🌍 ONG et bénévolat : histoire d’une solidarité sans frontières

🎯 Pourquoi l’histoire de l’humanitaire et du bénévolat est-elle centrale ?

L’histoire de l’engagement citoyen ne se limite pas aux urnes ou aux barricades ; elle s’écrit aussi à travers le développement spectaculaire des ONG et bénévolat au fil des siècles. Depuis les premières formes de charité religieuse jusqu’aux « French Doctors » intervenant sur les théâtres de guerre, cette épopée raconte comment la société civile s’est organisée pour pallier les manques des États. Comprendre cette évolution, c’est saisir comment la conscience morale internationale s’est forgée face aux crises, aux guerres et aux famines, transformant le simple don de soi en une force politique majeure.

🗂️ Dans cet article, tu vas découvrir :

• 🧭 Des œuvres de charité à la naissance de la Croix-Rouge
• ⚙️ La loi de 1901 et l’impact des deux Guerres mondiales
• 📜 L’essor du tiers-mondisme et des grandes ONG
• 🎨 La révolution des « French Doctors » et le droit d’ingérence
• 🌍 Professionnalisation et médiatisation de l’humanitaire
• 🤝 Les nouveaux visages de l’engagement citoyen
• 🧠 À retenir
• ❓ FAQ
• 🧩 Quiz

👉 Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre le contexte de ce thème.

🧭 Des œuvres de charité à la naissance de la Croix-Rouge

📌 De la charité chrétienne à la philanthropie des Lumières

Avant de parler d’ONG et bénévolat au sens moderne, il faut remonter aux racines de l’aide à autrui, qui fut pendant des siècles le monopole quasi exclusif des structures religieuses. Au Moyen Âge, l’Église catholique organise la prise en charge des pauvres, des malades et des pèlerins à travers un immense réseau d’Hôtels-Dieu et de léproseries, fondé sur le principe de la charité (caritas). L’acte de donner ou de servir n’a pas alors pour but principal de transformer la société ou de résoudre les causes de la pauvreté, mais d’assurer le salut de l’âme du donateur. C’est un système vertical, où le riche donne au pauvre, sans remettre en cause l’ordre social établi, une structure mentale qui perdurera très longtemps dans les sociétés européennes.

Le XVIIIe siècle marque une première rupture intellectuelle majeure avec l’avènement de la philanthropie, portée par les philosophes des Lumières. Contrairement à la charité religieuse, la philanthropie se veut laïque et rationnelle : elle est l’amour de l’humanité et cherche à être utile à la société par la raison. On voit apparaître les premières sociétés de bienfaisance qui tentent d’appliquer des méthodes scientifiques pour éradiquer la pauvreté ou soigner les maladies. Cependant, l’État reste encore très en retrait sur ces questions sociales, laissant l’initiative aux particuliers fortunés et aux notables qui considèrent que leur position sociale implique des devoirs envers les plus démunis.

La Révolution française va tenter de laïciser totalement l’assistance en proclamant que les secours publics sont une « dette sacrée » de la Nation, comme nous l’avons vu en étudiant les révolutionnaires et la citoyenneté. L’État tente de confisquer les biens des hôpitaux religieux pour créer un système national, mais faute de moyens financiers et face à l’ampleur de la misère, il devra rapidement laisser revenir les congrégations religieuses au XIXe siècle. C’est dans ce contexte hybride, mêlant retour de la charité chrétienne et montée de la philanthropie bourgeoise industrielle, que va naître l’idée d’une organisation internationale de secours.

📌 Le choc de Solferino et l’invention de l’humanitaire moderne

Le véritable acte de naissance de l’action humanitaire internationale moderne, précurseur des ONG, se joue sur un champ de bataille en Italie, le 24 juin 1859. Un homme d’affaires suisse, Henry Dunant, se trouve par hasard à proximité de la bataille de Solferino, qui oppose les troupes franco-sardes aux Autrichiens. Il est horrifié par le spectacle de milliers de soldats laissés à l’agonie sans aucun soin, les services de santé militaires étant totalement débordés et insuffisants. Dunant improvise alors des secours avec les femmes des villages voisins, soignant les blessés quel que soit leur camp, en répétant la phrase « Tutti fratelli » (Tous frères).

Traumatisé par cette expérience, Dunant publie en 1862 Un souvenir de Solferino, un livre choc qui va secouer l’Europe. Il y formule deux propositions révolutionnaires qui vont changer l’histoire : la création, en temps de paix, de sociétés de secours volontaires pour aider les services de santé des armées, et l’adoption d’un traité international garantissant la protection et la neutralité des blessés et du personnel soignant. Ses idées, portées par un comité de cinq citoyens genevois, aboutissent en 1863 à la création du Comité international de secours aux militaires blessés, qui deviendra le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Dès l’année suivante, en 1864, la première Convention de Genève est signée par douze États. C’est une révolution juridique et morale : pour la première fois, les États acceptent de limiter leur propre souveraineté et leur droit de faire la guerre au nom d’un impératif humanitaire supérieur. L’emblème de la croix rouge sur fond blanc (inverse du drapeau suisse) devient le symbole universel de cette neutralité. Bien que le CICR ne soit pas encore une « ONG » au sens juridique actuel du terme (le terme apparaîtra plus tard à l’ONU), il en pose les fondements : une initiative privée, indépendante des gouvernements, agissant au nom de l’intérêt général international.

📌 L’internationalisation de la solidarité avant 1900

L’exemple de la Croix-Rouge va faire des émules et déclencher un mouvement d’internationalisation des causes humanitaires et sociales à la fin du XIXe siècle. On voit émerger des mouvements qui dépassent les frontières nationales, notamment dans la lutte contre l’esclavage (mouvement abolitionniste), ou pour la protection de l’enfance. Cette période correspond à la première mondialisation des échanges : le télégraphe et le chemin de fer permettent aux nouvelles de circuler, et l’opinion publique commence à s’émouvoir de drames lointains. C’est le début d’une conscience citoyenne mondiale, même si elle reste très marquée par une vision occidentale et parfois colonialiste du monde.

Parallèlement, le monde ouvrier s’organise aussi, créant des solidarités transnationales (les Internationales socialistes), que tu peux mettre en lien avec l’histoire des mouvements sociaux. Cependant, la distinction reste nette entre la solidarité politique (changer le système) et la solidarité humanitaire (pansement sur les plaies). À cette époque, le bénévolat est essentiellement le fait des classes aisées, notamment des femmes de la bourgeoisie qui trouvent dans les œuvres sociales un des rares espaces d’action publique qui leur soit autorisé, en attendant de conquérir le droit de vote.

La fin du XIXe siècle voit ainsi se mettre en place les deux piliers sur lesquels reposera l’action des futures ONG : d’un côté, une base juridique internationale (le droit international humanitaire naissant) et de l’autre, une mobilisation citoyenne bénévole structurée en associations. Il manque encore un cadre légal précis dans de nombreux pays pour permettre à ces associations de se développer pleinement, ce qui sera l’enjeu majeur du début du XXe siècle, particulièrement en France.

⚙️ La loi de 1901 et l’impact des deux Guerres mondiales

📌 La loi de 1901 : le socle de la liberté d’association en France

Pour comprendre l’essor des ONG et bénévolat en France, il est indispensable de s’arrêter sur une date clé : le 1er juillet 1901. Avant cette date, former une association sans autorisation préalable de l’État était illégal et risqué, héritage de la méfiance des régimes post-révolutionnaires envers les corps intermédiaires. La loi portée par Waldeck-Rousseau institue la liberté d’association : « deux ou plusieurs personnes » peuvent désormais mettre en commun leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. C’est une liberté fondamentale qui permet à la société civile de s’organiser de manière autonome.

Cette loi va permettre l’explosion du tissu associatif français. Si beaucoup d’associations sont sportives, culturelles ou de loisirs, un grand nombre se tourne vers l’entraide sociale. La structure « loi 1901 » devient le véhicule juridique privilégié de l’engagement bénévole. Elle offre une souplesse immense : pas de capital minimum, une gouvernance démocratique (théorique), et la possibilité pour les citoyens de se grouper pour défendre une cause. Pour approfondir le cadre légal de la vie publique en France, tu peux consulter les ressources pédagogiques de Vie-publique.fr.

Cependant, au début du XXe siècle, ces associations restent souvent locales ou nationales. Le concept d’Organisation Non Gouvernementale internationale est encore balbutiant. C’est le choc de la Première Guerre mondiale qui va propulser la solidarité privée à une échelle industrielle et transatlantique, obligeant les structures bénévoles à se professionnaliser pour faire face à une catastrophe de masse.

📌 1914-1918 : L’humanitaire à l’épreuve de la guerre totale

La Grande Guerre marque un tournant décisif. Face à l’ampleur des massacres et des destructions, les États belligérants sont incapables de gérer seuls la crise humanitaire. On assiste à une mobilisation sans précédent de la société civile. La Croix-Rouge devient un acteur central, gérant des milliers d’hôpitaux auxiliaires, organisant la correspondance des prisonniers de guerre (l’Agence internationale des prisonniers de guerre à Genève traite jusqu’à 30 000 lettres par jour). C’est l’engagement massif des bénévoles, notamment des femmes infirmières, qui permet au système de tenir.

Mais l’innovation majeure vient de l’aide internationale, et particulièrement américaine. Avant même l’entrée en guerre des États-Unis en 1917, des organisations caritatives géantes se déploient en Europe. L’exemple le plus frappant est la Commission for Relief in Belgium (CRB), dirigée par Herbert Hoover. Cette organisation privée parvient à négocier avec les belligérants pour ravitailler la Belgique occupée et le Nord de la France, sauvant de la famine près de 10 millions de personnes. C’est la première opération humanitaire de masse logistique, gérée comme une entreprise industrielle.

Au sortir de la guerre, de nouvelles organisations voient le jour pour gérer les conséquences du conflit, comme Save the Children, fondée en 1919 par Eglantyne Jebb pour aider les enfants affamés d’Europe centrale (y compris ceux des pays vaincus, ce qui était très audacieux à l’époque). En France, les associations d’anciens combattants, comme les « Gueules Cassées », jouent un rôle social et politique majeur. L’entre-deux-guerres voit aussi la Société des Nations (SDN) tenter de coordonner ces efforts, préfigurant l’architecture de l’ONU. Tu peux relier cette période à l’étude des résistants de la Seconde Guerre, car beaucoup de réseaux de solidarité nés à cette époque serviront de base à la Résistance future.

📌 1939-1945 : Les limites de l’humanitaire face à la barbarie

La Seconde Guerre mondiale pose un défi moral et opérationnel encore plus terrible aux organisations humanitaires. Le conflit est idéologique et total. Le CICR se retrouve dans une position impossible : soucieux de préserver son accès aux camps de prisonniers de guerre, il choisit de ne pas dénoncer publiquement le génocide des Juifs, dont ses délégués ont pourtant connaissance progressive. Ce « silence » de la Croix-Rouge restera une tache indélébile dans son histoire et alimentera plus tard la réflexion des fondateurs de Médecins Sans Frontières sur la nécessité de témoigner.

Pourtant, la solidarité s’organise aussi dans la clandestinité. Des milliers d’associations et de réseaux informels cachent des enfants juifs, fabriquent de faux papiers, exfiltrent des aviateurs alliés. C’est une forme d’humanitaire de résistance, politique et illégale, qui s’oppose à l’humanitaire institutionnel légaliste du CICR. En 1942, au Royaume-Uni, naît l’organisation Oxfam (Oxford Committee for Famine Relief), qui milite pour que le blocus allié laisse passer des vivres pour les civils affamés de Grèce occupée. Là encore, l’idée que l’humanitaire doit primer sur les impératifs militaires fait son chemin.

À la Libération, l’Europe est en ruines. L’aide internationale, notamment via l’UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration), est massive. Mais on voit aussi émerger de grandes associations nationales, comme le Secours Populaire Français (issu de la mouvance communiste) ou le Secours Catholique, qui structurent la solidarité intérieure. Le paysage associatif se polarise politiquement, reflétant la Guerre froide qui s’annonce.

📜 L’essor du tiers-mondisme et des grandes ONG

📌 La naissance de l’ONU et l’invention du terme ONG

Au lendemain de la guerre, la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 1945 redéfinit le cadre de la coopération internationale. C’est d’ailleurs dans l’article 71 de la Charte des Nations Unies qu’apparaît officiellement le terme « Organisation Non Gouvernementale » (ONG). Il s’agit de reconnaître le rôle consultatif des associations de la société civile auprès du Conseil économique et social de l’ONU. Dès lors, les ONG et bénévolat ne sont plus seulement des acteurs de terrain, mais deviennent des partenaires institutionnels de la gouvernance mondiale.

La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 fournit un nouveau logiciel idéologique à ces organisations. Il ne s’agit plus seulement de charité, mais de défense des droits fondamentaux. L’aide humanitaire commence à se penser comme un droit des victimes et un devoir de la communauté internationale. Des agences onusiennes comme l’UNICEF (pour l’enfance) ou le HCR (pour les réfugiés) sont créées et collaborent étroitement avec les ONG privées pour distribuer l’aide sur le terrain.

Cependant, les années 1950 et 1960 sont aussi marquées par le processus de décolonisation. De nouveaux États apparaissent, souvent fragiles et sous-développés économiquement. La notion d’aide d’urgence (pour répondre à une catastrophe) commence à être complétée par la notion d’aide au développement (pour construire des infrastructures durables). C’est la naissance du « tiers-mondisme », un courant de pensée qui prône la solidarité entre le Nord riche et le Sud pauvre.

📌 L’Abbé Pierre et l’insurrection de la bonté (1954)

Avant de regarder vers le tiers-monde, la France connaît un moment fondateur de son histoire sociale interne. L’hiver 1954 est terrible. Le 1er février, l’Abbé Pierre lance sur Radio Luxembourg son célèbre appel : « Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit ». Cet appel déclenche une vague de dons et de bénévolat sans précédent, qu’on appellera « l’insurrection de la bonté ». Les Français apportent couvertures, argent et aide aux Compagnons d’Emmaüs.

Cet événement est capital car il montre la puissance de la médiatisation d’une cause. L’Abbé Pierre force le gouvernement à agir (vote en urgence de crédits pour le logement) en mobilisant l’opinion publique. Il démontre que l’association bénévole peut être un aiguillon politique efficace, capable de faire honte à l’État pour ses manquements. Emmaüs devient un modèle d’insertion par le travail et la solidarité, prouvant que le bénévolat peut être un outil de réintégration sociale et pas seulement de survie.

Cette dynamique nationale va bientôt se projeter à l’international. Dans les années 1960, des associations comme le CCFD-Terre Solidaire (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement) voient le jour. Elles ne se contentent pas d’envoyer de la nourriture, mais financent des projets agricoles et éducatifs dans les pays du Sud, en s’appuyant sur des partenaires locaux. On passe de l’assistanat au partenariat.

📌 Le tournant des années 1960 : un engagement politique

Les années 1960 sont une décennie de bouillonnement politique intense. La jeunesse occidentale se mobilise contre la guerre du Vietnam, pour les droits civiques et critique l’impérialisme. C’est le terreau fertile des mobilisations que l’on retrouve dans le cluster sur Mai 68 et les mouvements sociaux. Dans ce contexte, l’engagement dans une ONG devient pour beaucoup une forme de militantisme politique. Aller construire une école au Nicaragua ou soigner des paysans au Burkina Faso est perçu comme une manière concrète de lutter contre les inégalités mondiales.

Des organisations laïques de volontariat se développent, comme l’Association Française des Volontaires du Progrès (ancêtre de France Volontaires). Le profil du bénévole change : il est plus jeune, souvent étudiant ou jeune diplômé, et politisé. Il cherche à comprendre les causes structurelles de la pauvreté (colonialisme, échanges commerciaux inéquitables) plutôt qu’à simplement en soigner les symptômes. C’est l’âge d’or du tiers-mondisme politique.

Cependant, un drame en Afrique va venir fracturer ce paysage humanitaire et donner naissance à une nouvelle génération d’ONG, beaucoup plus agressives médiatiquement et politiquement : c’est la guerre du Biafra.

🎨 La révolution des « French Doctors » et le droit d’ingérence

📌 Biafra 1968 : la fin du silence et la naissance de MSF

La guerre du Biafra (1967-1970), une province sécessionniste du Nigeria, est le creuset de l’humanitaire contemporain français. Le blocus imposé par l’armée nigériane provoque une famine effroyable qui tue des centaines de milliers de civils, notamment des enfants. Des médecins français, recrutés par la Croix-Rouge, partent sur place, dont un certain Bernard Kouchner. Ils sont témoins des massacres et de la famine utilisée comme arme de guerre. Or, le mandat de la Croix-Rouge leur impose une stricte neutralité et le silence pour pouvoir continuer à opérer avec l’accord du gouvernement nigérian.

Refusant d’être complices par leur silence, ces médecins décident de rompre leur contrat et de parler aux médias. Ils lancent des appels vibrants à l’opinion internationale, comparant la situation à un génocide (bien que le terme soit discuté par les historiens aujourd’hui). De cette révolte naît, en 1971, l’association Médecins Sans Frontières (MSF). C’est une rupture fondamentale dans l’histoire des ONG et bénévolat : l’aide médicale d’urgence ne doit plus être subordonnée à l’accord des États. Le principe est clair : soigner et témoigner (le temoignage devient un pilier de l’action).

MSF invente le « sans-frontiérisme ». L’ONG s’affranchit des frontières étatiques pour aller porter secours aux victimes, même illégalement si nécessaire. C’est une philosophie de l’action directe, rapide, hyper-logistique, qui tranche avec la lourdeur des agences onusiennes ou la discrétion du CICR. D’autres ONG suivront ce modèle, comme Médecins du Monde (créée en 1980 après une scission au sein de MSF) ou Action Contre la Faim.

📌 Le concept de « Droit d’ingérence » humanitaire

Dans les années 1980, cette philosophie va se théoriser sous le nom de « droit d’ingérence ». Porté par des intellectuels comme Jean-François Revel et des humanitaires comme Bernard Kouchner (devenu homme politique), ce concept affirme que la communauté internationale a le droit, voire le devoir, d’intervenir à l’intérieur des frontières d’un État si celui-ci massacre sa propre population ou la laisse mourir. La souveraineté des États ne doit pas être un rempart protégeant les tyrans.

Cette idée gagne du terrain à l’ONU. En 1988, l’Assemblée générale vote la résolution 43/131 qui consacre le principe du « libre accès aux victimes » lors de catastrophes naturelles ou de situations d’urgence. C’est une victoire diplomatique majeure pour la diplomatie humanitaire française. Dans les années 1990, après la fin de la Guerre froide, le Conseil de sécurité autorisera plusieurs interventions militaires au nom de l’humanitaire (Somalie, Bosnie, Rwanda), avec des succès très mitigés et parfois des conséquences désastreuses.

Si le « droit d’ingérence » est aujourd’hui critiqué (car souvent perçu comme un outil de domination occidentale par les pays du Sud), il a profondément marqué l’évolution des normes internationales. Il a légitimé l’action des ONG comme acteurs géopolitiques à part entière, capables de défier les États sur le terrain moral.

📌 Le dilemme des humanitaires : neutralité ou prise de parti ?

Cette nouvelle posture a cependant créé des dilemmes éthiques complexes. En intervenant dans des zones de conflit, les ONG peuvent être manipulées. L’exemple le plus tragique est celui des camps de réfugiés rwandais au Zaïre (RDC) après le génocide de 1994. Les ONG humanitaires y ont nourri et soigné des centaines de milliers de réfugiés, mais parmi eux se cachaient les génocidaires hutus qui utilisaient l’aide internationale pour se refaire une santé militaire et contrôler la population des camps. MSF a alors pris la décision historique de se retirer des camps pour ne pas devenir « complice » du réarmement des tueurs, tandis que d’autres ONG restaient au nom de l’impératif de survie.

Ce débat traverse tout le secteur : faut-il aider tout le monde, tout le temps, au risque de prolonger le conflit ? Ou faut-il dénoncer et partir ? L’histoire récente des mobilisations citoyennes montre que cette tension entre action immédiate et réflexion politique est toujours vive. Les bénévoles qui partent en mission aujourd’hui sont formés à ces questions complexes ; l’idéalisme naïf des débuts a laissé place à une éthique de la responsabilité.

🌍 Professionnalisation et médiatisation de l’humanitaire

📌 L’ère du « Charity Business » et le rôle des médias

Les années 1980 marquent l’entrée de l’humanitaire dans l’ère médiatique de masse. La famine en Éthiopie (1984-1985) est le point d’orgue de cette tendance. Des images d’enfants squelettiques inondent les journaux télévisés occidentaux. Le chanteur Bob Geldof organise le concert Live Aid, un événement planétaire retransmis dans le monde entier, qui lève des sommes colossales. C’est la naissance du « Charity Business » : l’utilisation des codes du spectacle et du marketing pour vendre la cause humanitaire.

Les ONG se dotent de services de communication performants, lancent des campagnes d’affichage chocs, et font appel au « street marketing » pour recruter des donateurs dans la rue. Cette course aux fonds est nécessaire car les opérations deviennent de plus en plus coûteuses (avions-cargos, hôpitaux de campagne sophistiqués, télécommunications par satellite). Mais elle entraîne aussi une concurrence féroce entre les associations pour capter « le marché de la générosité » lors des grandes crises (tsunami de 2004, séisme en Haïti en 2010).

En France, cette médiatisation touche aussi la solidarité nationale avec la création des Restos du Cœur par Coluche en 1985. Là encore, c’est une personnalité du spectacle qui utilise sa notoriété pour forcer la main aux politiques et mobiliser les citoyens. L’adoption de la « loi Coluche » (qui permet de déduire les dons de ses impôts) est une victoire directe de cette pression citoyenne. Cela montre que l’engagement bénévole sait utiliser les armes de la société du spectacle pour être efficace.

📌 De l’amateurisme à l’expert humanitaire

Face à la complexité des terrains d’intervention, la bonne volonté ne suffit plus. Dans les années 1970, on partait avec un sac à dos et son diplôme de médecin ou d’infirmier. Aujourd’hui, l’humanitaire est devenu un métier. Les ONG recherchent des profils ultra-spécialisés : logisticiens, administrateurs, ingénieurs en eau et assainissement (WASH), experts en protection de l’enfance, juristes internationaux. Des écoles et des masters spécialisés en action humanitaire se sont multipliés (comme l’Institut Bioforce à Lyon).

Cette professionnalisation a transformé le statut des intervenants. Le bénévole expatrié (qui ne touchait qu’une petite indemnité) a souvent laissé la place au volontaire de solidarité internationale (VSI) avec un statut légal protecteur, voire au salarié expatrié. Sur le terrain, la grande majorité des équipes est désormais composée de « staffs nationaux » (des employés locaux), qui sont souvent les plus exposés aux risques de sécurité. Le rôle de l’expatrié occidental a évolué vers de la coordination et du management.

Cette évolution pose la question de la distance qui se crée entre le « professionnel de l’aide » et les populations aidées. L’humanitaire est devenu un secteur économique à part entière, avec ses codes, ses carrières et sa bureaucratie. Cela peut parfois susciter une certaine méfiance des populations locales, qui voient débarquer des 4×4 blancs et des experts payés en devises fortes, créant une économie artificielle dans des zones de crise.

📌 Transparence et critique de l’aide

Avec l’argent public et privé qui afflue, l’exigence de transparence a explosé. Les scandales financiers (détournements de fonds, frais de fonctionnement excessifs) ont poussé le secteur à se réguler. En France, le Comité de la Charte du don en confiance labellise les associations qui respectent des règles de gestion rigoureuses. Le donateur veut savoir où va son argent. Tu peux consulter les rapports d’activité sur les sites des grandes institutions culturelles et sociales via le Ministère de la Culture pour voir comment la transparence est gérée.

Au-delà de l’argent, c’est l’efficacité même de l’aide qui est questionnée. L’aide au développement a-t-elle vraiment permis aux pays du Sud de décoller ? Ou a-t-elle maintenu une forme de dépendance néo-coloniale ? Des voix critiques s’élèvent au Sud pour demander la fin de l’assistanat et des relations commerciales plus justes plutôt que de la charité. C’est tout le débat actuel sur la « localisation de l’aide », qui vise à donner le pouvoir de décision et les financements directement aux ONG locales du Sud, plutôt qu’aux grandes enseignes internationales basées à Paris, Londres ou Genève.

🤝 Les nouveaux visages de l’engagement citoyen

📌 Le Service Civique et l’engagement des jeunes

Si l’expatriation humanitaire s’est professionnalisée, le désir d’engagement, lui, reste intact, particulièrement chez les jeunes. En France, la création du Service Civique en 2010 a été une réponse institutionnelle majeure à cette soif d’action. Il permet aux jeunes de 16 à 25 ans de s’engager pour une mission d’intérêt général de 6 à 12 mois, indemnisée par l’État. C’est un succès massif : des centaines de milliers de jeunes ont effectué des missions dans la solidarité, l’environnement, la culture ou le sport.

Ce dispositif permet de démocratiser l’engagement. Il n’est plus nécessaire d’être un expert ou d’avoir de l’argent pour partir aider. Le Service Civique revalorise la notion de citoyenneté active. Il fait écho aux débats sur le droit de vote des jeunes, en montrant que la jeunesse est prête à prendre des responsabilités concrètes dans la cité avant même d’avoir tous les attributs du pouvoir politique.

D’autres formes d’engagement existent, comme le Corps européen de solidarité, qui permet de faire du bénévolat dans toute l’Union européenne. L’Europe tente ainsi de créer une identité commune par la solidarité, en s’appuyant sur les ressources de l’Union européenne.

📌 Le bénévolat de proximité et l’urgence sociale en France

L’histoire des ONG ne se joue pas qu’à l’autre bout du monde. Avec la crise économique et sociale, les besoins en France ont explosé. Les grandes associations caritatives (Secours Populaire, Secours Catholique, Croix-Rouge française, Restos du Cœur) reposent sur des armées de bénévoles, souvent retraités, mais de plus en plus diversifiés. On observe un retour au « bénévolat de proximité » : maraudes auprès des sans-abris, aide aux migrants (comme à Calais ou à Paris), soutien scolaire dans les quartiers populaires.

La crise des migrants en 2015 a vu naître une multitude de collectifs citoyens informels, en dehors des grandes structures traditionnelles. Des citoyens ont ouvert leurs portes, organisé des convois de vêtements, bravant parfois la loi pour aider. Cela rappelle que l’élan solidaire précède souvent l’institutionnalisation. Cet engagement local est souvent le premier pas vers une conscience politique plus large, liant les problèmes locaux aux désordres mondiaux.

📌 L’e-bénévolat et l’activisme numérique

Enfin, le XXIe siècle a vu naître l’engagement numérique. On peut désormais être un « cyber-bénévole ». Cela va de la traduction de documents pour des ONG, à la cartographie de zones de crise sur OpenStreetMap après un séisme (pour aider les secours à se repérer), en passant par le militantisme sur les réseaux sociaux (campagnes de pétitions, « slacktivism »). Si certaines formes demandent peu d’effort, d’autres sont cruciales : les lanceurs d’alerte et les hackers éthiques jouent un rôle croissant dans la défense des droits de l’homme.

L’histoire des ONG et bénévolat est donc une histoire en perpétuel mouvement. Partie de la charité religieuse, elle a traversé l’ère des héros humanitaires et des bâtisseurs, pour arriver à une phase de maturité complexe, où coexistent des multinationales de l’aide et des micro-collectifs citoyens. Mais le moteur reste le même : le refus de l’indifférence face à la souffrance de l’autre.