📢 Mai 68 et les mouvements sociaux : l’explosion qui a changé la France

🎯 Pourquoi Mai 68 et les mouvements sociaux marquent-ils une rupture historique ?

Au printemps 1968, la France connaît une crise sans précédent qui paralyse le pays entier et fait vaciller le pouvoir du général de Gaulle. Ce qui commence comme une révolte étudiante à Nanterre se transforme rapidement en une grève générale massive, impliquant plus de sept millions de travailleurs et remettant en cause les fondements de la société traditionnelle. Mai 68 et les mouvements sociaux qui y sont associés ne sont pas seulement une parenthèse de désordre, mais un véritable séisme culturel et politique dont les ondes de choc se font encore sentir aujourd’hui. En étudiant cet événement, nous allons comprendre comment la jeunesse et le monde ouvrier ont convergé pour réclamer plus de libertés, d’égalité et de droits nouveaux.

🗂️ Dans cet article, tu vas découvrir :

👉 Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre le contexte de ce thème.

🧭 Une France qui s’ennuie : le contexte explosif des années 60

📌 Les Trente Glorieuses et leurs limites cachées

Pour comprendre l’ampleur de Mai 68 et les mouvements sociaux, il est indispensable de se replacer dans l’atmosphère de la France du général de Gaulle. Nous sommes à l’apogée des Trente Glorieuses, cette période de croissance économique exceptionnelle qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Le chômage est quasi inexistant, le niveau de vie augmente, et la société de consommation s’installe dans les foyers français avec l’arrivée massive de la télévision, de l’automobile et de l’électroménager. Cependant, cette prospérité de façade masque des tensions profondes et un malaise grandissant au sein de la population, en particulier chez les plus jeunes et les ouvriers les moins qualifiés. La modernisation économique rapide contraste violemment avec un conservatisme moral et social figé, hérité du XIXe siècle, où l’autorité du père, du patron et du chef de l’État ne se discute pas. C’est ce décalage entre une société qui se modernise techniquement et des structures sociales rigides qui va créer l’étincelle.

De plus, le monde ouvrier, bien que bénéficiant de la hausse globale du niveau de vie, subit des cadences infernales imposées par la modernisation industrielle et le taylorisme. Les écarts de salaires restent importants, et une partie de la classe ouvrière, notamment les OS (Ouvriers Spécialisés), se sent exclue du partage des richesses. Le sentiment d’injustice grandit dans les usines, où la hiérarchie est souvent militaire et le dialogue social inexistant. Cette frustration latente explique pourquoi la jonction se fera si rapidement entre les étudiants et les travailleurs. On assiste à une usure du pouvoir gaulliste, en place depuis 1958, que l’éditorialiste Pierre Viansson-Ponté résume dans un article célèbre du journal Le Monde en mars 1968 par la formule : « La France s’ennuie ». Ce diagnostic, posé quelques semaines avant l’explosion, souligne le manque de grands projets collectifs exaltants pour une jeunesse qui n’a pas connu la guerre et qui étouffe sous le poids des traditions.

📌 Le baby-boom et la crise de l’université

Un facteur démographique joue un rôle déterminant dans le déclenchement de Mai 68 et les mouvements sociaux : le poids du baby-boom. Les enfants nés après 1945 arrivent à l’âge adulte et engorgent les universités françaises. Le nombre d’étudiants explose, passant de 200 000 en 1960 à plus de 500 000 en 1968, mais les infrastructures ne suivent pas. Les universités sont surpeuplées, les amphithéâtres bondés, et la pédagogie reste magistrale, verticale et distante. Cette « massification » scolaire sans moyens adaptés crée un terreau fertile pour la contestation. Les nouveaux campus, comme celui de Nanterre construit au milieu des bidonvilles de la banlieue parisienne, deviennent des lieux de concentration d’une jeunesse qui se sent parquée et incomprise. L’architecture froide et l’isolement géographique de ces campus favorisent l’émergence d’une vie étudiante autonome, propice à la politisation rapide.

Au-delà des problèmes matériels, c’est le contenu même de l’enseignement et les règles de vie qui sont contestés. Les règlements intérieurs des cités universitaires sont stricts, interdisant notamment la mixité et les visites entre garçons et filles dans les chambres, ce qui est vécu comme une intrusion insupportable dans la vie privée par une jeunesse qui aspire à la liberté sexuelle. Cette revendication, anecdotique en apparence, révèle un fossé générationnel immense entre les jeunes et leurs parents, souvent marqués par l’héritage des Résistants de la Seconde Guerre mondiale. Les jeunes de 1968 ne partagent plus les mêmes codes ni les mêmes références que leurs aînés ; ils sont ouverts sur le monde, influencés par la culture rock anglo-saxonne, les mouvements contestataires américains et l’anti-impérialisme.

📌 Un contexte international effervescent

Il ne faut pas oublier que Mai 68 et les mouvements sociaux s’inscrivent dans une vague de contestation mondiale. La jeunesse française regarde ce qui se passe ailleurs et s’en inspire. Aux États-Unis, les campus s’enflamment contre la guerre du Vietnam et pour les droits civiques ; en Allemagne, les étudiants de la SDS manifestent contre l’autoritarisme ; en Tchécoslovaquie, le « Printemps de Prague » tente de réformer le communisme de l’intérieur. Cette circulation des idées et des images, facilitée par la télévision et la presse, donne aux étudiants français le sentiment d’appartenir à une avant-garde mondiale. La guerre du Vietnam, en particulier, cristallise la colère contre l’impérialisme américain et sert de catalyseur politique pour de nombreux groupes d’extrême gauche (trotskistes, maoïstes, anarchistes) qui se développent dans les universités.

Ces groupes politisés, bien que minoritaires, sont très actifs et organisés. Ils rejettent à la fois le capitalisme occidental et le modèle soviétique bureaucratique, cherchant une « troisième voie » révolutionnaire. Ils vont jouer un rôle de détonateur, transformant le malaise étudiant vague en revendications politiques précises. L’attaque contre les bureaux de l’American Express à Paris pour protester contre la guerre du Vietnam entraîne l’arrestation de plusieurs étudiants, ce qui provoque en réaction l’occupation de la tour administrative de la faculté de Nanterre le 22 mars 1968. C’est la naissance du Mouvement du 22 mars, mené notamment par Daniel Cohn-Bendit, qui va allumer la mèche de la contestation.

🎓 La révolte étudiante : des amphithéâtres aux barricades

📌 De Nanterre à la Sorbonne : l’escalade

Le mois de mai débute par une fermeture administrative. Face à l’agitation croissante menée par le Mouvement du 22 mars, le doyen de la faculté de Nanterre décide de fermer l’établissement le 2 mai. Les étudiants, privés de leur lieu de contestation, convergent alors vers le cœur historique de l’enseignement supérieur français : la Sorbonne, au centre de Paris. Le 3 mai, la police intervient pour évacuer la cour de la Sorbonne occupée par quelques centaines d’étudiants. C’est un événement rarissime, car la police n’a traditionnellement pas le droit d’entrer dans l’enceinte universitaire sans demande expresse, l’université étant considérée comme un sanctuaire. Cette intervention maladroite, suivie d’arrestations, provoque une réaction de solidarité immédiate et massive. Des milliers d’étudiants affluent au Quartier Latin et les premiers affrontements éclatent avec les CRS. Le cycle provocation-répression-solidarité se met en place.

Les jours suivants, les manifestations se multiplient et la violence monte d’un cran. Les étudiants réclament la libération de leurs camarades emprisonnés et la réouverture de la Sorbonne. Le gouvernement, sous-estimant la détermination de la jeunesse, joue la fermeté. Les slogans commencent à fleurir : « Libérez nos camarades ! », « CRS = SS ». La jeunesse étudiante, issue majoritairement de la bourgeoisie, découvre la violence policière et se radicalise. Les pavés sont déchaussés pour servir de projectiles, préfigurant les images emblématiques de Mai 68 et les mouvements sociaux. L’opinion publique parisienne, d’abord surprise, manifeste une certaine sympathie pour ces jeunes qui osent défier l’autorité rigide du pouvoir.

📌 La nuit des barricades : le tournant du 10 mai

Le point de bascule de la révolte étudiante se situe dans la nuit du 10 au 11 mai, entrée dans l’histoire comme la « nuit des barricades ». Ce soir-là, des dizaines de milliers d’étudiants et de lycéens occupent le Quartier Latin. Face au blocage des forces de l’ordre, ils érigent spontanément des dizaines de barricades en utilisant tout ce qu’ils trouvent : voitures retournées, grilles d’arbres, pavés, panneaux de signalisation. La situation est insurrectionnelle. À 2 heures du matin, l’ordre est donné aux CRS de donner l’assaut. Les affrontements sont d’une extrême violence : gaz lacrymogènes, matraquages, jets de pavés, cocktails Molotov. Les riverains, solidaires, offrent de l’eau et du citron aux manifestants pour contrer les effets des gaz, et accueillent les blessés.

Les radios périphériques (Europe 1, RTL) couvrent l’événement en direct, permettant à la France entière de suivre la bataille de rue minute par minute. Cette médiatisation joue un rôle crucial : le pays est choqué par la brutalité de la répression policière contre la jeunesse. Au matin, le Quartier Latin ressemble à un champ de bataille. Le bilan est lourd : des centaines de blessés et d’arrestations. Mais politiquement, le gouvernement a perdu la bataille de l’image. L’émotion est immense. Les syndicats ouvriers et les partis de gauche, qui regardaient jusqu’alors le mouvement étudiant avec méfiance (le jugeant « petit-bourgeois »), ne peuvent plus rester passifs. Ils appellent à une grève générale et à une grande manifestation pour le 13 mai, date anniversaire du retour au pouvoir de de Gaulle en 1958, pour protester contre la répression. C’est la jonction tant redoutée par le pouvoir.

📌 L’occupation de la Sorbonne et la parole libérée

Suite à la pression de la rue et à la grève annoncée, le Premier ministre Georges Pompidou, qui revient d’un voyage en Afghanistan, décide de jouer l’apaisement. Il annonce la réouverture de la Sorbonne et la libération des étudiants. Mais c’est trop tard : la brèche est ouverte. Dès sa réouverture le 13 mai, la Sorbonne est envahie et occupée par les étudiants, qui la transforment en une « Commune étudiante ». C’est un moment unique de démocratie directe et d’effervescence intellectuelle. Des assemblées générales se tiennent en permanence dans le grand amphithéâtre, où chacun a le droit à la parole. On y débat de tout : de la réforme de l’université, de la révolution, de l’amour libre, de la fin du capitalisme. La Sorbonne devient le quartier général de la contestation culturelle.

Des comités d’action se créent partout, l’autogestion est expérimentée. On voit apparaître des pianos dans la cour, des affiches sur les murs, des stands de propagande politique. C’est ici que naît véritablement l’esprit de Mai 68, fait d’utopie, de créativité débridée et de remise en cause radicale de toutes les hiérarchies. Pour en savoir plus sur les mécanismes des révolutions passées qui ont inspiré cette imagerie, tu peux consulter notre article sur les révolutionnaires et le suffrage. L’occupation de la Sorbonne symbolise la prise de pouvoir par la parole. Ce modèle d’occupation va se propager très vite à d’autres lieux symboliques : le théâtre de l’Odéon occupé par les artistes, l’École des Beaux-Arts qui devient l’atelier de production des célèbres affiches sérigraphiées, et bientôt, les usines.

🏭 Le monde ouvrier entre dans la danse : la grève générale

📌 Le 13 mai : la jonction historique

La date du 13 mai 1968 marque le basculement du mouvement étudiant vers une crise sociale nationale. Pour répondre aux violences policières de la nuit des barricades, les grands syndicats (CGT, CFDT, FEN) appellent à une journée de grève générale et de manifestation. Le succès est colossal : à Paris, un immense cortège de plusieurs centaines de milliers de personnes traverse la ville, scandant « Dix ans, ça suffit ! » à l’adresse du général de Gaulle. Dans cette foule, étudiants, lycéens, ouvriers et employés marchent côte à côte. C’est la démonstration que la contestation n’est plus l’affaire d’une minorité d’agités, mais qu’elle touche le cœur du pays. Si les leaders syndicaux comme Georges Séguy (CGT) tentent de maintenir une séparation entre les revendications étudiantes et les revendications ouvrières, la base, elle, fraternise.

Cette journée aurait pu n’être qu’un coup de semonce sans lendemain, comme c’est souvent le cas des grèves de 24 heures. Mais la dynamique est lancée. Les travailleurs, rentrés dans leurs entreprises le lendemain, ne veulent plus reprendre le travail comme avant. Ils sentent que le pouvoir est affaibli et que le moment est opportun pour obtenir des avancées sociales majeures. L’exemple des étudiants qui ont fait reculer le gouvernement en occupant leurs facultés inspire les jeunes ouvriers. La grève ne s’arrête pas le soir du 13 mai ; au contraire, elle ne fait que commencer.

📌 L’occupation des usines : Sud-Aviation et Renault

L’étincelle de la grève illimitée part de la province. Le 14 mai, les ouvriers de l’usine Sud-Aviation à Bouguenais, près de Nantes, décident spontanément d’occuper leur usine et de séquestrer la direction dans ses bureaux. C’est un acte fort, symbolique : les ouvriers prennent le contrôle de leur lieu de travail. Le mouvement fait tache d’huile à une vitesse fulgurante. Le lendemain, c’est l’usine Renault-Cléon en Normandie qui est occupée, puis le 16 mai, le bastion historique de la classe ouvrière française : les usines Renault de Billancourt. Quand le drapeau rouge est hissé sur le toit de Renault-Billancourt, le signal est clair pour tout le monde ouvrier. En quelques jours, sans mot d’ordre centralisé au départ, la France se paralyse.

Les occupations d’usines en Mai 68 ne sont pas tristes. Elles se transforment souvent en lieux de fête et de convivialité. On organise des bals, des tournois de pétanque, des concerts dans les ateliers. Les machines sont à l’arrêt, soigneusement entretenues par les grévistes qui veillent à l’outil de travail. Comme à la Sorbonne, la parole se libère. On discute des conditions de travail, mais aussi de la dignité ouvrière, du mépris des chefs, de la vie. Des étudiants tentent de venir aux portes des usines pour fraterniser, mais la CGT, méfiante envers ces « gauchistes », veille souvent à garder les portes fermées pour ne pas se faire déborder politiquement. Néanmoins, les échanges ont lieu, et l’idée d’une lutte commune progresse.

📌 La France paralysée : 10 millions de grévistes

Vers le 20 mai, la France est totalement à l’arrêt. On estime à environ 7 à 10 millions le nombre de grévistes, ce qui en fait la plus grande grève de l’histoire de France, dépassant largement celle du Front populaire en 1936. Ce ne sont pas seulement les usines qui sont bloquées : les transports (SNCF, RATP) ne fonctionnent plus, l’essence commence à manquer dans les stations-service, les grands magasins ferment, les services publics tournent au ralenti, l’ORTF (la radio-télévision d’État) se met en grève pour réclamer une information libre. Même les artistes, les footballeurs et les fossoyeurs rejoignent le mouvement. Le pays est en suspens. Il n’y a plus de courrier, plus de trains, les poubelles ne sont plus ramassées dans certaines villes.

Cette paralysie totale crée une situation inédite. Le gouvernement semble impuissant, le pouvoir exécutif flotte. La vie quotidienne des Français s’organise avec le système D : covoiturage, entraide de voisinage, circuits courts pour l’alimentation. Paradoxalement, beaucoup de témoins de l’époque racontent que les gens se parlaient beaucoup plus qu’à l’ordinaire, que le stress de la vie moderne avait disparu au profit d’une sorte de temps suspendu. Mais pour le pouvoir politique, la situation devient critique : il ne s’agit plus d’une crise de maintien de l’ordre, mais d’une crise de régime. La question n’est plus seulement sociale, elle devient politique : de Gaulle peut-il rester ?

🏛️ La crise politique et les accords de Grenelle

📌 Les négociations de Grenelle : un échec relatif

Face à la paralysie du pays, le Premier ministre Georges Pompidou prend l’initiative de réunir les syndicats et le patronat pour négocier une sortie de crise. Ces négociations s’ouvrent le 25 mai au ministère du Travail, rue de Grenelle. Pendant plus de 30 heures d’affilée, gouvernement, syndicats (CGT, CFDT, FO…) et représentants du patronat (CNPF) discutent pied à pied. Le gouvernement est prêt à lâcher beaucoup pour que le travail reprenne. Le 27 mai au matin, le « protocole de Grenelle » est présenté. Les acquis sont historiques : augmentation du SMIG (salaire minimum) de 35 %, augmentation générale des salaires de 10 %, reconnaissance de la section syndicale dans l’entreprise (une avancée démocratique majeure), paiement des jours de grève à 50 %.

Georges Séguy, le leader de la CGT, et Eugène Descamps de la CFDT pensent avoir obtenu une victoire éclatante. Mais lorsqu’ils présentent ces résultats à la base, notamment aux ouvriers de Renault-Billancourt le matin même, ils sont hués. « Ne signez pas ! », crient les ouvriers. Pour la base radicalisée, ces accords sont purement quantitatifs et ne répondent pas à l’envie de changement qualitatif (« changer la vie », ne pas perdre sa vie à la gagner). Ils veulent le départ de de Gaulle et un changement de société. Le rejet des accords de Grenelle plonge le gouvernement dans le désarroi. La crise politique atteint alors son paroxysme.

📌 La disparition de de Gaulle et la panique au sommet

Le 29 mai, coup de théâtre : le général de Gaulle disparaît. Il quitte l’Élysée en hélicoptère sans prévenir son gouvernement de sa destination exacte. Pendant quelques heures, c’est la vacance du pouvoir. La France est sidérée. On apprendra plus tard qu’il s’est rendu à Baden-Baden, en Allemagne, au siège du commandement des forces françaises, pour consulter le général Massu. Cherchait-il à s’assurer du soutien de l’armée en cas d’intervention militaire ? A-t-il eu un moment de découragement, la tentation de tout abandonner ? Le mystère de cette « fugue » fait encore débat chez les historiens. Pendant ce temps, à Paris, l’opposition politique s’organise, croyant la chute du régime imminente. François Mitterrand et Pierre Mendès France se déclarent prêts à prendre des responsabilités gouvernementales.

Cette vacance crée une atmosphère de fin de règne. Les hauts fonctionnaires brûlent des archives, certains bourgeois paniqués cherchent à passer la frontière suisse avec leurs économies. Mais le 30 mai, de Gaulle revient, ragaillardi par le soutien de Massu. Il reprend la main de manière spectaculaire. Dans une allocution radiodiffusée très ferme (il refuse de passer à la télévision), il annonce qu’il ne démissionnera pas, il dissout l’Assemblée nationale et appelle à des élections législatives anticipées. Il appelle le peuple à se ressaisir face à la « menace du totalitarisme communiste ». C’est un coup de poker politique magistral.

📌 Le raz-de-marée gaulliste et la fin du mouvement

L’effet de l’allocution du 30 mai est immédiat. Le soir même, une immense manifestation de soutien au Général déferle sur les Champs-Élysées. On parle de 500 000 à un million de personnes. C’est la « majorité silencieuse » qui se réveille, celle qui a peur du désordre, de la pénurie d’essence et de la révolution. Des drapeaux tricolores flottent partout, on chante la Marseillaise. La rue a changé de camp. Fort de ce soutien populaire massif, le gouvernement reprend le contrôle. L’essence réapparaît dans les stations (les stocks stratégiques sont débloqués), les forces de l’ordre évacuent les usines occupées, parfois violemment comme à Flins ou Sochaux (où deux ouvriers trouvent la mort). Le travail reprend progressivement courant juin.

Les élections législatives des 23 et 30 juin 1968 confirment le triomphe du pouvoir. Les Français, effrayés par le vide et la violence, votent massivement pour la stabilité. Le parti gaulliste (UDR) remporte une majorité absolue écrasante à l’Assemblée, du jamais vu dans l’histoire républicaine. La gauche est laminée. C’est la fin politique de Mai 68. Cependant, si de Gaulle a gagné les élections, son autorité personnelle est brisée. Il démissionnera un an plus tard, en avril 1969, après l’échec d’un référendum. Pour comprendre comment ces événements ont influencé les réformes suivantes, notamment sur la jeunesse, tu peux lire notre dossier sur le droit de vote des jeunes, abaissé à 18 ans en 1974 par Valéry Giscard d’Estaing, une conséquence directe de cette prise de parole de la jeunesse.

🎨 L’imagination au pouvoir : une révolution culturelle

📌 Les slogans et l’art de la révolte

Si Mai 68 a échoué politiquement, il a réussi culturellement. L’une des traces les plus vivaces de Mai 68 et les mouvements sociaux réside dans son incroyable créativité graphique et verbale. Les murs de Paris sont devenus des journaux à ciel ouvert. L’Atelier populaire des Beaux-Arts, occupé par les étudiants et les artistes, a produit des milliers d’affiches en sérigraphie, collées chaque nuit dans toute la ville. Ces affiches, au style épuré et percutant (comme le célèbre « La chienlit, c’est lui » représentant de Gaulle, ou « La beauté est dans la rue »), sont devenues des icônes de l’art politique.

Les slogans de Mai 68 sont restés dans les mémoires car ils traduisent une poésie de l’action et une soif d’absolu. « Sous les pavés, la plage », « Il est interdit d’interdire », « L’imagination au pouvoir », « Soyez réalistes, demandez l’impossible ». Ces phrases ne sont pas de simples revendications syndicales ; elles expriment un désir de changer la vie, de briser les carcans de la routine (« Métro, boulot, dodo ») et de réinventer les rapports humains. Cette libération de la parole et de l’écriture a marqué durablement la culture française, introduisant l’ironie, l’impertinence et le tutoiement dans l’espace public.

📌 La remise en cause de l’autorité et des mœurs

Au-delà des slogans, Mai 68 est une attaque frontale contre toutes les formes d’autorité verticale jugées archaïques. L’autorité du professeur sur l’élève, du patron sur l’ouvrier, du père sur la famille, du mari sur la femme, du prêtre sur le fidèle… tout est remis à plat. On veut passer d’une société d’obéissance à une société de dialogue et de participation. Dans les entreprises, cela se traduira plus tard par des lois sur l’expression des salariés. À l’école, les relations pédagogiques s’assouplissent, la mixité devient la règle, les châtiments corporels disparaissent définitivement des mœurs.

Sur le plan des mœurs, Mai 68 accélère considérablement l’évolution vers une société plus libérale. Même si le mouvement féministe en tant que tel (le MLF) n’apparaît vraiment qu’après 1968, les événements de Mai ont posé les bases de la libération sexuelle. La contraception (légalisée par la loi Neuwirth en 1967 mais encore peu appliquée) devient une revendication réelle. La notion de couple, de famille et de mariage est questionnée. C’est l’émergence de l’individu-roi, qui veut disposer de son corps et de sa vie sans rendre de comptes à la morale traditionnelle ou à l’Église. Pour approfondir ces mutations sociétales, il est intéressant de regarder comment les ONG et le bénévolat se sont développés dans les années 70, remplaçant peu à peu le militantisme politique pur par un engagement associatif plus concret.

🤝 L’héritage de Mai 68 dans les luttes actuelles

📌 Nouveaux mouvements sociaux et « Seconde gauche »

L’échec politique de la révolution de Mai 68 a paradoxalement donné naissance à une multitude de nouveaux combats. Les militants, déçus par les partis traditionnels (PC, SFIO) qui n’ont pas su ou voulu prendre le pouvoir, se tournent vers d’autres formes de lutte. C’est l’acte de naissance de ce qu’on appellera les « Nouveaux Mouvements Sociaux » (NMS). Le féminisme prend son essor avec le MLF (Mouvement de Libération des Femmes) dès 1970, luttant pour l’avortement et l’égalité réelle. Le mouvement écologiste naît aussi de cette critique de la société de consommation et du productivisme industriel, très présente dans les discours de 68. La lutte pour les droits des homosexuels (FHAR) émerge également dans ce sillage de libération.

Sur le plan syndical et politique, Mai 68 favorise l’émergence d’une « Seconde gauche », incarnée par la CFDT et plus tard par le Parti Socialiste de Michel Rocard. Cette gauche met l’accent sur l’autogestion (les travailleurs dirigent eux-mêmes l’entreprise), la décentralisation et la société civile, par opposition à la gauche marxiste plus étatique. L’expérience de l’usine Lip à Besançon en 1973 (« On fabrique, on vend, on se paie ») est un enfant direct de l’esprit de Mai 68. Cet héritage irrigue encore aujourd’hui une partie de la gauche française.

📌 De Mai 68 aux Gilets Jaunes : continuités et ruptures

Peut-on comparer Mai 68 aux mobilisations citoyennes récentes comme Nuit Debout ou les Gilets Jaunes ? Il y a des points communs évidents : l’occupation de l’espace public (les ronds-points remplaçant les usines), la défiance envers les institutions et les corps intermédiaires (syndicats, partis), la volonté de démocratie directe (le RIC rappelant l’autogestion), et la violence des affrontements avec la police. Dans les deux cas, c’est une crise de la représentation politique.

Cependant, les différences sont majeures. Mai 68 était un mouvement porté par une vision optimiste de l’avenir (« Ce n’est qu’un début »), dans un contexte de croissance économique. Les mouvements actuels sont souvent marqués par une angoisse face à l’avenir (précarité, crise climatique, déclassement) et sont davantage défensifs. De plus, la jonction étudiants-ouvriers, qui a fait la force de 68, est beaucoup plus difficile à réaliser aujourd’hui. Néanmoins, Mai 68 reste la référence absolue, le « mètre étalon » de la contestation sociale en France. Chaque grand mouvement social est scruté à l’aune de cet événement : est-ce un « nouveau Mai 68 » ? Cette question hante toujours les gouvernements français.

Pour approfondir ta compréhension des événements, tu peux consulter les archives vidéos de l’INA disponibles sur la plateforme éducative Lumni, qui propose des reportages d’époque saisissants. De même, le site Vie-publique.fr offre des analyses détaillées sur le fonctionnement de la Ve République face aux crises.

🧠 À retenir sur Mai 68 et les mouvements sociaux

  • Mai 68 est une triple crise : une révolte étudiante, une crise sociale majeure (grève générale) et une crise politique qui a fait vaciller le pouvoir gaulliste.
  • La jonction entre étudiants et ouvriers le 13 mai transforme l’agitation en un mouvement national paralysant le pays avec près de 10 millions de grévistes.
  • Les Accords de Grenelle (27 mai) augmentent le SMIG de 35% et reconnaissent le syndicat dans l’entreprise, mais ne suffisent pas à arrêter la grève immédiatement.
  • Le mouvement débouche sur une victoire électorale écrasante de la droite en juin 68, mais transforme durablement la société française (libéralisation des mœurs, droits des femmes, écologie, dialogue social).

❓ FAQ : Questions fréquentes sur Mai 68

🧩 Pourquoi dit-on « sous les pavés, la plage » ?

C’est l’un des slogans les plus poétiques de Mai 68. Il fait référence au sable que l’on trouvait sous les pavés parisiens lorsqu’on les arrachait pour faire des barricades. Il symbolise aussi l’idée qu’une fois l’ordre établi et gris (les pavés) détruit, on trouverait la liberté et le bonheur (la plage).

🧩 Quel a été le rôle des femmes en Mai 68 ?

Paradoxalement, les femmes ont été très actives dans les manifestations mais peu présentes à la tribune ou aux postes de décision, souvent monopolisés par les hommes. Cette frustration a justement été l’un des moteurs de la création du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) juste après 1968.

🧩 Est-ce que Mai 68 a eu lieu seulement à Paris ?

Non, c’est une idée reçue. Si le Quartier Latin a été l’épicentre médiatique, la grève a touché toute la France, des usines de Nantes à celles de Sochaux, en passant par les mines du Nord et les campagnes. C’était un mouvement profondément national.

🧩 Quiz – As-tu bien suivi Mai 68 ?

1. Où commence la révolte étudiante en mars 1968 ?



2. Quel leader étudiant est associé au Mouvement du 22 mars ?



3. Quelle nuit est célèbre pour ses affrontements violents au Quartier Latin ?



4. Combien de grévistes compte-t-on environ au plus fort du mouvement ?



5. Quelle usine emblématique est occupée par les ouvriers le 16 mai ?



6. Comment s’appellent les négociations organisées par Pompidou ?



7. De combien le SMIG (salaire minimum) est-il augmenté lors de ces accords ?



8. Où le général de Gaulle disparaît-il le 29 mai ?



9. Quelle est la réaction politique de de Gaulle le 30 mai ?



10. Qui remporte les élections législatives de juin 1968 ?



11. Quel slogan n’est PAS de Mai 68 ?



12. Quel syndicat est le plus puissant en 1968 ?



13. Que dénonce l’article « La France s’ennuie » ?



14. Quel bâtiment parisien devient une « commune étudiante » ?



15. Quelle école artistique produit les célèbres affiches de Mai 68 ?



16. Quel droit syndical important est acquis à Grenelle ?



17. Quel mouvement féministe naît dans le sillage de 1968 ?



18. Quand le général de Gaulle démissionne-t-il finalement ?



19. Quelle classe d’âge est au cœur de la contestation ?



20. Quel était le Premier ministre pendant les événements ?



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