🎯 Pourquoi ces débats bouleversent-ils notre vision de l’histoire ?
Depuis quelques années, l’espace public français est le théâtre de vives tensions où le bronze et la pierre deviennent des enjeux politiques majeurs. Les polémiques contemporaines autour des statues et des symboles ne sont pas de simples faits divers, mais révèlent une profonde interrogation sur notre identité nationale, notre rapport au passé colonial et la place des minorités dans le récit républicain. Alors que des mouvements mondiaux remettent en cause certaines figures historiques, la France doit arbitrer entre la volonté de ne pas effacer son histoire et la nécessité d’une mémoire plus inclusive. Découvrons ensemble les racines, les enjeux et les solutions apportées à ces controverses passionnantes.
🗂️ Dans cet article, tu vas découvrir :
- 🧭 Contexte : De l’histoire à la guerre des mémoires
- ⚙️ L’héritage colonial et l’esclavage : Colbert, Faidherbe, Schoelcher
- 📜 Figures ambivalentes : Napoléon, Pétain et les grands hommes
- 🎨 La question du genre : où sont les femmes ?
- 🌍 La réponse républicaine : contextusaliser ou déboulonner ?
- 🤝 Vers de nouveaux symboles pour la République ?
- 🧠 À retenir
- ❓ FAQ
- 🧩 Quiz
👉 Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre le contexte de ce thème.
🧭 Contexte historique et chronologique du sujet
📌 Du récit national unifié à l’éclatement des mémoires
Pour comprendre les polémiques contemporaines autour des statues et des symboles, il faut d’abord saisir comment la République a construit son espace public. Au XIXe siècle, notamment sous la IIIe République, la « statuomanie » a envahi les places de France. L’objectif était clair : édifier un roman national pédagogique en célébrant les « grands hommes » (militaires, politiques, écrivains) pour unifier la nation autour de valeurs communes. Ces monuments n’étaient pas seulement décoratifs, ils agissaient comme des lieux de mémoire essentiels de la République, figeant une version officielle de l’histoire. Cependant, cette histoire était souvent écrite par les vainqueurs, majoritairement des hommes blancs, occultant de facto d’autres pans du passé.
À partir de la fin du XXe siècle, ce récit unifié s’est fissuré sous la pression de la « demande sociale de mémoire ». Les groupes historiquement marginalisés (descendants d’esclaves, populations issues de l’immigration coloniale, femmes) ont commencé à interroger la légitimité de ces figures tutélaires. Ce phénomène n’est pas un rejet de l’histoire, mais une demande de reconnaissance : pourquoi honore-t-on des individus ayant participé à l’oppression ? L’historien Pierre Nora a bien montré comment nous sommes passés d’une histoire-commémoration à une mémoire-revendication, transformant les statues en cibles politiques.
Il est crucial de distinguer l’histoire, qui est une science critique cherchant la vérité, de la mémoire, qui est un rapport affectif et identitaire au passé. Les polémiques actuelles naissent de la friction entre ces deux notions. Lorsqu’une statue est contestée, ce n’est pas le fait historique qui est nié, mais la « valeur d’exemple » que la République confère au personnage représenté. En effet, une statue sur une place publique est un honneur suprême ; la remettre en cause revient à questionner les valeurs que la société actuelle souhaite prôner.
📌 L’onde de choc mondiale et ses répercussions en France
Si les débats mémoriaux existent en France depuis longtemps (pensons aux controverses sur la guerre d’Algérie), ils ont pris une ampleur inédite suite à des événements internationaux récents. La mort de George Floyd aux États-Unis en mai 2020 a déclenché une vague de manifestations mondiales sous la bannière « Black Lives Matter ». Dans ce sillage, le mouvement s’est attaqué aux symboles esclavagistes et confédérés outre-Atlantique, puis s’est propagé en Europe. En Grande-Bretagne, la statue du négrier Edward Colston a été jetée dans le port de Bristol, marquant les esprits par la radicalité du geste.
En France, cette onde de choc a réactivé des tensions latentes. Des militants antiracistes et décoloniaux ont ciblé des statues de figures liées à la colonisation ou à l’esclavage, comme Colbert devant l’Assemblée nationale ou Gallieni à Paris. Ces actions ont suscité une vive réaction de la classe politique et de l’opinion publique, divisant le pays en deux camps schématiques : ceux qui voient dans le déboulonnage un acte de justice et de purification mémorielle, et ceux qui dénoncent une « Cancel Culture » (culture de l’effacement) importée des campus américains, menaçant l’intégrité de l’histoire de France.
Pourtant, la situation française est spécifique. Contrairement aux États-Unis où les statues confédérées ont souvent été érigées tardivement pour réaffirmer la ségrégation (lois Jim Crow), les statues françaises datent majoritairement de l’époque qu’elles célèbrent ou de la période de construction républicaine. Le débat porte donc moins sur la légalité de leur présence que sur leur sens moral aujourd’hui. C’est dans ce contexte complexe que les polémiques contemporaines autour des statues et des symboles doivent être analysées : non comme une simple imitation de l’étranger, mais comme une crise de croissance de la conscience nationale française.
Du « roman national » figé à la revendication mémorielle : comprendre les racines historiques des tensions actuelles autour des symboles républicains. 📷 Création pour reviserhistoire.fr
⚙️ L’héritage colonial et l’esclavage : le cœur des tensions
📌 Le cas emblématique de Jean-Baptiste Colbert
L’une des figures les plus contestées ces dernières années est sans doute Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), principal ministre de Louis XIV. Traditionnellement, l’école républicaine a retenu de lui l’image du grand serviteur de l’État, bâtisseur de l’administration moderne, développeur de l’industrie et de la marine française. Sa statue trône d’ailleurs devant le Palais Bourbon, siège de l’Assemblée nationale, symbolisant la continuité de l’État et la rigueur administrative. C’est cette position centrale qui en a fait une cible privilégiée des contestations.
Cependant, les critiques rappellent un autre aspect de son œuvre : Colbert a joué un rôle majeur dans la politique esclavagiste de Louis XIV et dans la préparation des textes qui aboutissent au Code noir, promulgué en 1685, deux ans après sa mort. Ce texte juridique monstrueux a codifié l’esclavage dans les colonies françaises, définissant les esclaves comme des « biens meubles » et légalisant des châtiments corporels d’une extrême violence. Pour les associations comme le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires), maintenir une statue de Colbert devant la représentation nationale est une insulte à la mémoire des victimes de l’esclavage et une contradiction avec les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.
Face à la demande de retrait de la statue, la position officielle, réaffirmée par les autorités, a été de refuser le déboulonnage. L’argument avancé est celui de la complexité historique : Colbert ne se résume pas au Code Noir, et retirer sa statue reviendrait à effacer une partie fondamentale de la construction de l’État français. Néanmoins, ce débat a permis de mettre en lumière la face sombre du « Grand Siècle », obligeant les institutions à mieux enseigner cette dualité plutôt que de la cacher sous un mythe doré.
📌 Victor Schoelcher : le paradoxe de l’abolitionniste
Plus surprenant pour certains observateurs fut le sort réservé aux statues de Victor Schoelcher, notamment en Martinique et, plus largement, dans les Antilles françaises.. Victor Schoelcher joue un rôle décisif dans la rédaction du décret du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage dans les colonies françaises.. Pendant longtemps, il a été vénéré comme le « libérateur » des esclaves. Sa présence au Panthéon témoigne de cette reconnaissance républicaine. Tu peux d’ailleurs approfondir le sujet des entrées au Panthéon dans l’article sur les panthéonisations et les grands hommes.
Le 22 mai 2020, jour de la commémoration de l’abolition en Martinique, deux statues de Schoelcher ont été détruites en Martinique par des militants.En Guadeloupe aussi, des monuments à Schoelcher ont été contestés, vandalisés ou déplacés, signe d’un rejet plus large de la vision “schoelchériste” de l’abolition. Pourquoi s’en prendre à celui qui a mis fin à l’esclavage ? Les contestataires dénoncent une vision « schoelchériste » de l’histoire qui attribue toute la gloire de la libération à un homme blanc venu de métropole, en invisibilisant les luttes et les révoltes des esclaves eux-mêmes (marronnage, insurrections) qui ont précédé et forcé l’abolition. Après 1848, la IIe République choisit d’indemniser les anciens propriétaires d’esclaves, et Schoelcher ne s’y oppose pas, ce qui alimente aujourd’hui le reproche de ne pas avoir défendu une indemnisation des anciens esclaves eux-mêmes..
Cet événement montre que les polémiques contemporaines autour des statues et des symboles ne visent pas seulement les « bourreaux », mais aussi les « héros » dont la narration est jugée trop paternaliste ou eurocentrée. Cela pose la question de la représentation locale de la mémoire : comment honorer l’émancipation sans reproduire des schémas de domination symbolique ? C’est un défi majeur pour les territoires d’Outre-mer.
📌 Militaires et administrateurs coloniaux : Faidherbe et Gallieni
La IIIe République a multiplié les hommages aux artisans de son empire colonial. Le général Louis Faidherbe (1818-1889) est célébré à Lille, sa ville natale, et au Sénégal, dont il fut le gouverneur. Si Faidherbe est aussi connu pour son rôle dans la défense du Nord de la France pendant la guerre de 1870, son action coloniale au Sénégal repose sur des campagnes militaires violentes et une administration autoritaire, dénoncées aujourd’hui par plusieurs historiens et militants. À Lille, des collectifs demandent régulièrement le retrait de sa statue équestre ou, à défaut, l’apposition d’une plaque explicative détaillée sur les violences de la colonisation.
De même, le maréchal Joseph Gallieni (1849-1916), dont la statue se trouve place Vauban à Paris, est au cœur de controverses. Gallieni est traditionnellement présenté comme l’un des artisans de la défense de Paris en 1914, notamment à travers l’épisode symbolique des taxis de la Marne, Sa politique de “pacification” de Madagascar à la fin du XIXe siècle a été menée avec une grande violence et a contribué à des dizaines de milliers de morts selon plusieurs estimations, même si les chiffres exacts restent débattus. Ici encore, la figure historique est à double face : sauveur de la patrie en 1914, colonisateur impitoyable outre-mer. La République a longtemps choisi de n’honorer que la première face, mais la mémoire des descendants de colonisés rappelle la seconde avec insistance.
Ces exemples illustrent la difficulté de gérer un patrimoine hérité d’une époque où la colonisation était vue comme une « mission civilisatrice » positive. Aujourd’hui, alors que le regard moral a changé, ces statues deviennent des anachronismes douloureux pour une partie de la population française. Le débat se cristallise souvent sur la question de la présence dans l’espace public : doit-on continuer à leur offrir des piédestaux prestigieux, ou leur place est-elle désormais au musée ?
Administrateurs de génie ou organisateurs de l’oppression ? La complexité des figures historiques de l’époque coloniale est au cœur des débats contemporains. 📷 Création pour reviserhistoire.fr
📜 Figures ambivalentes : Napoléon, Pétain et les polémiques politiques
📌 Napoléon Bonaparte : le bicentenaire de la discorde
L’année 2021, marquant le bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, a été un moment fort des polémiques contemporaines autour des statues et des symboles. Napoléon est incontestablement une figure centrale de l’histoire de France, créateur des institutions modernes (Code civil, lycées, préfets, Banque de France). Sa gloire militaire est gravée sur l’Arc de Triomphe. Pourtant, son bilan est entaché par une décision majeure : le rétablissement de l’esclavage dans plusieurs colonies par la loi du 20 mai 1802, huit ans après son abolition de 1794.
Cette décision, motivée par des intérêts géopolitiques et économiques, a entraîné des décennies supplémentaires de souffrances pour les esclaves des colonies. Lors des commémorations, le président Emmanuel Macron a choisi de « commémorer sans célébrer », une nuance sémantique importante. Il a déposé une gerbe aux Invalides tout en prononçant un discours qualifiant le rétablissement de l’esclavage de « faute ». Concernant les statues de l’Empereur, comme celle de Rouen (déposée pour restauration puis remise en place après un débat local sur son remplacement par une figure féminine (Gisèle Halimi)), la polémique a montré que même les géants de l’histoire nationale ne sont plus intouchables.
La question napoléonienne résume bien le dilemme français : comment assumer un héritage aussi colossal tout en reconnaissant ses parts d’ombre ? La réponse actuelle consiste à « tout regarder en face », sans renier l’apport institutionnel de Napoléon, mais sans occulter ses crimes contre la liberté humaine. C’est un exercice d’équilibriste permanent pour les autorités.
📌 L’ombre de Vichy : le cas du Maréchal Pétain
Bien avant les débats décoloniaux, la figure du maréchal Philippe Pétain a suscité de violentes controverses mémorielles qui perdurent encore. Le cas est unique car il oppose le « vainqueur de Verdun » en 1916 au chef de l’État français collaborateur de l’Allemagne nazie à partir de 1940. Après la guerre, Pétain a été frappé d’indignité nationale. Il n’existe plus de statues publiques honorant Pétain, et la quasi-totalité des rues qui portaient son nom ont été rebaptisées après la Libération, mais la question des hommages rendus au général de la Grande Guerre reste épineuse.
Régulièrement, lors des commémorations nationales du 11 novembre, la question se pose : peut-on fleurir la tombe de Pétain à l’île d’Yeu ou citer son nom parmi les chefs militaires de 14-18 ? En 2018, une polémique a éclaté lorsque le président de la République a évoqué l’idée de l’inclure dans un hommage collectif aux maréchaux, avant de faire marche arrière face au tollé. Pour les associations de déportés et d’anciens combattants, la trahison de 1940 et la complicité dans la Shoah effacent définitivement les mérites de 1916.
Ce cas démontre qu’en France, l’indignité peut annuler la gloire passée. Contrairement à Colbert ou Napoléon dont les « fautes » sont anciennes et furent longtemps tolérées par la morale de leur temps, les crimes de Pétain touchent à la mémoire vive et aux valeurs fondamentales de la République contemporaine issues de la Résistance. Il n’y a donc pas de place pour une statue de Pétain, et même les plaques de rues portant son nom ont été méthodiquement effacées du paysage urbain depuis des décennies.
« Commémorer sans célébrer » pour Napoléon, effacement pour Pétain : comment la République gère les parts d’ombre de ses anciens dirigeants. 📷 Création pour reviserhistoire.fr
🎨 La question du genre : où sont les femmes ?
📌 Un espace public saturé par le masculin
Les polémiques contemporaines autour des statues et des symboles ne concernent pas uniquement le racisme ou le passé colonial, mais aussi le sexisme et l’invisibilité des femmes. Une promenade dans n’importe quelle ville française suffit pour faire le constat : l’écrasante majorité des statues représentent des hommes. Selon plusieurs enquêtes et campagnes féministes sur l’espace public, probablement moins de 10 % des statues de personnages historiques en France représentent des femmes (en excluant les allégories comme Marianne).
Cette disparité renvoie une image faussée de l’histoire, suggérant implicitement que seules les hommes ont bâti la nation, créé des œuvres d’art ou fait avancer la science. Les femmes, lorsqu’elles sont représentées, le sont souvent en tant que muses, victimes ou symboles abstraits (la République, la Liberté, la Justice), rarement pour leur action propre en tant qu’individus historiques. Ce « plafond de verre » sculptural est de plus en plus contesté par les mouvements féministes qui réclament une parité mémorielle.
L’enjeu est symbolique mais puissant : permettre aux jeunes filles de s’identifier à des modèles de réussite et de pouvoir dans l’espace public. L’absence de femmes statufiées participe à l’idée que le domaine public et politique est une affaire d’hommes, perpétuant ainsi des stéréotypes de genre tenaces.
📌 Le « Matrimoine » et la féminisation des symboles
Face à ce constat, de nombreuses initiatives ont vu le jour pour réhabiliter le « Matrimoine » (l’héritage culturel venant des mères et des femmes). Des figures comme Olympe de Gouges (auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne), Simone Veil, ou des scientifiques comme Marie Curie voient leur présence se renforcer. À Paris, une statue de Solitude, figure de la résistance à l’esclavage en Guadeloupe, a été inaugurée en 2022, croisant ainsi les enjeux de genre et de mémoire coloniale.
Cependant, une question stratégique divise : faut-il déboulonner des hommes pour mettre des femmes à la place, ou ajouter de nouvelles statues ? La tendance actuelle en France privilégie l’ajout (la sédimentation) plutôt que la substitution. Par exemple, l’Assemblée nationale a décidé d’installer un buste d’Olympe de Gouges, sans pour autant retirer ceux des hommes illustres. L’idée est de densifier l’histoire racontée dans la rue pour la rendre plus complète.
Cette démarche s’accompagne souvent d’une politique active de dénomination de rues, d’écoles et de bâtiments publics. Si ériger une statue coûte cher et prend du temps, renommer un lieu est plus rapide. De nombreuses municipalités s’efforcent désormais de donner quasi exclusivement des noms de femmes aux nouveaux équipements pour rattraper le retard historique. C’est une transformation silencieuse mais profonde de la géographie symbolique de la France.
Longtemps invisibles, les femmes conquièrent progressivement leur place dans la pierre et le bronze de nos villes. 📷 Création pour reviserhistoire.fr
🌍 La réponse républicaine : contextualiser ou déboulonner ?
📌 La doctrine présidentielle : « Ni déni, ni repentance »
Face à la multiplication des appels au déboulonnage, le président Emmanuel Macron a fixé une ligne de conduite claire lors d’une allocution en juin 2020 : « La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. La République ne déboulonnera pas de statue. » Cette doctrine, souvent résumée par la formule « ni déni, ni repentance », vise à refuser ce qui est perçu comme une réécriture anachronique de l’histoire.
L’argument central est que le déboulonnage s’apparente à une damnatio memoriae (condamnation de la mémoire), une pratique antique consistant à effacer toute trace d’un ennemi politique. Pour l’État français, retirer une statue serait un aveu de faiblesse et ouvrirait la boîte de Pandore : où s’arrêter ? Faudrait-il retirer les statues de Jules Ferry (père de l’école laïque mais partisan de la colonisation) ? De Voltaire (philosophe des Lumières mais auteur de propos racistes) ? La crainte est celle d’un espace public aseptisé où ne subsisteraient que des figures moralement irréprochables selon les critères du XXIe siècle, ce qui est impossible historiquement.
Cette position distingue la France de certains pays anglo-saxons où les autorités locales ont parfois pris les devants pour retirer des monuments controversés. En France, l’État se pose en gardien de la complexité historique, préférant l’explication à l’effacement.
📌 La solution de la contextualisation pédagogique
Si l’on ne déboulonne pas, que fait-on ? La solution privilégiée est la contextualisation. Cela consiste à apposer des plaques explicatives, des QR codes ou des installations artistiques temporaires à côté des monuments controversés. L’objectif est de transformer le monument en objet pédagogique : on explique qui était le personnage, pourquoi il a été honoré à une époque donnée, et quels aspects de sa vie sont aujourd’hui condamnés par nos valeurs.
Par exemple, à Bordeaux, la ville a choisi d’installer des plaques explicatives dans les rues portant des noms de négriers, plutôt que de les rebaptiser. Cette démarche permet de « faire histoire » : le passant apprend que la richesse de la ville au XVIIIe siècle reposait en partie sur la traite atlantique. C’est une manière de rendre le passé visible plutôt que de le masquer. Tu peux consulter les ressources des lieux de mémoire et musées pour comprendre comment cette pédagogie est mise en œuvre.
Cependant, cette solution a ses limites. Une plaque est-elle suffisante pour contrebalancer la puissance symbolique d’une statue équestre de trois mètres de haut ? Certains militants estiment que la contextualisation est une demi-mesure qui maintient la glorification visuelle tout en se donnant bonne conscience avec un texte que peu de gens lisent. Le débat reste donc ouvert entre pédagogie et symbolique.
Expliquer plutôt qu’effacer : la France privilégie la contextualisation pédagogique pour garder les traces de sa complexité historique sans valider les valeurs du passé. 📷 Création pour reviserhistoire.fr
🤝 Vers de nouveaux symboles pour la République ?
📌 Créer de nouvelles représentations collectives
Au-delà de la gestion des statues existantes, les polémiques contemporaines autour des statues et des symboles invitent à réfléchir à ce que nous voulons construire pour demain. Si l’espace public est le miroir de la société, il doit refléter la France d’aujourd’hui : diverse, métissée, paritaire et consciente de son histoire plurielle. Il ne s’agit pas seulement de gérer le passif, mais de créer de l’actif.
Des commandes publiques sont passées pour ériger des monuments honorant des figures de la diversité, des résistants étrangers (comme Missak Manouchian récemment panthéonisé), ou des événements longtemps tus (comme le projet de mémorial national en hommage aux victimes de l’esclavage, aujourd’hui envisagé au Trocadéro plutôt qu’aux Tuileries.). Ces nouveaux symboles n’ont pas vocation à remplacer les anciens, mais à dialoguer avec eux, montrant que la République est un processus en construction permanente.
L’art contemporain joue un rôle clé dans cette dynamique. Des artistes réinterprètent les symboles républicains pour leur donner un sens nouveau. Par exemple, des Marianne aux traits plus diversifiés apparaissent dans les mairies. Ces initiatives montrent que la symbolique républicaine n’est pas figée dans le marbre du XIXe siècle, mais qu’elle est une matière vivante capable d’intégrer de nouveaux récits.
📌 Le rôle central de l’éducation
En fin de compte, la statue la plus solide ou la plus fragile n’est rien sans le regard qui se pose sur elle. Les polémiques actuelles soulignent l’importance cruciale de l’enseignement de l’histoire. C’est à l’école que se forgent les clés de compréhension permettant de distinguer l’hommage de l’analyse critique. Pour approfondir, tu peux consulter les programmes sur Eduscol.
Un citoyen éclairé doit être capable de regarder une statue de Colbert en sachant à la fois qu’il a structuré l’État et codifié l’esclavage. Il doit comprendre pourquoi une statue a été érigée en 1880 et pourquoi elle choque en 2025. L’apaisement des mémoires ne passera pas par la destruction des symboles, mais par l’élévation du niveau de connaissance historique de l’ensemble de la population.
C’est tout l’enjeu des monuments aux morts et autres lieux de mémoire : ils ne sont pas des points finaux, mais des points de départ pour la réflexion. La République de demain se construira en regardant son passé avec lucidité, sans haine ni tabou, pour mieux vivre ensemble au présent.
Ériger de nouvelles figures représentatives de la France actuelle et former des citoyens lucides grâce à l’école : les deux clés pour apaiser les mémoires. 📷 Création pour reviserhistoire.fr
🧠 À retenir sur les polémiques autour des statues
- Les polémiques opposent la mémoire (ressenti, identité) à l’histoire (science, contexte) dans un espace public hérité du XIXe siècle.
- Les tensions se concentrent sur l’héritage colonial et esclavagiste (Colbert, Faidherbe) et la sous-représentation des femmes.
- La France a une position spécifique : plutôt que de déboulonner les statues de personnages historiques controversés ou de débaptiser des rues, mieux vaudrait élever sur les même lieux, en réponse, des monuments dédiés à d’autres figures afin de « regarder l’Histoire en face », a suggéré l’entourage d’Emmanuel Macron.
- L’objectif est d’enrichir le patrimoine par la sédimentation : ajouter de nouveaux symboles (diversité, femmes) sans effacer les traces du passé. Les historiens parlent parfois de « sédimentation mémorielle » pour désigner cette logique d’empilement de symboles au lieu de les effacer.
❓ FAQ : Questions fréquentes sur les statues et symboles
🧩 Est-ce illégal de dégrader une statue ?
Oui, absolument. En France, dégrader un bien public (ou privé) est un délit puni par la loi, passible d’amendes et de peines de prison. Même si la motivation est politique, l’acte reste une infraction pénale qualifiée de vandalisme.
🧩 Pourquoi ne met-on pas toutes les statues controversées dans des musées ?
C’est une solution souvent proposée, mais logistiquement difficile vu le nombre de statues et leur taille. De plus, pour l’État, cela reviendrait à « cacher » l’histoire. L’idée est plutôt de transformer la rue en musée à ciel ouvert grâce à des explications pédagogiques.
🧩 Qui décide d’installer ou de retirer une statue ?
C’est généralement la municipalité (le maire et le conseil municipal) qui gère l’espace public local. Pour les monuments nationaux ou situés sur des lieux appartenant à l’État, la décision revient au gouvernement (Ministère de la Culture). C’est donc une décision politique.






