🌍 Racisme et antisĂ©mitisme dans les colonies françaises : une histoire complexe

🎯 Pourquoi l’histoire du racisme et de l’antisĂ©mitisme dans les colonies françaises est-elle essentielle ?

L’histoire de la France ne s’arrĂȘte pas aux frontiĂšres de l’Hexagone, et la question du racisme et antisĂ©mitisme colonies françaises constitue une page centrale, bien que parfois douloureuse, de notre rĂ©cit national. Durant plusieurs siĂšcles, du premier empire colonial fondĂ© sur l’esclavage jusqu’aux guerres de dĂ©colonisation du XXe siĂšcle, la RĂ©publique a dĂ» composer avec une contradiction majeure : prĂŽner l’universalitĂ© des droits de l’homme tout en maintenant des systĂšmes juridiques et sociaux inĂ©galitaires outre-mer. Comprendre ces mĂ©canismes, c’est explorer comment les prĂ©jugĂ©s raciaux ont Ă©tĂ© codifiĂ©s par la loi, comment l’antisĂ©mitisme a trouvĂ© un terrain particulier en AlgĂ©rie, et comment ces hĂ©ritages pĂšsent encore sur les mĂ©moires contemporaines.

đŸ—‚ïž Dans cet article, tu vas dĂ©couvrir :

👉 Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre le contexte de ce thĂšme et plonger au cƓur des mĂ©canismes de domination.

⛓ Les racines du systĂšme : esclavage, Code Noir et prĂ©jugĂ© de couleur

📌 La codification de l’inĂ©galitĂ© : le Code Noir de 1685

Pour saisir la profondeur du racisme et antisĂ©mitisme colonies françaises, il faut remonter Ă  la constitution du premier empire colonial sous l’Ancien RĂ©gime, principalement dans les Antilles (Martinique, Guadeloupe, Saint-Domingue) et l’OcĂ©an Indien. C’est lĂ  que se met en place une sociĂ©tĂ© fondĂ©e sur l’exploitation servile. En 1685, Louis XIV promulgue le cĂ©lĂšbre Code Noir, prĂ©parĂ© par Colbert. Ce texte juridique est fondamental car il dĂ©finit le statut des esclaves, considĂ©rĂ©s comme des « biens meubles » (article 44), mais il pose aussi les premiĂšres pierres d’une exclusion religieuse et raciale officielle.

Le Code Noir ne se contente pas de rĂ©gir l’esclavage ; il s’ouvre par des articles visant explicitement les juifs. L’article 1er enjoint Ă  tous les officiers de chasser hors des Ăźles « tous les juifs qui y ont Ă©tabli leur rĂ©sidence », les qualifiant d’ennemis dĂ©clarĂ©s du nom chrĂ©tien. Ainsi, dĂšs l’origine, l’exclusion antisĂ©mite et la domination raciste sur les populations noires sont liĂ©es dans le mĂȘme texte fondateur de l’ordre colonial. L’objectif est d’unifier les colonies sous la seule religion catholique tout en assurant une main-d’Ɠuvre gratuite par la dĂ©shumanisation des Africains dĂ©portĂ©s.

Il est important de noter que le racisme n’est pas seulement une consĂ©quence de l’esclavage, il en devient la justification idĂ©ologique. Pour lĂ©gitimer la traite transatlantique, les thĂ©ologiens puis les naturalistes dĂ©veloppent l’idĂ©e d’une infĂ©rioritĂ© naturelle des populations noires. Vous pouvez approfondir la genĂšse de ces concepts dans notre article sur les idĂ©es de race et prĂ©jugĂ©s en France du XVIIe au XIXe siĂšcle, qui dĂ©taille comment la pensĂ©e europĂ©enne a construit l’altĂ©ritĂ©.

📌 L’émergence du « prĂ©jugĂ© de couleur » au XVIIIe siĂšcle

Paradoxalement, c’est au moment oĂč le mĂ©tissage se dĂ©veloppe et oĂč une classe de « libres de couleur » (affranchis ou descendants d’affranchis) Ă©merge que le racisme se durcit. Au XVIIIe siĂšcle, l’administration royale et les colons blancs craignent que la distinction entre maĂźtres et esclaves ne se brouille. C’est la naissance du « prĂ©jugĂ© de couleur ». Il ne suffit plus d’ĂȘtre libre pour ĂȘtre l’égal d’un Blanc ; il faut ĂȘtre blanc. Des lois somptuaires sont Ă©dictĂ©es pour interdire aux femmes de couleur de porter certains tissus ou bijoux rĂ©servĂ©s aux femmes blanches.

La sociĂ©tĂ© coloniale se rigidifie en castes hermĂ©tiques : les Blancs en haut de l’échelle, les « libres de couleur » dans un entre-deux prĂ©caire, et la masse des esclaves Ă  la base. Les notaires et l’administration civile commencent Ă  utiliser des termes prĂ©cis pour dĂ©signer le degrĂ© de mĂ©tissage (mulĂątre, quarteron, mamelouk, etc.), obsession classificatoire qui prĂ©figure le racisme scientifique du siĂšcle suivant. À Saint-Domingue, la colonie la plus riche, cette tension raciale entre Blancs et Libres de couleur sera l’un des dĂ©clencheurs de la RĂ©volution haĂŻtienne.

Cette structure mentale survit Ă  la RĂ©volution française. Si la PremiĂšre RĂ©publique abolit l’esclavage en 1794 (une abolition rĂ©voquĂ©e par NapolĂ©on en 1802), elle peine Ă  Ă©radiquer le prĂ©jugĂ© racial. Le rĂ©tablissement de l’esclavage par Bonaparte marque un retour en force de l’idĂ©ologie raciste, interdisant mĂȘme les mariages mixtes et l’entrĂ©e des Noirs et gens de couleur sur le territoire mĂ©tropolitain pour « prĂ©server la puretĂ© du sang ».

đŸ›ïž La RĂ©publique coloniale et l’invention des races (1848-1914)

📌 De l’abolitionnisme Ă  la « mission civilisatrice »

L’annĂ©e 1848 marque une rupture apparente avec l’abolition dĂ©finitive de l’esclavage par la DeuxiĂšme RĂ©publique, sous l’impulsion de Victor SchƓlcher. Cependant, la fin de l’esclavage ne signifie pas la fin du racisme ; elle marque sa transformation. Sous la TroisiĂšme RĂ©publique, alors que la France se lance dans une nouvelle phase de conquĂȘte coloniale (Afrique de l’Ouest, Indochine, Madagascar), une nouvelle doctrine se met en place : la « mission civilisatrice ». Cette idĂ©ologie rĂ©publicaine postule que les « races supĂ©rieures » ont le devoir de « civiliser les races infĂ©rieures », selon la cĂ©lĂšbre formule de Jules Ferry devant la Chambre des dĂ©putĂ©s en 1885.

Ce racisme rĂ©publicain est complexe car il se drape dans les valeurs de progrĂšs, de science et d’éducation. Il ne s’agit plus (officiellement) d’asservir par la force brute, mais d’éduquer des populations jugĂ©es « en retard ». Pourtant, dans les faits, cette mission justifie une domination violente. Les populations colonisĂ©es sont vues comme de grands enfants incapables de se gouverner eux-mĂȘmes. L’anthropologie physique et l’ethnologie naissante, avec des figures comme Paul Broca ou Arthur de Gobineau, fournissent une caution pseudo-scientifique Ă  cette hiĂ©rarchie, mesurant les crĂąnes pour prouver une prĂ©tendue inĂ©galitĂ© intellectuelle.

La littĂ©rature et l’imagerie populaire diffusent massivement ces stĂ©rĂ©otypes. Les expositions universelles et les tristement cĂ©lĂšbres « zoos humains » (comme au Jardin d’Acclimatation Ă  Paris) exhibent des familles kanakes, africaines ou inuites derriĂšre des grilles, renforçant chez les Français de mĂ©tropole le sentiment d’une supĂ©rioritĂ© naturelle. Ces mises en scĂšne sont essentielles pour comprendre comment le racisme colonial s’est ancrĂ© dans l’imaginaire collectif.

📌 Le Code de l’indigĂ©nat : un apartheid juridique

La traduction juridique la plus flagrante du racisme et antisĂ©mitisme colonies françaises sous la RĂ©publique est sans doute le Code de l’indigĂ©nat. Mis en place d’abord en AlgĂ©rie autour de 1881, puis Ă©tendu Ă  d’autres colonies (AOF, AEF, Indochine, Nouvelle-CalĂ©donie), ce systĂšme crĂ©e deux catĂ©gories de personnes sur un mĂȘme territoire : les citoyens français (les colons) et les sujets français (les colonisĂ©s).

Les « sujets » sont soumis Ă  un rĂ©gime d’exception particuliĂšrement rĂ©pressif. L’administration peut leur infliger des amendes, des peines de prison ou des corvĂ©es sans passer par un tribunal, pour des motifs souvent dĂ©risoires : « manque de respect » Ă  un fonctionnaire, rĂ©union sans autorisation, refus de payer l’impĂŽt de capitation, ou mĂȘme circulation nocturne. Ce systĂšme nie les principes mĂȘmes de la DĂ©claration des droits de l’homme de 1789, pourtant socle de la RĂ©publique. Le travail forcĂ©, bien qu’officiellement interdit, rĂ©apparaĂźt sous forme de « prestations » obligatoires pour la construction de routes ou de chemins de fer, comme le Congo-OcĂ©an qui coĂ»tera la vie Ă  des milliers d’Africains.

Ce dualisme juridique empĂȘche toute vĂ©ritable assimilation. Si la RĂ©publique promet thĂ©oriquement l’accĂšs Ă  la citoyennetĂ©, les conditions pour l’obtenir (renoncer Ă  son statut personnel coranique ou coutumier, savoir parfaitement lire et Ă©crire le français, preuves de loyalisme) sont si drastiques que seule une infime minoritĂ© d’élite, les « Ă©voluĂ©s », y accĂšde. Pour la masse, la colonisation reste synonyme de soumission arbitraire.

âœĄïž L’antisĂ©mitisme colonial : le laboratoire algĂ©rien

📌 Le dĂ©cret CrĂ©mieux de 1870 : une citoyennetĂ© qui divise

L’AlgĂ©rie occupe une place singuliĂšre dans l’histoire coloniale française car elle est divisĂ©e en dĂ©partements français, et non en simples colonies. La question du racisme et antisĂ©mitisme colonies françaises y prend une tournure spĂ©cifique avec la prĂ©sence de trois populations distinctes : les colons europĂ©ens, les musulmans indigĂšnes et les juifs indigĂšnes. En 1870, dans le contexte de la chute du Second Empire, le ministre de la Justice Adolphe CrĂ©mieux promulgue le dĂ©cret qui porte son nom. Le dĂ©cret CrĂ©mieux accorde collectivement la citoyennetĂ© française aux quelque 35 000 juifs d’AlgĂ©rie.

Cette dĂ©cision crĂ©e une rupture majeure. Du jour au lendemain, les juifs d’AlgĂ©rie passent du statut d’indigĂšnes Ă  celui de citoyens, tandis que les musulmans restent soumis au statut de l’indigĂ©nat. Cette diffĂ©rence de traitement va nourrir un ressentiment profond, mais c’est surtout chez les colons europĂ©ens (« Pieds-Noirs ») que la rĂ©action est la plus virulente. Un antisĂ©mitisme politique fĂ©roce se dĂ©veloppe, accusant la RĂ©publique d’avoir livrĂ© l’AlgĂ©rie aux juifs et de fausser le jeu Ă©lectoral grĂące au « vote juif ».

L’antisĂ©mitisme en AlgĂ©rie devient souvent plus radical et violent qu’en mĂ©tropole. Il agrĂšge le racisme colonial classique (les juifs Ă©tant vus comme des Orientaux, donc des indigĂšnes qui ne mĂ©ritent pas d’ĂȘtre français) et l’antisĂ©mitisme Ă©conomique europĂ©en. Pour en savoir plus sur le contexte gĂ©nĂ©ral de cette Ă©poque, n’hĂ©sitez pas Ă  consulter notre article sur le racisme et l’antisĂ©mitisme dans la France rĂ©publicaine (1870-1914).

📌 La crise antijuive de 1898 et ses consĂ©quences

La tension culmine lors de l’affaire Dreyfus. Si l’Affaire divise la France, elle met l’AlgĂ©rie Ă  feu et Ă  sang. En 1898, des Ă©meutes antijuives Ă©clatent Ă  Alger, Oran et Constantine. Des magasins juifs sont pillĂ©s, des synagogues profanĂ©es et des personnes agressĂ©es, souvent avec la complicitĂ© passive des forces de l’ordre coloniales. À Alger, un jeune Ă©tudiant agitateur, Max RĂ©gis, est Ă©lu maire Ă  la tĂȘte d’une liste explicitement « antijuive ». Son programme : l’abrogation du dĂ©cret CrĂ©mieux et l’expulsion des juifs.

Édouard Drumont, le « pape » de l’antisĂ©mitisme français et auteur de La France juive, se fait Ă©lire dĂ©putĂ© d’Alger en 1898. L’AlgĂ©rie devient le bastion de l’antisĂ©mitisme politique français. Cette haine structurelle a une fonction politique prĂ©cise : elle permet de souder la communautĂ© europĂ©enne (composĂ©e de Français, d’Espagnols, d’Italiens, de Maltais) contre un bouc Ă©missaire commun, tout en dĂ©tournant l’attention des inĂ©galitĂ©s sociales entre petits blancs et grands propriĂ©taires terriens. Elle sert aussi d’avertissement aux musulmans : l’accĂšs Ă  la citoyennetĂ© n’est pas un droit acquis et peut ĂȘtre contestĂ©.

Ces Ă©vĂ©nements laissent des traces profondes. La communautĂ© juive d’AlgĂ©rie, bien que devenue française par la loi, se sentira toujours en sursis, une crainte qui se confirmera tragiquement sous le rĂ©gime de Vichy. Ce laboratoire algĂ©rien montre comment l’antisĂ©mitisme a Ă©tĂ© utilisĂ© comme un outil de gestion politique des populations dans le cadre colonial.

⚔ Soldats de l’Empire : racisme et sacrifice (1914-1945)

📌 La « Force Noire » et les tranchĂ©es de la Grande Guerre

À l’approche de la PremiĂšre Guerre mondiale, la France, confrontĂ©e Ă  sa dĂ©mographie stagnante face Ă  l’Allemagne, se tourne vers son empire comme rĂ©servoir d’hommes. Le gĂ©nĂ©ral Mangin thĂ©orise dĂšs 1910 la crĂ©ation d’une « Force Noire ». L’idĂ©e est simple et cynique : utiliser les soldats africains, rĂ©putĂ©s plus endurants et dotĂ©s d’un systĂšme nerveux supposĂ©ment moins dĂ©veloppĂ© (selon les prĂ©jugĂ©s racistes de l’époque), comme troupes de choc.

Durant le conflit de 14-18, des centaines de milliers de Tirailleurs sĂ©nĂ©galais, de Spahis algĂ©riens, de troupes indochinoises et malgaches sont mobilisĂ©s. Sur le front, ils dĂ©couvrent une rĂ©alitĂ© contrastĂ©e. D’un cĂŽtĂ©, une certaine fraternitĂ© d’armes se crĂ©e dans les tranchĂ©es ; de l’autre, la hiĂ©rarchie militaire maintient une stricte sĂ©grĂ©gation : pas d’accĂšs aux grades d’officiers supĂ©rieurs, soldes infĂ©rieures, et surveillance accrue par crainte de la « contagion » des idĂ©es subversives. L’emploi du « petit nĂšgre » est mĂȘme recommandĂ© par le commandement pour s’adresser aux soldats africains, une marque de mĂ©pris institutionnalisĂ©.

AprĂšs la guerre, l’occupation de la RhĂ©nanie par des troupes coloniales françaises dĂ©clenche une campagne de propagande raciste internationale virulente, orchestrĂ©e par l’Allemagne et relayĂ©e par la presse anglo-saxonne, parlant de la « Honte Noire » (Die schwarze Schmach). On accuse sans preuve les soldats noirs de viols massifs, rĂ©activant la peur atavique du « sauvage » violant la femme blanche europĂ©enne. Cette campagne oblige l’État-major français Ă  retirer progressivement ces troupes, cĂ©dant Ă  la pression raciste.

📌 L’entre-deux-guerres : prise de conscience et surveillance

L’expĂ©rience de la guerre et du voyage en mĂ©tropole transforme les consciences. Les soldats dĂ©mobilisĂ©s, ainsi que les premiers travailleurs immigrĂ©s coloniaux, rĂ©alisent le fossĂ© entre les idĂ©aux français et la rĂ©alitĂ© coloniale. C’est Ă  Paris, dans l’entre-deux-guerres, que naissent les grands mouvements de contestation : l’Étoile Nord-Africaine de Messali Hadj ou le mouvement de la NĂ©gritude portĂ© par LĂ©opold SĂ©dar Senghor et AimĂ© CĂ©saire. Ils dĂ©noncent le racisme culturel qui nie l’histoire et la dignitĂ© des peuples colonisĂ©s.

Face Ă  cela, la RĂ©publique renforce sa surveillance. Le Service de ContrĂŽle et d’Assistance aux IndigĂšnes (SCAI) fiche les militants. L’exposition coloniale de 1931 Ă  Vincennes marque l’apogĂ©e de cette propagande : elle cĂ©lĂšbre la grandeur de l’Empire tout en masquant la rĂ©alitĂ© des conditions de vie. On y reconstruit des villages indigĂšnes idĂ©alisĂ©s, tandis que la rĂ©alitĂ© du travail forcĂ© et de l’absence de droits politiques perdure outre-mer. Vous pouvez consulter les archives de l’INA ou des sites comme Chemins de MĂ©moire pour voir comment cette mĂ©moire des soldats coloniaux est aujourd’hui traitĂ©e par les institutions.

⚖ Vichy dans les colonies : la persĂ©cution lĂ©galisĂ©e

📌 L’abrogation du dĂ©cret CrĂ©mieux : le retour Ă  l’indigĂ©nat

La dĂ©faite de 1940 et l’instauration du rĂ©gime de Vichy marquent un tournant dramatique pour le racisme et antisĂ©mitisme colonies françaises. Contrairement Ă  une idĂ©e reçue, l’Empire colonial ne bascule pas immĂ©diatement dans la RĂ©sistance (sauf l’AEF et quelques comptoirs). L’Afrique du Nord, l’AOF et l’Indochine restent fidĂšles Ă  PĂ©tain. Pour les colons conservateurs, la « RĂ©volution nationale » est une aubaine pour rĂ©tablir l’ordre colonial menacĂ© par le Front Populaire.

La mesure la plus symbolique et brutale survient le 7 octobre 1940 : le gouvernement de Vichy abroge le dĂ©cret CrĂ©mieux. Les 110 000 juifs d’AlgĂ©rie sont dĂ©chus de leur citoyennetĂ© française. Ils sont ramenĂ©s au statut d’indigĂšnes, mais sans mĂȘme bĂ©nĂ©ficier du statut personnel mosaĂŻque d’avant 1870. C’est une apatridie de fait. Cette mesure est appliquĂ©e avec un zĂšle particulier par l’administration coloniale et applaudie par une grande partie des colons antisĂ©mites.

Les consĂ©quences sont immĂ©diates et dĂ©sastreuses : les enfants juifs sont expulsĂ©s des Ă©coles publiques (un numerus clausus trĂšs strict est imposĂ©), les fonctionnaires juifs sont rĂ©voquĂ©s, les mĂ©decins et avocats ne peuvent plus exercer. Cette exclusion est plus radicale encore qu’en mĂ©tropole car elle s’appuie sur l’infrastructure coloniale dĂ©jĂ  existante de discrimination.

📌 Camps d’internement et travail forcĂ© en Afrique du Nord

L’antisĂ©mitisme et la xĂ©nophobie de Vichy se traduisent aussi par l’ouverture de camps d’internement dans le dĂ©sert saharien (Bedeau, Djelfa, Bossuet). On y interne non seulement des opposants politiques (communistes, gaullistes), mais aussi des rĂ©fugiĂ©s espagnols rĂ©publicains et de nombreux juifs Ă©trangers engagĂ©s dans la LĂ©gion Ă©trangĂšre. Ces camps sont des lieux de souffrance extrĂȘme, oĂč les dĂ©tenus sont soumis au travail forcĂ© pour la construction du chemin de fer transsaharien, sous un climat impitoyable et avec des rations de famine.

En Tunisie, occupĂ©e par les Allemands de novembre 1942 Ă  mai 1943, la situation est encore plus critique. Les SS, avec la complicitĂ© de l’administration française locale, imposent des amendes exorbitantes Ă  la communautĂ© juive, pillent les biens et organisent des rafles pour le travail forcĂ©. Environ 5 000 juifs tunisiens sont envoyĂ©s dans des camps de travail prĂšs du front. Pour une analyse dĂ©taillĂ©e de cette pĂ©riode sombre, rĂ©fĂ©rez-vous Ă  l’article sur Vichy, les persĂ©cutions et la Shoah en France.

MĂȘme aprĂšs le dĂ©barquement alliĂ© en Afrique du Nord en novembre 1942, l’administration giraudiste maintient l’abrogation du dĂ©cret CrĂ©mieux pendant prĂšs d’un an, arguant que le rĂ©tablissement des droits des juifs froisserait les musulmans. Il faudra la pression du gĂ©nĂ©ral de Gaulle et des AlliĂ©s pour que la citoyennetĂ© soit rendue aux juifs d’AlgĂ©rie en octobre 1943, prouvant Ă  quel point l’antisĂ©mitisme Ă©tait enracinĂ© dans l’appareil d’État colonial.

đŸ”„ DĂ©colonisation et hĂ©ritages du racisme colonial (aprĂšs 1945)

📌 Les massacres de SĂ©tif et Thiaroye : la rĂ©ponse sanglante aux demandes d’égalitĂ©

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France est libĂ©rĂ©e en grande partie grĂące Ă  son armĂ©e d’Afrique et aux troupes coloniales. L’espoir d’une reconnaissance et d’une Ă©galitĂ© rĂ©elle est immense chez les colonisĂ©s. Pourtant, la rĂ©ponse de la mĂ©tropole va ĂȘtre d’une violence inouĂŻe, rĂ©vĂ©lant la persistance du racisme structurel. Deux Ă©vĂ©nements tragiques illustrent cette rupture.

Le 1er dĂ©cembre 1944, au camp de Thiaroye au SĂ©nĂ©gal, des tirailleurs sĂ©nĂ©galais, anciens prisonniers de guerre fraĂźchement rapatriĂ©s, rĂ©clament le paiement de leurs arriĂ©rĂ©s de solde avant de rentrer chez eux. L’armĂ©e française ouvre le feu sur eux : le bilan officiel (longtemps minimisĂ© Ă  35 morts) est probablement de plusieurs centaines de victimes. Ce massacre, longtemps occultĂ©, symbolise l’ingratitude de la RĂ©publique et le mĂ©pris pour la vie des soldats noirs.

Quelques mois plus tard, le 8 mai 1945, jour de la victoire contre le nazisme, des manifestations nationalistes Ă©clatent Ă  SĂ©tif et Guelma en AlgĂ©rie. La rĂ©pression qui suit est fĂ©roce : l’armĂ©e, aidĂ©e par des milices de colons civils, mĂšne une vĂ©ritable chasse Ă  l’homme. Les estimations varient de quelques milliers Ă  45 000 morts cĂŽtĂ© algĂ©rien. Ces massacres creusent un fossĂ© de sang dĂ©finitif. Ils montrent que le systĂšme colonial, fondĂ© sur la hiĂ©rarchie raciale, est incapable de se rĂ©former pacifiquement.

📌 Vers les mĂ©moires contemporaines

Les guerres de dĂ©colonisation qui suivent (Indochine, AlgĂ©rie) sont marquĂ©es par l’usage de la torture et de mĂ©thodes de guerre contre-insurrectionnelle qui puisent dans le rĂ©pertoire du racisme colonial : les populations civiles sont dĂ©placĂ©es, regroupĂ©es dans des camps, et suspectĂ©es par essence. Le racisme envers les « Nord-Africains » se transpose en mĂ©tropole avec l’arrivĂ©e massive de travailleurs immigrĂ©s pendant les Trente Glorieuses, parquĂ©s dans des bidonvilles (Nanterre) et victimes de violences policiĂšres, comme lors du massacre du 17 octobre 1961 Ă  Paris.

Aujourd’hui, l’histoire du racisme et antisĂ©mitisme colonies françaises est un enjeu mĂ©moriel majeur. La reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanitĂ© (loi Taubira de 2001) ou les hommages aux soldats coloniaux marquent des avancĂ©es. Cependant, les dĂ©bats rĂ©currents sur les « bienfaits de la colonisation » ou les discriminations systĂ©miques actuelles montrent que les schĂ©mas hĂ©ritĂ©s de cette longue histoire coloniale travaillent encore la sociĂ©tĂ© française. Pour comprendre comment la loi tente aujourd’hui de contrer ces dĂ©rives, consultez notre dossier sur les luttes et lois contre le racisme et l’antisĂ©mitisme en France.

🧠 À retenir sur le racisme et l’antisĂ©mitisme colonial

  • Le Code Noir (1685) est le texte fondateur qui lie esclavage et exclusion religieuse (juifs) dans les colonies.
  • La RĂ©publique du XIXe siĂšcle a dĂ©veloppĂ© un racisme scientifique (« mission civilisatrice ») codifiĂ© par le Code de l’indigĂ©nat, crĂ©ant une citoyennetĂ© Ă  deux vitesses.
  • L’AlgĂ©rie a Ă©tĂ© un laboratoire de l’antisĂ©mitisme politique, notamment aprĂšs le dĂ©cret CrĂ©mieux (1870) et durant la crise de 1898.
  • Le rĂ©gime de Vichy (1940-1944) a exportĂ© ses lois raciales outre-mer, abrogeant le dĂ©cret CrĂ©mieux et internant les « indĂ©sirables » dans le Sahara.
  • Les massacres de Thiaroye (1944) et SĂ©tif (1945) ont montrĂ© l’incapacitĂ© du systĂšme colonial Ă  accorder l’Ă©galitĂ© promise par l’effort de guerre.

❓ FAQ : Questions frĂ©quentes sur le racisme colonial

đŸ§© Qu’est-ce que le Code de l’indigĂ©nat ?

C’est un ensemble de rĂšgles juridiques appliquĂ©es aux populations colonisĂ©es (les « sujets ») qui permettait des sanctions administratives sans procĂšs (amendes, prison, corvĂ©es) pour des infractions mineures. Il symbolise l’inĂ©galitĂ© devant la loi dans l’Empire français.

đŸ§© Pourquoi le dĂ©cret CrĂ©mieux a-t-il créé des tensions ?

En accordant la citoyennetĂ© française uniquement aux juifs d’AlgĂ©rie et non aux musulmans, il a brisĂ© l’unitĂ© du statut « indigĂšne ». Cela a nourri un fort antisĂ©mitisme chez les colons (jalousie Ă©lectorale) et un sentiment d’injustice chez les musulmans.

đŸ§© Y avait-il des camps de concentration dans les colonies sous Vichy ?

Oui, il y avait des camps d’internement et de travail forcĂ©, notamment en Afrique du Nord (transsaharien) et en Afrique de l’Ouest. On y enfermait des opposants, des rĂ©publicains espagnols et des juifs Ă©trangers, dans des conditions trĂšs dures.

đŸ§© Quiz – Racisme et antisĂ©mitisme dans les colonies

1. En quelle année le Code Noir a-t-il été promulgué ?



2. Quel groupe religieux est explicitement banni des Ăźles par l’article 1 du Code Noir ?



3. Qui a portĂ© l’abolition dĂ©finitive de l’esclavage en 1848 ?



4. Quelle idéologie justifie la colonisation sous la IIIe République ?



5. Qu’est-ce que le dĂ©cret CrĂ©mieux de 1870 ?



6. Comment appelle-t-on le régime de sanctions spéciales pour les colonisés ?



7. Quelle ville algérienne a élu un maire antijuif, Max Régis, en 1898 ?



8. Qui a théorisé la « Force Noire » avant 1914 ?



9. Comment la propagande allemande a-t-elle qualifié les troupes coloniales en Rhénanie aprÚs 1918 ?



10. Quelle exposition parisienne a cĂ©lĂ©brĂ© l’Empire en 1931 ?



11. Qu’a fait le rĂ©gime de Vichy concernant le dĂ©cret CrĂ©mieux en 1940 ?



12. OĂč se situaient les principaux camps d’internement de Vichy en Afrique du Nord ?



13. Quel massacre de soldats coloniaux a eu lieu au Sénégal en 1944 ?



14. Quel événement marque le début de la fracture algérienne le 8 mai 1945 ?



15. Quel concept intellectuel est développé par Senghor et Césaire ?



16. Qui Ă©tait Édouard Drumont, Ă©lu dĂ©putĂ© d’Alger ?



17. Quelle était la condition des « sujets » français par rapport aux « citoyens » ?



18. En Tunisie (1942-1943), qui a imposé le travail forcé aux Juifs ?



19. Quelle loi de 2001 reconnaĂźt l’esclavage comme crime contre l’humanitĂ© ?



20. Que sont les « zoos humains » du XIXe siÚcle ?



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