🎯 Pourquoi la période 1970–2000 est-elle un tournant majeur ?
Après l’euphorie de la croissance d’après-guerre, la France entre brutalement dans une ère d’incertitude marquée par les crises économiques et remises en cause de l’État social. Ce moment charnière, qui débute avec le premier choc pétrolier de 1973, confronte le modèle social français à des défis inédits : chômage de masse, déficits chroniques et vieillissement de la population. Comprendre cette période est essentiel pour saisir pourquoi le système de protection sociale, autrefois intouchable, a dû se transformer radicalement pour survivre.
🗂️ Dans cet article, tu vas découvrir :
- 🛑 La fin des Trente Glorieuses et le retour des crises
- 💸 La crise financière et l’effet ciseaux
- 🔄 Le tournant de la rigueur et la critique libérale
- ⚠️ L’émergence d’une nouvelle pauvreté et l’exclusion
- 🏗️ Les grandes réformes structurelles (RMI, CSG, CMU)
- 🔥 Le plan Juppé et la fracture sociale de 1995
- 🧠 À retenir
- ❓ FAQ
- 🧩 Quiz
👉 Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre le contexte de ce bouleversement historique.
🛑 La fin des Trente Glorieuses et le retour des crises (1973–1980)
📌 Le choc pétrolier de 1973 : la fin de l’insouciance
L’histoire de l’État social bascule véritablement à l’automne 1973. Jusqu’alors, le système français reposait sur une hypothèse simple : la croissance économique continue financerait toujours plus de progrès social. Or, la guerre du Kippour entraîne une augmentation brutale du prix du baril de pétrole, décidée par les pays de l’OPEP. Cette décision provoque un séisme économique mondial qui frappe de plein fouet les économies industrialisées comme la France. Le coût de l’énergie explose, ce qui renchérit les coûts de production des entreprises et freine net l’investissement industriel.
Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France découvre un phénomène économique redoutable : la stagflation. Ce terme désigne la coexistence d’une inflation très élevée (les prix augmentent vite) et d’une stagnation de la croissance économique. C’est un poison pour l’État social. D’un côté, l’inflation érode le pouvoir d’achat des allocations et des pensions. De l’autre, le ralentissement de l’activité économique réduit les rentrées fiscales et les cotisations sociales. Le modèle vertueux des Trente Glorieuses, où la croissance payait le social, se grippe soudainement.
Les gouvernements de l’époque, notamment sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing (1974–1981), tentent d’abord de gérer la crise comme s’il s’agissait d’un accident passager. On pense que la croissance va revenir rapidement. Cependant, le second choc pétrolier de 1979, consécutif à la révolution iranienne, vient doucher ces espoirs. Il devient alors évident que la crise n’est pas conjoncturelle (temporaire), mais structurelle (durable). C’est le début d’une longue période de doute sur la viabilité du modèle français.
📌 L’apparition du chômage de masse
Le symptôme le plus douloureux des crises économiques et remises en cause de l’État social est sans aucun doute l’explosion du chômage. Durant les années 1960, le chômage était frictionnel, c’est-à-dire qu’il concernait peu de personnes et pour de courtes durées. Au début des années 1970, on comptait environ 400 000 chômeurs en France. Ce chiffre va grimper de manière vertigineuse pour dépasser la barre symbolique du million de chômeurs dès la fin des années 1970, puis les deux millions au début des années 1980.
Ce chômage de masse déstabilise profondément la Sécurité sociale créée en 1945. En effet, le système français est de type « bismarckien », c’est-à-dire assis sur le travail : ce sont les cotisations prélevées sur les salaires qui financent la protection sociale. Quand le chômage augmente, la base de financement se réduit mécaniquement. Moins de travailleurs cotisent, tandis que les dépenses d’indemnisation du chômage explosent. C’est un cercle vicieux. Pour maintenir le système à flot, l’État est tenté d’augmenter les cotisations, mais cela augmente le coût du travail (« coût salarial »), ce qui peut freiner les embauches et aggraver encore le chômage.
Il faut aussi noter que la nature du chômage change. Il ne touche plus seulement les ouvriers non qualifiés, mais commence à affecter les jeunes diplômés et les cadres. L’industrie française, en pleine restructuration (sidérurgie en Lorraine, textile dans le Nord), licencie massivement. L’État tente de jouer un rôle d’amortisseur social en multipliant les plans de sauvetage et les préretraites, mais cela pèse lourdement sur les comptes publics. Pour approfondir la période précédente, tu peux relire l’article sur l’apogée de l’État-providence pendant les Trente Glorieuses.
💸 La crise financière et l’effet ciseaux
📌 L’explosion des dépenses sociales
Malgré le ralentissement économique, les dépenses sociales continuent d’augmenter à un rythme soutenu tout au long des années 1970 et 1980. Plusieurs facteurs expliquent cette inertie à la hausse. D’abord, le progrès médical coûte de plus en plus cher : les nouvelles technologies de santé et les médicaments innovants améliorent l’espérance de vie mais pèsent sur l’Assurance maladie. De plus, la population française vieillit, ce qui entraîne une hausse naturelle des dépenses de santé et, surtout, des pensions de retraite.
Ensuite, l’État social est sollicité pour amortir les effets de la crise. Les gouvernements successifs utilisent les prestations sociales comme des outils de relance économique (« politique de la demande »). Par exemple, lors de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, le gouvernement de Pierre Mauroy augmente le SMIC, les allocations familiales et le minimum vieillesse, et abaisse l’âge de la retraite à 60 ans (en 1983). Ces mesures, généreuses et socialement justes, alourdissent considérablement la facture sociale à un moment où l’économie ne crée plus assez de richesses pour les financer aisément.
Enfin, l’effet « cliquet » joue à plein : il est politiquement très difficile de revenir sur des droits acquis. Les citoyens considèrent la protection sociale comme un dû. Ainsi, même quand les recettes diminuent, les dépenses continuent leur progression quasi automatique. C’est ce qu’on appelle l’inertie des dépenses sociales. En 1980, les dépenses de protection sociale représentent déjà plus de 25 % du PIB, contre environ 15 % en 1950.
📌 Le déficit chronique de la « Sécu »
La combinaison de la baisse des recettes (due au chômage et au ralentissement des salaires) et de la hausse des dépenses crée ce que les économistes appellent un « effet ciseaux ». Dès la fin des années 1970, le « trou de la Sécu » devient un sujet récurrent dans l’actualité politique et médiatique. Ce déficit n’est plus accidentel, il devient structurel. Chaque année, les comptes de l’Assurance maladie et de l’Assurance vieillesse sont dans le rouge, obligeant l’État à trouver des expédients pour boucler les budgets.
Face à ce déficit, la première réaction des pouvoirs publics est souvent d’augmenter les taux de cotisations sociales. Entre 1970 et 1990, la part des cotisations dans la richesse nationale augmente significativement. Cependant, cette stratégie atteint ses limites. Trop augmenter les charges sur les salaires pénalise la compétitivité des entreprises françaises face à la concurrence internationale, qui s’intensifie avec la mondialisation. De plus, cela réduit le salaire net des employés, pesant sur leur pouvoir d’achat.
Cette impasse financière force les gouvernements à réfléchir à de nouveaux modes de financement. C’est dans ce contexte de crises économiques et remises en cause de l’État social que l’idée de fiscaliser la protection sociale commence à émerger. Il ne s’agit plus de faire payer uniquement les travailleurs via les cotisations, mais de solliciter l’ensemble des revenus (y compris le capital) via l’impôt. Ce débat aboutira plus tard à la création de la CSG.
🔄 Le tournant de la rigueur et la critique libérale (1983–1990)
📌 1983 : Le tournant de la rigueur
L’année 1983 marque une rupture fondamentale dans l’histoire économique et sociale de la France. Après deux années de politique de relance keynésienne (1981–1982) menée par le président François Mitterrand, l’économie française est au bord de l’asphyxie financière : l’inflation est galopante, le déficit commercial est abyssal et le franc est attaqué sur les marchés. Le gouvernement se trouve face à un choix historique : sortir du Système Monétaire Européen (et s’isoler économiquement) ou changer radicalement de politique pour rester ancré à l’Europe.
En mars 1983, François Mitterrand choisit l’Europe et la discipline budgétaire. C’est le « tournant de la rigueur ». Le Premier ministre Pierre Mauroy, puis son successeur Laurent Fabius, mettent en place une politique de désinflation compétitive. L’objectif n’est plus la croissance à tout prix, mais la lutte contre l’inflation et le rétablissement des équilibres financiers. Concrètement, cela signifie la fin de l’indexation des salaires sur les prix et une tentative de maîtrise des dépenses publiques, y compris sociales.
Ce virage idéologique est majeur. La gauche au pouvoir accepte l’idée que l’entreprise est le lieu de création de la richesse avant d’être le lieu de la lutte des classes. La priorité est donnée à la restauration des marges des entreprises pour favoriser l’investissement. Pour l’État social, cela signifie que le robinet des dépenses ne peut plus rester grand ouvert. On commence à parler de « rationalisation » des coûts de santé et de gestion plus rigoureuse de l’assurance chômage.
📌 La remise en cause intellectuelle de l’État-providence
Parallèlement à ce tournant politique, une bataille intellectuelle se joue. Dans les années 1980, le contexte international est marqué par la révolution conservatrice menée par Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Le néolibéralisme gagne du terrain. Ses partisans critiquent l’État-providence qu’ils jugent inefficace, bureaucratique et déresponsabilisant. Selon eux, trop de protection sociale décourage le travail et l’initiative individuelle (« l’assistanat »).
En France, le sociologue Pierre Rosanvallon publie en 1981 un ouvrage marquant : La Crise de l’État-providence. Il y théorise une triple crise. Une crise de solvabilité (il n’y a plus assez d’argent), une crise d’efficacité (le système n’arrive plus à réduire les inégalités et le chômage) et une crise de légitimité (le consensus social s’effrite, les actifs acceptant de moins en moins de payer pour les inactifs). Cette analyse lucide montre que le problème n’est pas seulement comptable, mais philosophique.
Cette période voit donc s’installer un discours critique envers l’État social. On ne cherche pas à le détruire comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni, car l’attachement des Français à leur modèle reste très fort, mais on cherche à le « moderniser ». L’objectif est de rendre le système moins coûteux et plus ciblé. C’est la fin du mythe d’un progrès social linéaire et ininterrompu.
⚠️ L’émergence d’une nouvelle pauvreté et l’exclusion
📌 De la classe ouvrière aux « nouveaux pauvres »
Alors que l’État social traditionnel se focalisait sur la protection du travailleur (accident, maladie, vieillesse), les années 1980 voient apparaître une catégorie de population qui passe à travers les mailles du filet : les « nouveaux pauvres ». Il ne s’agit plus seulement de personnes âgées avec de petites retraites, mais de chômeurs de longue durée, de jeunes sans qualification n’ayant jamais travaillé, ou de familles monoparentales. Ces personnes, n’ayant pas ou plus de travail, n’ont pas cotisé suffisamment et se retrouvent sans couverture sociale.
Le système bismarckien (assurantiel) montre ici ses limites tragiques : il protège très bien ceux qui sont intégrés au marché du travail (« les insiders »), mais laisse de côté ceux qui en sont exclus (« les outsiders »). On voit se développer le phénomène de l’exclusion sociale. Des bidonvilles réapparaissent parfois aux marges des grandes villes, et les associations caritatives comme les Restos du Cœur, créés par Coluche en 1985, doivent pallier les carences de l’État. C’est un choc pour la société française qui pensait avoir éradiqué la grande pauvreté.
Cette nouvelle pauvreté oblige l’État à repenser son mode d’intervention. La logique d’assurance (je cotise donc j’ai des droits) ne suffit plus. Il faut introduire une logique de solidarité (l’impôt finance une aide pour ceux qui ne peuvent pas cotiser). C’est un glissement progressif vers le modèle « beveridgien » (protection universelle financée par l’impôt), pour compléter le socle bismarckien existant.
📌 1988 : La création du RMI, une réponse majeure
Face à l’urgence sociale, le gouvernement de Michel Rocard instaure en décembre 1988 le Revenu Minimum d’Insertion (RMI). C’est une réforme révolutionnaire dans la conception de l’État social français. Le RMI garantit un revenu minimum à toute personne de plus de 25 ans, sans condition de cotisations passées, financé par la solidarité nationale (l’État). En contrepartie, le bénéficiaire s’engage dans un « contrat d’insertion » pour tenter de retrouver le chemin de l’emploi ou de l’activité sociale.
Le RMI marque la reconnaissance officielle par la République qu’il existe un « droit aux moyens convenables d’existence », comme le stipulait le préambule de la Constitution de 1946. C’est une mesure de « filet de sécurité » ultime. Au départ prévu pour quelques centaines de milliers de personnes, le dispositif va rapidement concerner plus d’un million de foyers, signe de l’enracinement de la précarité. Pour plus de détails sur le cadre légal, tu peux consulter les textes sur Legifrance.
Cependant, le volet « insertion » du RMI a souvent été critiqué pour son manque d’efficacité. Beaucoup de bénéficiaires sont restés piégés dans les minima sociaux, créant ce que certains sociologues ont appelé des « trappes à inactivité ». Malgré cela, le RMI a constitué un rempart indispensable contre l’extrême pauvreté durant les décennies 1990 et 2000, avant d’être remplacé par le RSA en 2009.
🏗️ Les grandes réformes structurelles (CSG, Retraites)
📌 La CSG : une révolution fiscale (1990)
Pour résoudre l’équation impossible du financement de la Sécurité sociale, le gouvernement Rocard introduit en 1990 une innovation majeure : la Contribution Sociale Généralisée (CSG). Contrairement aux cotisations sociales qui ne pèsent que sur les salaires, la CSG est un impôt prélevé sur l’ensemble des revenus : salaires, mais aussi revenus du patrimoine, placements financiers, retraites et allocations chômage. L’idée est d’élargir l’assiette de prélèvement pour soulager le coût du travail.
La création de la CSG est un acte fondateur de la modernisation de l’État social. Elle acte le fait que la protection sociale (notamment la maladie et la famille) relève de la solidarité nationale et doit être financée par tous les citoyens, et non plus seulement par les travailleurs actifs. Au fil des années 1990, le taux de la CSG va augmenter régulièrement pour combler les déficits, devenant l’une des principales sources de financement de la Sécu. Elle sera complétée en 1996 par la CRDS (Contribution au Remboursement de la Dette Sociale).
Cette réforme permet de diversifier les ressources de l’État social. Elle illustre parfaitement le passage d’une logique purement professionnelle à une logique plus universelle. Sans la CSG, le modèle social français se serait probablement effondré sous le poids de ses déficits dans les années 1990. C’est une réponse technique mais politiquement audacieuse aux crises économiques et remises en cause de l’État social.
📌 La réforme des retraites de 1993
En 1993, la situation financière des retraites devient critique. L’arrivée au pouvoir d’une majorité de droite (gouvernement d’Édouard Balladur) conduit à la première grande réforme des retraites du secteur privé. Jusqu’alors, pour toucher une retraite à taux plein, il fallait cotiser 37,5 annuités (années). La réforme Balladur décide d’augmenter progressivement cette durée à 40 annuités pour les salariés du privé. De plus, le calcul de la pension se fera désormais sur les 25 meilleures années de salaire, et non plus les 10 meilleures, ce qui baisse mécaniquement le montant des futures pensions.
Cette réforme passe relativement bien dans l’opinion car elle est présentée comme indispensable pour sauver le système par répartition. Elle épargne cependant les fonctionnaires et les régimes spéciaux, créant une différence de traitement qui deviendra par la suite une source majeure de tensions sociales. C’est la première fois que l’État demande aux Français de « travailler plus longtemps » pour préserver leurs acquis, inaugurant une longue série de réformes des retraites (2003, 2010, 2023…).
Tu peux voir ici le lien direct avec l’article sur les réformes des retraites et de l’assurance chômage depuis 1993 qui détaille la suite de ce processus législatif.
🔥 Le plan Juppé et la fracture sociale de 1995
📌 L’élection de Jacques Chirac et la « fracture sociale »
La campagne présidentielle de 1995 est marquée par le thème de la « fracture sociale ». Le candidat Jacques Chirac dénonce l’exclusion et la pauvreté croissante, promettant de réconcilier les Français et de renforcer la cohésion nationale. Une fois élu, il nomme Alain Juppé Premier ministre. Paradoxalement, la priorité immédiate du nouveau gouvernement n’est pas la dépense sociale, mais la réduction drastique des déficits publics pour qualifier la France à l’euro (la monnaie unique européenne prévue pour 1999).
Pour assainir les comptes, Alain Juppé présente en novembre 1995 un plan global de réforme de la Sécurité sociale. Ce plan est très ambitieux. Il prévoit notamment d’aligner la durée de cotisation des fonctionnaires et des régimes spéciaux (SNCF, RATP) sur celle du privé (passer de 37,5 à 40 annuités), d’augmenter les taxes pour rembourser la dette sociale, et de donner au Parlement le pouvoir de contrôler le budget de la Sécu (ce qui n’était pas le cas auparavant, c’était le domaine des partenaires sociaux).
Le « Plan Juppé » est perçu comme une trahison de la promesse électorale sur la fracture sociale. Au lieu de plus de solidarité, les Français voient arriver plus de rigueur. La méthode, jugée brutale et technocratique, met le feu aux poudres.
📌 Les grèves de 1995 : la rue contre la réforme
En décembre 1995, la France connaît son plus grand mouvement social depuis Mai 68. Les transports publics sont paralysés pendant trois semaines. Des millions de manifestants défilent dans les rues pour défendre « le service public » et « les acquis sociaux ». Ce mouvement exprime un profond attachement des Français à leur modèle social et un refus de la logique comptable perçue comme dictée par la mondialisation libérale. Les grévistes refusent que la protection sociale soit une variable d’ajustement économique.
Face à la paralysie du pays, Alain Juppé est contraint de reculer. Il retire la réforme des retraites des fonctionnaires et des régimes spéciaux. C’est une victoire majeure pour les syndicats. Cependant, tout le plan n’est pas abandonné. Le volet sur la gestion de l’assurance maladie et le remboursement de la dette sociale est maintenu. C’est ainsi qu’est créée la CADES (Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale) et que le Parlement vote désormais chaque année le PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale). Pour mieux comprendre les enjeux statistiques de cette époque, l’Institut national de la statistique et des études économiques propose des données sur insee.fr.
Les grèves de 1995 marquent la limite de ce que les gouvernements peuvent imposer en matière de recul social. Elles figent pour un temps la réforme des régimes spéciaux, mais elles entérinent aussi la reprise en main de la Sécurité sociale par l’État (étatisation), au détriment des syndicats qui la géraient historiquement. C’est une étape clé des crises économiques et remises en cause de l’État social.
🌍 Vers un nouveau modèle social (1997–2000)
📌 La CMU et les 35 heures : l’ère Jospin
Après la dissolution ratée de l’Assemblée nationale en 1997, la gauche revient au pouvoir avec le gouvernement de « Gauche Plurielle » dirigé par Lionel Jospin. Dans un contexte de reprise économique mondiale à la fin des années 1990, le gouvernement tente de concilier performance économique et justice sociale. Deux mesures phares illustrent cette période : la Couverture Maladie Universelle (CMU) et les 35 heures.
La CMU, créée en 1999 (mise en place en 2000), est l’aboutissement de la logique d’universalité. Elle garantit l’accès gratuit aux soins pour les plus démunis, ceux qui n’ont pas les moyens de se payer une mutuelle et qui ne cotisent pas. Avec la CMU, le droit à la santé devient un droit de citoyenneté, totalement déconnecté du statut professionnel. C’est une avancée majeure contre l’exclusion sanitaire.
La réforme des 35 heures (lois Aubry de 1998 et 2000) vise à réduire le temps de travail hebdomadaire pour partager le travail et créer des emplois. L’idée est de lutter contre le chômage de masse autrement que par la dérégulation. Si le bilan sur la création d’emplois est positif (environ 350 000 emplois créés), la réforme a un coût élevé pour les finances publiques (allègements de charges accordés aux entreprises) et a parfois dégradé les conditions de travail par la flexibilité accrue demandée aux salariés. Ces défis annoncent les problématiques du XXIe siècle, traitées dans l’article sur les nouveaux défis : précarité, gilets jaunes, pandémie.
📌 Bilan de l’État social en l’an 2000
À l’aube du XXIe siècle, l’État social français n’a pas disparu, contrairement aux prédictions les plus pessimistes, mais il s’est métamorphosé. Il n’est plus seulement assurantiel (pour les travailleurs), il est devenu mixte, intégrant une forte dose d’assistance et de solidarité fiscale (pour tous les citoyens). Il est aussi devenu plus coûteux et plus complexe.
Les crises économiques de 1970 à 2000 ont forcé le système à s’adapter, parfois dans la douleur. L’État a pris le contrôle financier et stratégique de la protection sociale, réduisant le pouvoir des partenaires sociaux. Le défi du financement reste entier, tout comme celui du chômage structurel. L’année 2000 marque une pause relative avant de nouvelles tempêtes (crise de 2008, vieillissement accéléré) qui imposeront de nouvelles réformes.
🧠 À retenir sur les crises de l’État social (1970–2000)
- La fin des Trente Glorieuses est marquée par les chocs pétroliers de 1973 et 1979, entraînant stagflation et chômage de masse.
- L’apparition d’un déficit structurel de la Sécurité sociale (effet ciseaux) oblige à chercher de nouveaux financements (fiscalisation).
- Le tournant de la rigueur en 1983 marque la fin des politiques de relance systématique et le début d’une gestion plus comptable du social.
- De nouveaux dispositifs de solidarité sont créés pour contrer l’exclusion : le RMI en 1988 et la CMU en 1999 (logique d’assistance).
- Les grèves de 1995 contre le plan Juppé montrent l’attachement viscéral des Français à leur modèle social et freinent la réforme des retraites.
- La création de la CSG en 1990 élargit le financement de la protection sociale à tous les revenus, pas seulement les salaires.
❓ FAQ : Questions fréquentes sur les crises de l’État social
🧩 Qu’est-ce que l’effet ciseaux pour la Sécurité sociale ?
C’est un phénomène économique où les recettes de la Sécu baissent (à cause du chômage et de la faible croissance des salaires) tandis que les dépenses augmentent (chômage, santé, retraites). L’écart se creuse des deux côtés, créant un déficit rapide.
🧩 Quelle est la différence entre assurance et assistance ?
L’assurance (système bismarckien) donne des droits en échange de cotisations prélevées sur le travail (ex: retraite, chômage). L’assistance (ou solidarité, système beveridgien) accorde une aide financée par l’impôt à ceux qui en ont besoin, sans condition de cotisation préalable (ex: RMI, RSA).
🧩 Pourquoi les grèves de 1995 sont-elles importantes ?
Elles représentent le plus grand mouvement social depuis 1968. Elles ont forcé le gouvernement Juppé à retirer sa réforme des retraites du public, symbolisant la résistance sociale face aux réformes libérales perçues comme injustes.
🧩 À quoi sert la CSG créée en 1990 ?
La Contribution Sociale Généralisée sert à financer la Sécurité sociale (maladie, famille, etc.) en prélevant un impôt sur tous les types de revenus (travail, capital, retraites), et plus seulement sur les salaires des actifs.
