đŻ Pourquoi lâenseignement de la colonisation est-il un sujet brĂ»lant ?
Lâenseignement de la colonisation constitue aujourdâhui lâun des dĂ©fis majeurs de lâĂducation nationale en France, cristallisant des tensions mĂ©morielles vives au sein de la sociĂ©tĂ©. Longtemps envisagĂ©e sous lâangle unique de la « mission civilisatrice » sous la IIIe RĂ©publique, puis partiellement occultĂ©e aprĂšs les indĂ©pendances, cette thĂ©matique a opĂ©rĂ© un retour en force dans les programmes scolaires depuis les annĂ©es 1990. Comprendre comment lâĂ©cole aborde cette histoire, câest plonger au cĆur de la fabrique du citoyen et des dĂ©bats sur lâidentitĂ© française contemporaine.
đïž Dans cet article, tu vas dĂ©couvrir :
- đïž Le temps de la propagande scolaire (1880-1960)
- đ¶ Lâeffacement et lâoubli relatif (1962-1980)
- đ Le rĂ©veil des mĂ©moires et les nouveaux programmes
- đ Comment on enseigne la colonisation aujourd’hui
- đ Les dĂ©fis pĂ©dagogiques pour les enseignants
- đ€ LâĂ©cole face aux dĂ©bats de sociĂ©tĂ©
- đ§ Ă retenir
- â FAQ
- đ§© Quiz
đ Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre les racines de cet enseignement.
đïž Le temps de la propagande scolaire (1880-1960)
đ LâĂ©cole de la RĂ©publique au service de lâEmpire
Durant la IIIe RĂ©publique, lâenseignement de la colonisation ne visait pas Ă dĂ©velopper lâesprit critique des Ă©lĂšves, mais Ă justifier lâexpansion territoriale de la France. Les manuels scolaires de lâĂ©poque, notamment le cĂ©lĂšbre « Petit Lavisse », prĂ©sentaient la conquĂȘte coloniale comme une nĂ©cessitĂ© patriotique et morale. LâĂ©cole primaire, rendue gratuite, laĂŻque et obligatoire par les lois de Jules Ferry (lui-mĂȘme fervent partisan de lâexpansion coloniale), devenait le principal vecteur de cette idĂ©ologie officielle.
Dans les salles de classe, les cartes de gĂ©ographie murales jouaient un rĂŽle central, affichant en rose ou en violet les vastes Ă©tendues de lâEmpire français, de lâAfrique-Occidentale française (AOF) Ă lâIndochine. Cette omniprĂ©sence visuelle permettait dâancrer dans lâimaginaire des Ă©coliers lâidĂ©e dâune « Plus Grande France », une puissance mondiale dont le rayonnement dĂ©passait les frontiĂšres de lâHexagone. LâĂ©lĂšve apprenait que la France apportait la lumiĂšre, la science et la santĂ© Ă des peuples jugĂ©s « arriĂ©rĂ©s ».
Lâenseignement de la colonisation sâappuyait sur une rhĂ©torique binaire opposant la « civilisation » Ă la « barbarie », lĂ©gitimant ainsi la domination politique et Ă©conomique. Les instituteurs, souvent appelĂ©s les « hussards noirs de la RĂ©publique », relayaient ce discours avec conviction, persuadĂ©s de participer Ă lâĂ©mancipation des peuples colonisĂ©s par la diffusion de la langue et de la culture françaises. CâĂ©tait une histoire Ă©crite par les vainqueurs, pour les futurs administrateurs ou soldats de lâEmpire.
đ Les disciplines mobilisĂ©es : Histoire et GĂ©ographie
Si lâhistoire racontait les Ă©popĂ©es militaires de figures comme Bugeaud, Gallieni ou Lyautey, câest surtout la gĂ©ographie qui servait de support principal Ă lâenseignement de la colonisation. Les Ă©lĂšves apprenaient par cĆur les noms des comptoirs, des fleuves africains et des productions Ă©conomiques (caoutchouc, cacao, phosphates) que la mĂ©tropole tirait de ses colonies. Cette approche utilitariste montrait lâEmpire comme un rĂ©servoir de ressources inĂ©puisables, indispensable Ă la puissance industrielle de la France.
Les manuels de lecture nâĂ©taient pas en reste, proposant des textes exaltant lâexotisme et lâaventure coloniale, souvent teintĂ©s de paternalisme racial. Des ouvrages comme « Le Tour de la France par deux enfants » intĂ©graient progressivement des mentions de lâEmpire, suggĂ©rant que lâidentitĂ© nationale sâĂ©tendait dĂ©sormais outre-mer. Les expositions universelles et coloniales, comme celle de 1931 Ă Paris, Ă©taient souvent lâoccasion de sorties scolaires ou de leçons spĂ©cifiques, renforçant cette propagande par lâimage et la mise en scĂšne spectaculaire.
Il est crucial de noter que cet enseignement occultait totalement la violence de la conquĂȘte, les massacres, le travail forcĂ© ou le code de lâindigĂ©nat. La rĂ©alitĂ© brutale de la domination Ă©tait gommĂ©e au profit dâune vision irĂ©nique oĂč la France, « mĂšre patrie », Ă©duquait ses « enfants » dâoutre-mer. Cette imprĂ©gnation durable explique en partie pourquoi la dĂ©construction de ce mythe a Ă©tĂ© si longue et douloureuse dans les dĂ©cennies suivantes.
đ Une vision hiĂ©rarchisĂ©e des races
Lâun des aspects les plus problĂ©matiques de cet enseignement de la colonisation rĂ©sidait dans la diffusion de thĂ©ories raciales pseudo-scientifiques. Les manuels de sciences naturelles et de gĂ©ographie du dĂ©but du XXe siĂšcle classaient explicitement les populations humaines selon une hiĂ©rarchie raciale, plaçant lâhomme blanc europĂ©en au sommet de lâĂ©volution. Cette classification Ă©tait enseignĂ©e comme une vĂ©ritĂ© scientifique, justifiant le « devoir de civiliser » les races dites infĂ©rieures.
Cette Ă©ducation au racisme, bien que souvent prĂ©sentĂ©e sous un vernis humaniste rĂ©publicain, a profondĂ©ment marquĂ© les mentalitĂ©s de plusieurs gĂ©nĂ©rations de Français. Elle a créé un substrat culturel oĂč lâinĂ©galitĂ© entre le colonisateur et le colonisĂ© semblait naturelle et lĂ©gitime. MĂȘme aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, alors que le racisme biologique commençait Ă ĂȘtre discrĂ©ditĂ© par la science, les stĂ©rĂ©otypes culturels persistaient dans les supports pĂ©dagogiques.
Pour approfondir l’impact culturel de cette pĂ©riode, tu peux consulter notre article sur la mĂ©moire coloniale en France, qui dĂ©taille comment ces reprĂ©sentations ont survĂ©cu bien aprĂšs la fin de l’Empire.
đ¶ Lâeffacement et lâoubli relatif (1962-1980)
đ Le traumatisme de la dĂ©colonisation
Au lendemain des accords dâĂvian en 1962 et de lâindĂ©pendance de lâAlgĂ©rie, lâenseignement de la colonisation a connu une phase de repli et de silence. La France, traumatisĂ©e par huit annĂ©es de guerre et par la perte de son joyau impĂ©rial, a cherchĂ© Ă tourner la page le plus rapidement possible. Dans les programmes scolaires, lâhistoire coloniale est devenue un sujet gĂȘnant, une parenthĂšse que lâon prĂ©fĂ©rait refermer pour se concentrer sur la construction europĂ©enne et la modernisation Ă©conomique.
Cette pĂ©riode, souvent qualifiĂ©e dâ »amnĂ©sie » par les historiens, ne signifie pas que le sujet a totalement disparu des manuels, mais son traitement a radicalement changĂ©. La colonisation nâĂ©tait plus cĂ©lĂ©brĂ©e, mais elle nâĂ©tait pas non plus critiquĂ©e de maniĂšre frontale ; elle Ă©tait plutĂŽt minimisĂ©e. Lâaccent Ă©tait mis sur la dĂ©colonisation prĂ©sentĂ©e comme un processus inĂ©luctable et finalement consenti par la France, masquant ainsi la violence des guerres dâindĂ©pendance au Cameroun, Ă Madagascar ou en AlgĂ©rie.
Les programmes des annĂ©es 1960 et 1970 privilĂ©giaient une histoire Ă©conomique et sociale centrĂ©e sur lâHexagone et lâEurope. La « grandeur de la France » ne passait plus par lâEmpire, mais par sa place dans le concert des nations industrielles et par le projet europĂ©en. LâEmpire colonial Ă©tait souvent relĂ©guĂ© Ă quelques paragraphes ou chapitres de fin de manuel, que les enseignants, faute de temps, traitaient souvent de maniĂšre expĂ©ditive.
đ Une histoire sans guerre d’AlgĂ©rie
Le cas de la guerre dâAlgĂ©rie est emblĂ©matique de cet effacement dans lâenseignement de la colonisation. Jusquâau dĂ©but des annĂ©es 1980, le terme mĂȘme de « guerre » nâĂ©tait pas utilisĂ© officiellement ; on parlait « dâĂ©vĂ©nements », « dâopĂ©rations de maintien de lâordre » ou de « pacification ». Cette terminologie euphĂ©misante, reprise dans les manuels, empĂȘchait les Ă©lĂšves de comprendre la nature rĂ©elle du conflit qui avait pourtant mobilisĂ© leurs pĂšres ou grands-pĂšres.
Cette occultation rĂ©pondait Ă une volontĂ© politique de rĂ©conciliation nationale, Ă©vitant de rouvrir les plaies entre les diffĂ©rents groupes concernĂ©s : appelĂ©s du contingent, pieds-noirs, harkis et immigrĂ©s algĂ©riens. LâĂ©cole rĂ©publicaine, soucieuse de cohĂ©sion, Ă©vitait les sujets qui fĂąchent. Cependant, ce silence institutionnel a laissĂ© le champ libre Ă la transmission des mĂ©moires familiales, souvent antagonistes et douloureuses, crĂ©ant un fossĂ© entre lâhistoire enseignĂ©e et lâhistoire vĂ©cue.
Il a fallu attendre les annĂ©es 1980 pour que la recherche historique universitaire commence Ă pĂ©nĂ©trer timidement les programmes du secondaire. Des historiens comme Benjamin Stora ou Pierre Vidal-Naquet ont jouĂ© un rĂŽle clĂ© pour que la rĂ©alitĂ© des faits commence Ă ĂȘtre documentĂ©e et transmise, mais le chemin vers une intĂ©gration scolaire complĂšte a Ă©tĂ© long.
Cette pĂ©riode de latence explique pourquoi les dĂ©bats ont ressurgi avec tant de force plus tard, comme nous l’expliquons dans l’article sur les tĂ©moignages dâanciens coloniaux, qui ont souvent comblĂ© le vide laissĂ© par l’Ă©cole.
đ Le rĂ©veil des mĂ©moires et les nouveaux programmes (1990-2010)
đ Le tournant des annĂ©es 1990
Les annĂ©es 1990 marquent une rupture dĂ©cisive dans lâenseignement de la colonisation. Sous la pression des associations mĂ©morielles, dâune nouvelle gĂ©nĂ©ration dâhistoriens et de lâĂ©volution de la sociĂ©tĂ© française devenue multiculturelle, lâĂ©cole ne pouvait plus ignorer ce passĂ©. La reconnaissance officielle de la « guerre dâAlgĂ©rie » par lâĂtat français en 1999 a levĂ© un verrou symbolique majeur, autorisant enfin les manuels Ă utiliser les mots justes.
Les programmes scolaires ont Ă©tĂ© progressivement rĂ©visĂ©s pour accorder une place plus large et plus complexe au fait colonial. Il ne sâagissait plus seulement de raconter la conquĂȘte ou la dĂ©colonisation, mais dâanalyser le systĂšme colonial en lui-mĂȘme : son fonctionnement, ses injustices, ses Ă©changes et ses consĂ©quences durables. Lâapproche est devenue plus critique, sâĂ©loignant dĂ©finitivement du rĂ©cit hagiographique de la IIIe RĂ©publique.
Cette Ă©volution sâest accompagnĂ©e dâune demande sociale forte pour que lâhistoire enseignĂ©e reflĂšte la diversitĂ© des Ă©lĂšves prĂ©sents dans les classes. Les enfants issus de lâimmigration post-coloniale rĂ©clamaient que lâhistoire de leurs parents et grands-parents soit reconnue et enseignĂ©e. LâĂ©cole est ainsi devenue un lieu de confrontation des mĂ©moires, obligeant lâinstitution Ă adapter ses contenus.
đ La loi de 2005 : une polĂ©mique rĂ©vĂ©latrice
Lâenseignement de la colonisation a Ă©tĂ© propulsĂ© au cĆur du dĂ©bat public avec la loi du 23 fĂ©vrier 2005. Son article 4 stipulait que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rĂŽle positif de la prĂ©sence française outre-mer ». Cette tentative du lĂ©gislateur dâimposer une histoire officielle a provoquĂ© un tollĂ© chez les historiens et les enseignants, qui y ont vu une atteinte grave Ă leur libertĂ© pĂ©dagogique et Ă la vĂ©ritĂ© historique.
Face Ă la mobilisation massive des milieux universitaires et Ă©ducatifs, le prĂ©sident Jacques Chirac a finalement fait abroger cet article controversĂ© par dĂ©cret en 2006. Cependant, cet Ă©pisode a mis en lumiĂšre la sensibilitĂ© extrĂȘme du sujet. Il a paradoxalement eu un effet bĂ©nĂ©fique : il a stimulĂ© la rĂ©flexion sur la maniĂšre dâenseigner cette pĂ©riode et a encouragĂ© la production de nouvelles ressources pĂ©dagogiques plus rigoureuses.
Depuis cet incident, les programmes ont continuĂ© d’Ă©voluer pour intĂ©grer une histoire plus globale, connectĂ©e, et moins centrĂ©e sur le seul point de vue mĂ©tropolitain. Pour comprendre les implications lĂ©gislatives de cette pĂ©riode, tu peux te rĂ©fĂ©rer Ă l’article sur les polĂ©miques politiques et le colonialisme.
đ Comment on enseigne la colonisation aujourd’hui
đ Au collĂšge : poser les bases
Aujourdâhui, lâenseignement de la colonisation commence vĂ©ritablement au collĂšge, principalement en classe de QuatriĂšme. Le thĂšme « ConquĂȘtes et sociĂ©tĂ©s coloniales » invite les Ă©lĂšves Ă Ă©tudier le processus de colonisation au XIXe siĂšcle. Lâobjectif nâest plus de faire une liste exhaustive des territoires, mais de comprendre par lâexemple comment fonctionnait une sociĂ©tĂ© coloniale.
Les enseignants sont incitĂ©s Ă choisir des Ă©tudes de cas concrĂštes, souvent lâAlgĂ©rie (colonie de peuplement) ou parfois Madagascar ou lâIndochine. On y Ă©tudie le statut des personnes (citoyens vs sujets), lâĂ©conomie de plantation, lâurbanisme sĂ©grĂ©guĂ© et les rĂ©sistances locales. Lâaccent est mis sur la domination europĂ©enne et le partage du monde entre les puissances impĂ©riales, tout en montrant que cette domination nâa jamais Ă©tĂ© totale ni acceptĂ©e passivement.
En classe de TroisiĂšme, le sujet revient Ă travers lâĂ©tude de la dĂ©colonisation et de la construction des nouveaux Ătats. On analyse les diffĂ©rentes voies dâaccĂšs Ă lâindĂ©pendance (nĂ©gociation ou guerre) et les dĂ©fis du tiers-monde. Lâhistoire est ainsi connectĂ©e aux enjeux gĂ©opolitiques de la guerre froide, offrant une vision plus globale.
đ Au lycĂ©e : approfondissement et complexitĂ©
Au lycĂ©e, lâenseignement de la colonisation se complexifie, notamment en classes de PremiĂšre et de Terminale (voies gĂ©nĂ©rale et technologique). Le programme aborde les « sociĂ©tĂ©s coloniales » en insistant sur les interactions, les tensions et les ambiguĂŻtĂ©s. On ne parle plus seulement de domination brute, mais aussi dâĂ©changes culturels inĂ©gaux, de mĂ©tissages et de la circulation des idĂ©es anticolonialistes.
En Terminale, la guerre dâAlgĂ©rie occupe une place de choix dans le chapitre sur « Les chemins de la puissance » ou dans les thĂšmes spĂ©cifiques sur les mĂ©moires (notamment en spĂ©cialitĂ© HGGSP). Les Ă©lĂšves sont amenĂ©s Ă rĂ©flĂ©chir sur la construction de la mĂ©moire, lâusage des archives et le rĂŽle de lâhistorien face aux mĂ©moires blessĂ©es. Câest une approche historiographique qui forme lâesprit critique.
Le site institutionnel Eduscol fournit aux enseignants des fiches ressources trĂšs prĂ©cises pour aborder ces questions dĂ©licates, insistant sur la nĂ©cessitĂ© de distinguer lâhistoire (science du passĂ©) de la mĂ©moire (rapport affectif au passĂ©). Cette distinction est cruciale pour apaiser les dĂ©bats en classe.
đ L’apport de l’Enseignement Moral et Civique (EMC)
Lâenseignement de la colonisation ne se limite pas aux cours dâhistoire-gĂ©ographie. Il trouve aussi un Ă©cho en Enseignement Moral et Civique (EMC), oĂč sont abordĂ©es les questions de racisme, de discrimination et de laĂŻcitĂ©. Comprendre les racines historiques des prĂ©jugĂ©s racistes, forgĂ©s durant la pĂ©riode coloniale, est essentiel pour lutter contre les discriminations actuelles.
LâĂ©cole utilise Ă©galement des projets interdisciplinaires (EPI au collĂšge) ou des parcours culturels pour aborder le sujet via la littĂ©rature (CĂ©saire, Senghor, Camus) ou les arts. Cette approche transversale permet aux Ă©lĂšves de saisir la dimension culturelle et humaine de la colonisation, au-delĂ des simples faits politiques.
đ Les dĂ©fis pĂ©dagogiques pour les enseignants
đ Enseigner des « questions socialement vives »
Lâenseignement de la colonisation fait partie de ce que les didacticiens appellent les « questions socialement vives ». Ce sont des sujets qui font dĂ©bat dans la sociĂ©tĂ© et qui peuvent susciter des rĂ©actions Ă©motionnelles fortes en classe. Lâenseignant se trouve souvent en premiĂšre ligne face Ă des Ă©lĂšves dont les mĂ©moires familiales peuvent ĂȘtre contradictoires : descendants de colonisĂ©s, de pieds-noirs, de harkis ou dâimmigrĂ©s europĂ©ens.
Le dĂ©fi est de crĂ©er un espace de dialogue serein oĂč la parole peut circuler sans que le cours ne se transforme en tribunal. Lâenseignant doit veiller Ă ne pas hiĂ©rarchiser les souffrances, tout en rappelant la vĂ©ritĂ© historique des faits Ă©tablis par la recherche. Il sâagit dâexpliquer le systĂšme de domination sans culpabiliser les Ă©lĂšves dâaujourdâhui pour les actes du passĂ©, ni enfermer dâautres Ă©lĂšves dans un statut perpĂ©tuel de victime.
Pour cela, lâutilisation de documents sources variĂ©s (textes de lois, tĂ©moignages, affiches de propagande, chansons) est primordiale. Elle permet de mettre de la distance et dâanalyser les mĂ©canismes de lâĂ©poque. Le recours aux ressources de sites comme Lumni aide Ă visualiser ces documents et Ă contextualiser les Ă©vĂ©nements.
đ Le piĂšge de la concurrence des mĂ©moires
Un risque majeur dans lâenseignement de la colonisation est la concurrence des mĂ©moires. Certains Ă©lĂšves peuvent avoir le sentiment que « leur » histoire est oubliĂ©e ou mal traitĂ©e par rapport Ă dâautres tragĂ©dies historiques comme la Shoah. Lâenseignant doit expliquer la spĂ©cificitĂ© de chaque Ă©vĂ©nement sans les opposer. Il doit montrer que la reconnaissance des crimes coloniaux (esclavage, massacres) ne diminue pas la gravitĂ© d’autres crimes contre l’humanitĂ©.
La question des « repentances » revient souvent. LâĂ©cole nâa pas pour mission de demander pardon ou de faire acte de repentance au nom de lâĂtat, mais dâenseigner ce qui sâest passĂ© avec luciditĂ©. Cette nuance est parfois difficile Ă faire comprendre aux familles ou aux groupes de pression qui voudraient instrumentaliser lâĂ©cole Ă des fins politiques.
Câest ici que les liens avec les reconnaissances et rĂ©parations prennent tout leur sens pĂ©dagogique : expliquer aux Ă©lĂšves la diffĂ©rence entre une rĂ©paration morale, juridique et le travail de lâhistorien.
đ La formation des enseignants
Pour relever ces dĂ©fis, la formation des enseignants est cruciale. Longtemps, les professeurs dâhistoire ont Ă©tĂ© peu formĂ©s sur les spĂ©cificitĂ©s de lâhistoire coloniale, apprenant souvent « sur le tas » ou par intĂ©rĂȘt personnel. Aujourdâhui, les INSPE (Instituts nationaux supĂ©rieurs du professorat et de l’Ă©ducation) et la formation continue intĂšgrent davantage ces modules, appuyĂ©s par une historiographie trĂšs dynamique.
Les enseignants disposent dĂ©sormais dâoutils scientifiques solides pour dĂ©construire les stĂ©rĂ©otypes. Ils apprennent Ă gĂ©rer la parole des Ă©lĂšves, Ă dĂ©miner les conflits et Ă utiliser la complexitĂ© historique comme un outil dâĂ©ducation Ă la citoyennetĂ©. Lâobjectif final est de permettre aux Ă©lĂšves de construire une mĂ©moire partagĂ©e, apaisĂ©e, qui intĂšgre toutes les composantes de lâhistoire de France.
đ€ LâĂ©cole face aux dĂ©bats de sociĂ©tĂ©
đ Les dĂ©bats sur les statues et les noms de rues
LâactualitĂ© rĂ©cente, marquĂ©e par les mouvements comme Black Lives Matter ou les dĂ©bats sur le dĂ©boulonnage des statues, sâinvite rĂ©guliĂšrement dans lâenseignement de la colonisation. Les Ă©lĂšves interrogent leurs professeurs sur la lĂ©gitimitĂ© de conserver des statues de Colbert, Gallieni ou Bugeaud dans lâespace public. Ces questions offrent des opportunitĂ©s pĂ©dagogiques formidables pour faire de lâhistoire in situ.
PlutĂŽt que dâĂ©luder le sujet, les enseignants peuvent organiser des sorties ou des enquĂȘtes sur les traces coloniales dans leur ville (noms de rues, monuments). Cela permet de concrĂ©tiser lâhistoire et de montrer que le passĂ© colonial est inscrit dans le paysage quotidien des Français. Analyser pourquoi une statue a Ă©tĂ© Ă©rigĂ©e Ă une Ă©poque donnĂ©e permet de comprendre les valeurs de cette Ă©poque, sans pour autant les valider aujourdâhui.
Pour approfondir ce point prĂ©cis, lâarticle sur les dĂ©bats sur les statues coloniales constitue une ressource complĂ©mentaire essentielle pour les Ă©lĂšves curieux.
đ MusĂ©es et sorties scolaires
LâĂ©cole sâappuie de plus en plus sur des partenaires extĂ©rieurs pour enrichir lâenseignement de la colonisation. Les visites de musĂ©es comme le MusĂ©e de lâHistoire de lâimmigration (Palais de la Porte DorĂ©e, ancien musĂ©e des colonies) ou le MĂ©morial de la Shoah (qui traite aussi des gĂ©nocides et violences de masse) permettent une approche sensible et matĂ©rielle de lâhistoire.
Ces institutions proposent des parcours pĂ©dagogiques adaptĂ©s qui confrontent les Ă©lĂšves Ă des objets, des Ćuvres dâart et des archives. Voir une affiche de propagande coloniale « en vrai » ou Ă©couter le tĂ©moignage enregistrĂ© dâun acteur de lâĂ©poque a souvent plus dâimpact quâun simple cours magistral. Ces sorties participent Ă la construction dâune culture historique vivante.
Tu peux découvrir les lieux clés de cette mémoire dans notre dossier sur les monuments et musées coloniaux, qui recense les sites pédagogiques majeurs.
đ Perspectives comparĂ©es et avenir
đ Et chez nos voisins ?
Il est intĂ©ressant de mettre en perspective lâenseignement de la colonisation en France avec celui dâautres anciennes puissances coloniales. En Allemagne, le travail de mĂ©moire sur le gĂ©nocide des Hereros et Namas (en actuelle Namibie) commence Ă entrer dans les manuels, bien que lâombre de la Shoah reste prĂ©dominante. Au Royaume-Uni, les dĂ©bats sont Ă©galement vifs sur lâenseignement de lâEmpire britannique, souvent perçu de maniĂšre plus positive quâen France, bien que des mouvements rĂ©cents (« Rhodes Must Fall ») remettent en cause cette vision.
La Belgique a entamĂ© un travail critique important sur la colonisation du Congo, notamment via la rĂ©novation du MusĂ©e de lâAfrique Ă Tervuren et des commissions parlementaires, ce qui se rĂ©percute progressivement dans les Ă©coles. Comparer ces approches permet aux Ă©lĂšves français de comprendre que leur pays nâest pas un cas isolĂ© et que la gestion du passĂ© colonial est un enjeu europĂ©en et mondial.
đ Vers une histoire apaisĂ©e ?
Lâavenir de lâenseignement de la colonisation rĂ©side sans doute dans la capacitĂ© Ă tisser une histoire commune qui ne soit ni une repentance perpĂ©tuelle ni une glorification nostalgique. Les historiens plaident pour une histoire « à parts Ă©gales », qui donne la voix aussi bien aux colonisateurs quâaux colonisĂ©s, et qui montre la complexitĂ© des interactions.
LâintĂ©gration croissante de lâhistoire globale (World History) dans les programmes français va dans ce sens. En replaçant la colonisation française dans le contexte mondial des empires et des flux Ă©conomiques, on sort du face-Ă -face traumatique franco-algĂ©rien ou franco-africain pour comprendre les dynamiques planĂ©taires. Câest un gage dâapaisement et dâintellection pour les gĂ©nĂ©rations futures.
Enfin, l’accĂšs aux archives, facilitĂ© par les rĂ©centes dĂ©cisions gouvernementales (comme l’ouverture des archives sur le Rwanda ou la guerre d’AlgĂ©rie annoncĂ©e par Vie-publique.fr), permettra de renouveler sans cesse les contenus enseignĂ©s, garantissant une histoire toujours plus prĂ©cise et honnĂȘte.
đ§ Ă retenir sur lâenseignement de la colonisation
- Sous la IIIe RĂ©publique, lâĂ©cole Ă©tait un outil de propagande justifiant la « mission civilisatrice » et occultant les violences.
- AprĂšs 1962, une pĂ©riode de silence et dâoubli a marquĂ© les programmes, Ă©vitant de parler de la guerre dâAlgĂ©rie.
- Depuis les annĂ©es 1990 et la loi de 1999 reconnaissant la guerre d’AlgĂ©rie, lâenseignement est devenu critique et central dans les programmes.
- Aujourdâhui, du collĂšge au lycĂ©e, on Ă©tudie les « sociĂ©tĂ©s coloniales » dans toute leur complexitĂ©, en distinguant histoire et mĂ©moire.
â FAQ : Questions frĂ©quentes sur l’enseignement colonial
đ§© La colonisation est-elle obligatoire au programme ?
Oui, l’enseignement de la colonisation et de la dĂ©colonisation est obligatoire au collĂšge (4Ăšme, 3Ăšme) et au lycĂ©e (1Ăšre, Terminale), tant dans les filiĂšres gĂ©nĂ©rales que professionnelles.
đ§© Les profs ont-ils le droit de critiquer la colonisation ?
Les enseignants doivent respecter la neutralitĂ© et s’appuyer sur la recherche historique. Ils n’ont pas Ă juger moralement, mais ils doivent exposer les faits, y compris les violences, le racisme et l’exploitation, ce qui constitue une analyse critique factuelle.
đ§© Parle-t-on de l’esclavage en mĂȘme temps ?
L’esclavage et la traite nĂ©griĂšre sont gĂ©nĂ©ralement Ă©tudiĂ©s avant, en classe de 4Ăšme (XVIIIe siĂšcle), tandis que la colonisation du XIXe siĂšcle est traitĂ©e dans un chapitre distinct, mĂȘme si les liens idĂ©ologiques (racisme) sont souvent rappelĂ©s.
