule dans tout l’Empire, du Rhin jusqu’à l’Italie. Cette maîtrise totale de l’information préfigure les systèmes de contrôle que l’on retrouvera plus tard, comme expliqué dans l’article sur la radio et le cinéma sous Vichy, où l’État cherchera de nouveau à avoir le monopole du récit.

📌 Les Bulletins de la Grande Armée : l’art du storytelling

L’outil le plus célèbre de la propagande sous Napoléon reste sans conteste le Bulletin de la Grande Armée. Rédigés souvent sous la dictée ou la supervision directe de l’Empereur, ces textes sont envoyés du front pour être publiés dans la presse, lus dans les écoles, affichés dans les mairies et même prônés en chaire par les curés lors de la messe. Ils racontent les batailles, exaltent l’héroïsme des soldats et, surtout, le génie du chef.

L’expression populaire « Menteur comme un Bulletin » ne vient pas de nulle part. Napoléon y arrange systématiquement la vérité : les pertes françaises sont minimisées, celles de l’ennemi exagérées, les erreurs stratégiques sont passées sous silence ou attribuées à des subalternes (ou à la météo, comme lors de la campagne de Russie). Cependant, ces bulletins ne sont pas que des mensonges : ils sont écrits dans un style épique, nerveux, captivant, qui passionne les Français. C’est une sorte de feuilleton national dont Napoléon est le héros récurrent.

Le but du Bulletin est double : maintenir le moral de l’arrière en garantissant la victoire finale, et intimider les ennemis de l’extérieur en étalant la puissance militaire française. C’est une arme psychologique majeure. Même dans la défaite, comme lors de la terrible retraite de Russie en 1812, le 29e Bulletin se termine par cette phrase surréaliste mais politiquement calculée : « La santé de Sa Majesté n’a jamais été meilleure ». L’essentiel est sauf : le chef est en vie, l’Empire peut continuer.

📌 La censure littéraire et théâtrale

Le contrôle ne s’arrête pas aux journaux. Le monde de l’édition et du théâtre est également surveillé de près. Une Direction générale de l’Imprimerie et de la Librairie est créée en 1810 pour surveiller les livres. Les auteurs jugés subversifs ou simplement trop indépendants sont censurés ou exilés. L’exemple le plus célèbre est celui de Germaine de Staël, dont l’ouvrage De l’Allemagne est saisi et détruit au pilon en 1810 car jugé « pas assez français » et implicitement critique envers le modèle impérial.

Le théâtre, divertissement populaire par excellence, est soumis à des règles strictes. Les pièces ne doivent pas évoquer de sujets politiques contemporains ni remettre en cause l’autorité. Au contraire, on encourage les pièces historiques qui mettent en valeur des héros monarchiques ou guerriers faisant écho à Napoléon. L’Empereur sait que le théâtre est une tribune publique influente, et il veille à ce qu’aucune réplique ne puisse déclencher des applaudissements séditieux.

Pour approfondir ce sujet des archives de la censure et des textes autorisés, le site de la Bibliothèque nationale de France (BnF) propose de nombreuses ressources numérisées via Gallica, permettant de lire les journaux de l’époque.

⚙️ L’encadrement des esprits : éducation, religion et fêtes

📌 Le Catéchisme impérial : obéir à Dieu, c’est obéir à l’Empereur

L’un des coups de maître de la propagande sous Napoléon est d’avoir utilisé la religion comme vecteur d’obéissance politique. Après avoir rétabli la paix religieuse avec le Concordat, Napoléon impose en 1806 un « Catéchisme impérial » unique pour tout l’Empire. Ce manuel, que tous les enfants doivent apprendre par cœur, contient des passages stupéfiants où la fidélité à l’Empereur est assimilée à un devoir religieux.

On y lit que « Dieu a établi Napoléon pour être notre souverain » et que « honorer et servir notre Empereur est donc honorer et servir Dieu lui-même ». À l’inverse, désobéir à l’Empereur, c’est se damner éternellement. En fusionnant le spirituel et le temporel, Napoléon s’assure que la contestation politique devient un péché. C’est un retour à la monarchie de droit divin, mais adapté à un régime post-révolutionnaire autoritaire.

L’Église devient ainsi, bon gré mal gré, une administration de propagande. Les évêques sont tenus de faire chanter des Te Deum pour célébrer les victoires militaires. La fête nationale est fixée au 15 août, jour de la Saint-Napoléon (un saint obscur, Neopolis, réhabilité pour l’occasion), qui coïncide habilement avec la fête de l’Assomption de la Vierge. Tout est fait pour sacraliser le régime dans le quotidien des Français.

📌 L’Université impériale et les lycées : former l’élite

Pour pérenniser son régime, Napoléon sait qu’il doit former la jeunesse. Il crée les lycées en 1802 et l’Université impériale en 1806, qui détient le monopole de l’enseignement. L’objectif est clair, comme il le dit lui-même : « Il n’y aura pas d’État politique fixe s’il n’y a pas un corps enseignant avec des principes fixes ». L’éducation est militarisée : les élèves portent l’uniforme, sont réveillés au tambour et la discipline est stricte.

L’enseignement de l’histoire est particulièrement surveillé. On réécrit les manuels pour présenter l’Empire comme l’aboutissement logique de l’histoire de France, la synthèse parfaite entre la monarchie et la Révolution. On gomme les aspects les plus violents de la prise de pouvoir pour insister sur la stabilité retrouvée. L’objectif est de former des fonctionnaires dévoués et des officiers compétents, totalement loyaux envers la dynastie des Bonaparte.

📌 La noblesse d’Empire et la Cour : la mise en scène sociale

Enfin, Napoléon recrée une cour impériale fastueuse aux Tuileries, qui sert de vitrine à son pouvoir. Il instaure une « noblesse d’Empire » en 1808, distribuant titres (barons, comtes, ducs) et dotations à ses généraux et serviteurs zélés. Contrairement à l’ancienne noblesse basée sur la naissance, celle-ci est basée sur le mérite et le service de l’État. C’est un outil de propagande sociale : cela montre que sous Napoléon, l’ascension sociale est possible pour ceux qui servent le régime.

Cette cour brillante attire les élites européennes et sert à éblouir les diplomates étrangers. Le protocole rigide, les costumes somptueux dessinés par Isabey, tout concourt à donner une image de richesse et de puissance inébranlable, masquant parfois les difficultés économiques dues aux guerres incessantes et au Blocus continental.

🏛️ Architecture et symboles : marquer le territoire et l’histoire

📌 Paris, la nouvelle Rome

Napoléon a l’ambition de faire de Paris la « capitale de l’univers », plus belle encore que la Rome antique. L’architecture est un puissant vecteur de propagande sous Napoléon, car elle est visible par tous et destinée à durer des siècles. Il lance des projets pharaoniques pour inscrire sa gloire dans la pierre. Le style Empire, massif et imposant, envahit la ville.

L’Arc de Triomphe de l’Étoile (commencé en 1806) et l’Arc de Triomphe du Carrousel sont directement inspirés des arcs romains. Ils célèbrent les victoires de la Grande Armée et listent les batailles gagnées. La colonne Vendôme, érigée à la gloire d’Austerlitz, est coulée avec le bronze des canons pris à l’ennemi (russe et autrichien). Elle imite la colonne Trajane de Rome, mais avec Napoléon en César au sommet. Ces monuments transforment l’espace urbain en un livre d’histoire à ciel ouvert, tout à la gloire de l’Empereur.

Il ne s’agit pas seulement de décorer, mais d’imposer une marque impériale sur le quotidien des Parisiens. Les ponts (pont d’Iéna, pont d’Austerlitz), les rues (rue de Rivoli) portent des noms qui rappellent les succès militaires. L’urbanisme devient un outil de mémoire collective forcée.

📌 L’Aigle et l’Abeille : la guerre des symboles

Pour remplacer les fleurs de lys de la royauté et le bonnet phrygien de la Révolution, Napoléon choisit avec soin ses nouveaux emblèmes. L’Aigle impériale, aux ailes déployées, est choisie pour sa référence à la Rome antique et à Charlemagne, symbolisant la puissance militaire et l’héritage impérial. Elle surmonte les hampes des drapeaux des régiments : perdre son aigle au combat est le déshonneur suprême, la défendre est un devoir sacré.

L’Abeille est l’autre grand symbole. Elle renvoie aux Mérovingiens (des bijoux en forme d’abeilles avaient été retrouvés dans la tombe de Childéric), permettant à Napoléon de s’inscrire dans une lignée plus ancienne que les Capétiens (les rois bourbons). De plus, l’abeille symbolise le travail, l’ordre et l’obéissance à la ruche, des valeurs chères au régime. On retrouve ces abeilles sur les manteaux de sacre, les tapis, les meubles des palais impériaux.

L’usage intensif de ces symboles permet de « marquer » le territoire visuel. Partout où l’œil se pose, dans les bâtiments publics, sur les actes notariés, sur les pièces de monnaie, l’effigie ou le symbole de l’Empereur est présent, rappelant à chacun qui détient l’autorité. Pour comprendre l’importance des symboles dans les régimes autoritaires, le parallèle peut être fait (avec prudence) avec les stratégies étudiées dans l’article sur les médias pendant la Guerre froide, où l’iconographie jouait aussi un rôle central dans l’affrontement des blocs.

📝 Le coup de génie final : le Mémorial de Sainte-Hélène

📌 Gagner la bataille de la mémoire

Paradoxalement, c’est après sa chute définitive en 1815 que Napoléon réussit son plus grand coup de propagande. Exilé sur l’îlot rocheux de Sainte-Hélène, surveillé par les Anglais, il n’a plus d’armée, mais il lui reste sa parole. Il dicte ses mémoires à ses compagnons d’exil, notamment à Emmanuel de Las Cases, qui publiera le célèbre Mémorial de Sainte-Hélène en 1823, deux ans après la mort de l’Empereur.

Dans ce texte, qui deviendra la « bible » du bonapartisme, Napoléon réécrit entièrement l’histoire de son règne. Il se présente non plus comme le tyran belliqueux que l’Europe a combattu, mais comme le soldat de la Révolution, le libérateur des peuples (qui aurait voulu créer des États-Unis d’Europe) et un martyr de la liberté enchaîné par les monarchies réactionnaires. Il gomme ses erreurs, justifie ses actes les plus controversés (comme l’exécution du duc d’Enghien) par la nécessité d’État.

Ce livre est un best-seller absolu au XIXe siècle. Il forge la « Légende dorée » de Napoléon : celle d’un Prométhée moderne puni pour avoir voulu apporter le feu aux hommes. Cette propagande posthume est si puissante qu’elle permet le retour de sa famille au pouvoir avec Napoléon III en 1852. Napoléon a perdu le pouvoir de son vivant, mais il a gagné la bataille de l’histoire grâce à ce testament politique magistralement orchestré.

📌 Légende noire vs Légende dorée

Il faut noter que cette propagande intense a généré en retour une « Légende noire », alimentée par les royalistes et les ennemis étrangers (notamment les caricaturistes anglais comme Gillray qui le dessinaient en « Little Boney », un nain colérique). Cette contre-propagande le dépeint comme un « Ogre » mangeur d’hommes, un Antéchrist assoiffé de sang. Mais c’est bien la version napoléonienne, romantique et glorieuse, qui a dominé l’imaginaire collectif français pendant longtemps.

Aujourd’hui encore, l’image que nous avons de Napoléon est largement tributaire de sa propre propagande. Les tableaux de David ou les récits d’Arcole sont les premières images qui nous viennent en tête, preuve de l’efficacité redoutable de sa communication. C’est un cas d’école fascinant pour analyser comment un récit politique peut façonner la réalité historique.

Pour mieux cerner les défis de l’information à notre époque et faire le lien avec ces pratiques historiques, n’hésite pas à consulter l’article sur la propagande aujourd’hui, qui traite des réseaux sociaux et des fake news, héritiers technologiques des *Bulletins de la Grande Armée*.

🧠 À retenir sur la Propagande sous Napoléon

  • Napoléon a compris dès la campagne d’Italie (1796) l’importance de contrôler son image via la presse (Courrier de l’Armée d’Italie).
  • Il utilise l’art (David, Gros, Ingres) pour transformer la réalité historique et se sacraliser (ex : Le Sacre, Les Pestiférés de Jaffa).
  • La censure est totale : réduction des journaux parisiens à 4 titres et surveillance stricte du théâtre et de la littérature.
  • Le Bulletin de la Grande Armée est l’outil principal pour narrer ses victoires et minimiser ses défaites (« Menteur comme un Bulletin »).
  • Le Mémorial de Sainte-Hélène est son ultime acte de propagande, transformant sa défaite finale en martyre légendaire.

❓ FAQ : Questions fréquentes sur la propagande napoléonienne

🧩 Napoléon mentait-il vraiment dans ses Bulletins ?

Oui et non. Il partait souvent de faits réels (une victoire, un mouvement de troupes) mais il enjolivait systématiquement les chiffres (pertes ennemies, nombre de prisonniers) et passait sous silence les échecs ou les difficultés logistiques. C’était du « storytelling » politique plus que du mensonge pur à 100%, destiné à maintenir le moral.

🧩 Pourquoi Napoléon est-il souvent représenté la main dans le gilet ?

Contrairement à une idée reçue, ce n’était pas à cause d’un mal d’estomac ! C’était une pose classique dans les portraits du XVIIIe et XIXe siècle, inspirée de la rhétorique antique (l’orateur Aeschine), signifiant le calme, la pondération et la maîtrise de soi. La propagande l’a figée comme un trait distinctif de l’Empereur.

🧩 La propagande a-t-elle caché la défaite de Waterloo ?

Difficilement. Si les premiers rapports ont tenté d’être flous, l’ampleur du désastre et le retour précipité de Napoléon à Paris ont rendu la vérité impossible à cacher longtemps. En revanche, la propagande ultérieure (Mémorial) a tenté d’expliquer la défaite par la trahison ou la malchance, plutôt que par des erreurs stratégiques.

🧩 Quiz – As-tu bien suivi la propagande de l’Empereur ?

1. Quel peintre a réalisé le célèbre tableau du Sacre de Napoléon ?



2. Quel journal militaire Bonaparte a-t-il créé en Italie ?



3. Quelle expression populaire est née de la méfiance envers la presse officielle ?



4. Quel monument parisien célèbre les victoires de la Grande Armée sur le modèle romain ?



5. Quel animal symbolique Napoléon a-t-il choisi pour évoquer les Mérovingiens ?



6. Quel ouvrage dicté par Napoléon a forgé sa légende après sa mort ?



7. Combien de journaux politiques restait-il à Paris en 1811 après la censure ?



8. Quel était le nom du livre d’enseignement religieux et politique imposé par Napoléon ?



9. Quelle bataille, pourtant indécise ou sanglante, a été magnifiée par le tableau de Gros « Les Pestiférés de… » ?



10. Quelle femme de lettres a été exilée pour son opposition et son livre « De l’Allemagne » ?



11. Quel symbole Napoléon a-t-il utilisé pour rappeler l’Empire romain ?



12. Qui n’était PAS présent au Sacre mais figure pourtant sur le tableau de David ?



13. Quelle institution créée en 1806 avait le monopole de l’enseignement ?



14. Quel événement militaire a été transformé en victoire culturelle grâce aux savants ?



15. Quelle colonne parisienne est faite avec le bronze des canons ennemis ?



16. À quelle date correspond la Saint-Napoléon instaurée par le régime ?



17. Quel ministre de la Police surveillait la presse et l’opinion ?



18. Comment s’appelle le style artistique officiel sous Napoléon ?



19. Sur le tableau du col du Grand-Saint-Bernard, Napoléon est sur un cheval fougueux. En réalité, il était sur…



20. Quel était le but principal de cette propagande ?



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