🎯 Pourquoi l’éducation d’avant 1789 nous fascine-t-elle autant ?
L’École sous l’Ancien Régime est souvent entourée de clichés tenaces, imaginée comme un privilège exclusif réservé à une poignée d’aristocrates ou, à l’inverse, comme un désert intellectuel pour le peuple. Pourtant, la réalité historique est bien plus nuancée et passionnante : c’est une époque où l’Église détient le monopole des savoirs, mais où l’alphabétisation progresse de manière spectaculaire dans les campagnes. Comprendre cette période, c’est découvrir les racines profondes de notre système éducatif, bien avant les grandes lois républicaines. Si tu veux saisir comment la France est passée de l’enseignement religieux à l’école publique, cette plongée au cœur des collèges jésuites et des petites écoles de paroisse est indispensable.
🗂️ Dans cet article, tu vas découvrir :
- ⛪ L’Église, maîtresse absolue de l’éducation
- château🏫 Les « petites écoles » et l’alphabétisation du peuple
- 🎓 L’âge d’or des collèges et l’élite intellectuelle
- 🎀 L’éducation des filles : entre couvent et maison
- 📜 Universités et formation des élites : un modèle figé ?
- 💡 La fin d’un monde : critiques des Lumières et pré-Révolution
- 🧠 À retenir
- ❓ FAQ
- 🧩 Quiz
👉 Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre l’emprise de la religion sur les savoirs.
⛪ L’Église, maîtresse absolue de l’éducation
📌 Un monopole éducatif au service de la foi
Pour comprendre l’École sous l’Ancien Régime, il faut d’abord saisir une vérité fondamentale : l’éducation n’est pas une mission de l’État, mais une prérogative quasi exclusive de l’Église catholique. Le roi de France, bien que « Très Chrétien », délègue entièrement la formation des esprits au clergé. L’objectif premier de l’école n’est pas de former des citoyens ou des travailleurs, mais de former de bons chrétiens capables de connaître le catéchisme et, pour les plus instruits, de servir l’Église ou l’administration royale. C’est une différence majeure avec les réformes de Jules Ferry qui laïciseront l’école bien plus tard.
Ce monopole s’explique par l’histoire religieuse de l’époque. Après la Réforme protestante au XVIe siècle, l’Église catholique lance la Contre-Réforme (ou Réforme catholique). Le Concile de Trente (1545-1563) insiste sur la nécessité d’instruire les fidèles pour qu’ils ne soient pas tentés par le protestantisme. L’école devient donc un champ de bataille spirituel. Apprendre à lire, c’est d’abord apprendre à lire les prières, la vie des saints et les textes sacrés. L’instituteur est souvent nommé et contrôlé par le curé de la paroisse, et l’évêque a un droit de regard sur tout ce qui est enseigné.
📌 Les congrégations enseignantes : les soldats du savoir
Ce sont les ordres religieux qui structurent le paysage éducatif. Dans les villes comme dans les campagnes, des milliers de religieux et religieuses se consacrent à l’enseignement. Parmi les plus célèbres, les Jésuites (Compagnie de Jésus) dominent l’enseignement secondaire pour les garçons avec leurs prestigieux collèges. Ils ne sont pas seuls : les Oratoriens, plus libéraux, ou les Frères des Écoles chrétiennes fondés par Jean-Baptiste de La Salle en 1684, jouent un rôle crucial, notamment pour l’éducation des enfants plus pauvres et la formation des maîtres. Ces congrégations développent de véritables méthodes pédagogiques qui influenceront durablement la France.
Cette omniprésence religieuse signifie que le rythme scolaire est calqué sur le calendrier liturgique. Les journées commencent et finissent par la prière, la messe est obligatoire, et les manuels scolaires sont essentiellement des livres de piété. Il n’y a pas de distinction claire entre l’instruction (savoir lire/écrire) et l’éducation morale et religieuse. Si tu t’intéresses aux inégalités scolaires, sache qu’elles prennent racine ici : l’accès au savoir dépendait de la présence d’une congrégation dans ta ville et de la capacité de ta famille à se passer de ta force de travail.
🏫 Les « petites écoles » et l’alphabétisation du peuple
📌 À quoi ressemblait une école de village ?
Contrairement à une idée reçue, le peuple n’était pas totalement ignorant. Il existait un réseau dense de ce qu’on appelait les « petites écoles ». Ces établissements n’avaient rien à voir avec nos écoles primaires actuelles. Souvent, la classe se tenait dans une grange, une pièce du presbytère ou même chez le maître d’école. Le mobilier était rudimentaire : quelques bancs, pas toujours de tables (on écrivait sur ses genoux), et le maître trônait sur une chaire pour surveiller les élèves. Le chauffage était un luxe, et chaque enfant devait parfois apporter sa bûche en hiver pour alimenter le poêle commun.
Le maître d’école (ou régent) n’était pas toujours un professionnel formé. Dans les villages, c’était souvent un artisan, un tailleur, ou le sonneur de cloches qui faisait la classe pour compléter ses maigres revenus. Il était embauché par l’assemblée des habitants ou la fabrique (le conseil de la paroisse). Sa rémunération, appelée « écolage », était payée directement par les parents, parfois en nature (blé, vin, volailles). Cela rendait l’école précaire : si les parents n’avaient plus d’argent ou avaient besoin des enfants pour les moissons, l’école se vidait. C’est une réalité bien loin de la stabilité de l’éducation structurée du XXe siècle.
📌 Lire, écrire, compter : un apprentissage dissocié
La pédagogie des petites écoles était très différente de la nôtre. Aujourd’hui, on apprend à lire et à écrire simultanément. Sous l’Ancien Régime, ces apprentissages étaient successifs et payants séparément. D’abord, on apprenait à lire. Mais attention, on apprenait à lire en latin, une langue que les enfants ne comprenaient pas ! On déchiffrait des prières par cœur. Ce n’est qu’une fois la lecture latine maîtrisée qu’on passait à la lecture en français. Beaucoup d’enfants s’arrêtaient là, sachant déchiffrer mais pas écrire.
L’écriture venait dans un second temps, et elle coûtait plus cher (il fallait du papier, des plumes, de l’encre). C’était un savoir technique, presque artisanal. Enfin, le calcul (l’arithmétique) était réservé à une minorité, souvent ceux qui se destinaient au commerce. Cette méthode explique pourquoi, pendant longtemps, beaucoup de Français savaient signer leur nom (preuve de lecture/écriture) mais étaient incapables de rédiger un texte fluide. Pour approfondir ces méthodes anciennes, tu peux consulter les ressources pédagogiques sur l’histoire de l’école disponibles sur le site de l’Éducation nationale.
📌 La ligne Saint-Malo / Genève : une France à deux vitesses
L’alphabétisation sous l’Ancien Régime révèle une fracture géographique majeure, connue sous le nom de « ligne Maggiolo » (du nom de l’historien qui l’a théorisée). Si l’on regarde une carte de la France du XVIIIe siècle, on voit une différence nette : au Nord-Est d’une ligne reliant Saint-Malo à Genève, l’alphabétisation est forte (parfois plus de 70 % des hommes signent leur acte de mariage). Au Sud de cette ligne, c’est beaucoup plus faible, avec des régions où moins de 10 % des habitants savent signer. Cette disparité s’explique par la densité du réseau urbain, le développement économique, mais aussi la concurrence avec le protestantisme qui poussait à l’instruction.
🎓 L’âge d’or des collèges et l’élite intellectuelle
📌 Le modèle des Jésuites : excellence et discipline
Si les petites écoles instruisent le peuple, les collèges forment l’élite. C’est l’équivalent de notre enseignement secondaire (collège + lycée). Le modèle dominant est celui des Jésuites. Dès le début du XVIIe siècle, ils implantent des établissements prestigieux (comme le collège de Clermont à Paris, futur Louis-le-Grand). Leur pédagogie est codifiée dans le Ratio Studiorum (1599). Elle repose sur une discipline de fer, une surveillance constante, mais aussi sur l’émulation : la compétition permanente entre les élèves est encouragée par des prix, des rangs et des honneurs.
La vie au collège est rude. C’est souvent un internat monacal. On se lève tôt (vers 5h30), on prie, on étudie, on assiste à la messe. Les châtiments corporels (le fouet, la férule) existent, bien que les Jésuites tentent de les limiter ou de les faire administrer par des laïcs (« le correcteur ») pour ne pas souiller les mains des prêtres enseignants. Ce système rigoureux a formé la quasi-totalité des grands esprits de l’époque, de Molière à Voltaire, en passant par Robespierre. Même s’ils critiqueront plus tard leurs maîtres, ils leur doivent leur formidable culture classique.
📌 Le règne du Latin et de la Rhétorique
Qu’apprend-on au collège ? Essentiellement du latin. C’est la langue de l’Église, du droit, des sciences et de la diplomatie européenne. Pendant des années (de la classe de Sixième à la Rhétorique), les élèves mangent du latin à haute dose : thèmes, versions, discours, versification. Le français est peu enseigné pour lui-même avant le milieu du XVIIIe siècle. L’histoire et la géographie sont des matières accessoires, souvent apprises en marge des textes latins (César pour la guerre des Gaules, par exemple).
L’objectif suprême est la maîtrise de la Rhétorique : l’art de bien parler et de convaincre. C’est une formation tournée vers l’art oratoire, indispensable pour les futurs avocats, prêtres ou officiers royaux. On y pratique aussi le théâtre scolaire : les élèves jouent des pièces (en latin, puis en français) pour développer leur mémoire et leur aisance publique. Cependant, ce modèle commence à être critiqué au XVIIIe siècle pour son manque d’ouverture aux sciences modernes et aux langues vivantes, un débat qui rappelle les discussions sur les réformes éducatives récentes.
🎀 L’éducation des filles : entre couvent et maison
📌 Une instruction limitée et surveillée
L’École sous l’Ancien Régime est profondément inégalitaire selon le sexe. Pour les filles, l’enjeu n’est pas de faire carrière, mais de devenir une bonne épouse, une bonne mère et surtout une bonne chrétienne. L’instruction intellectuelle est souvent jugée inutile, voire dangereuse pour leur moralité (« Une femme savante est un fléau pour son mari », disait-on parfois). L’éducation des filles se fait donc prioritairement à la maison, auprès de la mère, ou dans des institutions religieuses spécifiques.
Les couvents jouent un rôle central. Les familles aisées envoient leurs filles chez les Ursulines ou les Visitandines. On y apprend le catéchisme, la lecture, un peu d’écriture, et surtout les travaux d’aiguille (couture, broderie) et la gestion domestique. Les sciences, le latin ou la philosophie sont exclus de leur programme. L’objectif est de préserver leur innocence et de les préparer à leur futur rôle domestique. Il y a peu de mixité : dans les villages, si le maître d’école est un homme, il n’a théoriquement pas le droit d’enseigner aux filles, sauf autorisation spéciale ou présence d’une « maîtresse ».
📌 L’exception Saint-Cyr et Madame de Maintenon
Il existe pourtant des tentatives de réforme. La plus célèbre est la fondation de la Maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr en 1686, par Madame de Maintenon, épouse secrète de Louis XIV. Destinée aux jeunes filles nobles et pauvres, cette école propose un programme plus ambitieux et moderne, bannissant la mollesse des couvents traditionnels. On y insiste sur la langue française, l’histoire, la musique, et une piété rationnelle.
Cependant, même Madame de Maintenon fera marche arrière, craignant que ses élèves ne deviennent trop « précieuses » ou orgueilleuses après avoir joué Esther de Racine devant la Cour. L’école reviendra à une éducation plus austère. Malgré tout, Saint-Cyr restera un modèle pédagogique unique en Europe. Pour voir comment ces structures ont évolué, on peut consulter les archives numérisées sur le site de la BnF, qui regorge de traités d’éducation de l’époque.
📜 Universités et formation des élites : un modèle figé ?
📌 Les quatre facultés traditionnelles
Au sommet de la pyramide scolaire, on trouve les Universités. Héritées du Moyen Âge, elles sont organisées en quatre facultés hiérarchisées : la Faculté des Arts (propédeutique, passage obligé), la Théologie (la plus prestigieuse, comme la Sorbonne à Paris), le Droit et la Médecine. Il y a une vingtaine d’universités en France à la veille de la Révolution. Elles délivrent les grades de bachelier, licencié et docteur.
Le problème, c’est que ces universités sont souvent considérées comme sclérosées au XVIIIe siècle. Les cours sont dictés en latin, les professeurs lisent des textes anciens (Aristote, Galien) sans toujours intégrer les découvertes scientifiques récentes (comme la physique de Newton ou la circulation du sang). Les diplômes s’achètent parfois sans véritable examen sérieux, ce qui dévalue leur prestige. L’université forme des clercs et des juristes, mais elle rate le virage de la modernité technique.
📌 L’émergence des Écoles spéciales
Face à l’inertie des universités, l’État royal commence à créer, à la fin de l’Ancien Régime, des écoles spécialisées pour former les cadres techniques dont le pays a besoin (ingénieurs, officiers, vétérinaires). C’est la naissance des grandes écoles « à la française ». On voit apparaître l’École des Ponts et Chaussées (1747), l’École du Génie de Mézières, ou encore l’École des Mines (1783). Ici, on enseigne les mathématiques appliquées, le dessin technique, la physique moderne. C’est une rupture majeure : l’État prend la main sur une partie de l’enseignement supérieur pour servir l’intérêt public et militaire, préfigurant les grandes écoles post-révolutionnaires.
💡 La fin d’un monde : critiques des Lumières et pré-Révolution
📌 L’expulsion des Jésuites (1762) : un séisme scolaire
Un événement politique va bouleverser le paysage éducatif : l’expulsion des Jésuites du royaume de France en 1762 (puis la dissolution de l’ordre par le Pape). Du jour au lendemain, plus de 100 collèges se retrouvent sans maîtres. L’État et les parlements locaux doivent réorganiser l’enseignement dans l’urgence. Cela ouvre une brèche : des laïcs commencent à remplacer les religieux, et de nouveaux programmes, plus modernes et faisant plus de place aux sciences et au français, sont expérimentés.
Cette crise force la monarchie à s’intéresser enfin directement à l’école. Des débats passionnés agitent l’opinion : faut-il une éducation nationale ? Qui doit la contrôler ? L’Église ou l’État ? C’est un moment charnière qui prépare les esprits aux grands projets révolutionnaires. Ce questionnement sur la place de l’État rejoint les thématiques abordées dans l’article sur Mai 68 et l’université, montrant que la question de l’autorité scolaire est cyclique en France.
📌 Le débat des Lumières : éduquer le peuple ou non ?
Les philosophes des Lumières s’emparent du sujet, mais ils ne sont pas tous d’accord. Si Diderot ou Condorcet militent pour une instruction large et accessible pour éclairer les citoyens et lutter contre l’obscurantisme religieux, d’autres sont plus réticents. Voltaire, par exemple, craint que si le peuple est trop instruit, il ne voudra plus travailler aux champs : « Il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants », écrit-il de manière provocatrice. Rousseau, dans son célèbre Émile (1762), propose une pédagogie nouvelle, centrée sur l’enfant et la nature, rejetant le par cœur et la contrainte.
À la veille de 1789, la France est un pays en pleine mutation éducative. L’alphabétisation a progressé (environ 50% des hommes et 27% des femmes savent signer), les mentalités changent, et la demande de savoir est immense. Les Cahiers de doléances réclameront massivement des maîtres d’école plus compétents et une éducation plus accessible. La Révolution française héritera de ce système complexe pour tenter d’en faire un service public, laïque et gratuit.
🧠 À retenir sur l’École sous l’Ancien Régime
- L’éducation est sous le monopole de l’Église catholique, avec des ordres enseignants puissants comme les Jésuites.
- Les « petites écoles » assurent une alphabétisation croissante, mais inégale (fracture Nord/Sud, hommes/femmes).
- L’enseignement est payant (écolage) et la méthode dissocie la lecture (d’abord en latin) de l’écriture.
- Les collèges forment l’élite bourgeoise et noble avec un programme centré sur le latin et la rhétorique.
- Les filles sont éduquées dans une optique domestique et religieuse, souvent au couvent, avec un accès limité aux savoirs intellectuels.
- L’expulsion des Jésuites en 1762 et les idées des Lumières préparent la naissance de l’école publique républicaine.
❓ FAQ : Questions fréquentes sur l’école d’autrefois
🧩 L’école était-elle obligatoire sous l’Ancien Régime ?
Non, l’école n’était ni obligatoire, ni gratuite, ni laïque. C’était un service proposé par l’Église ou les communautés villageoises. Les parents décidaient d’y envoyer leurs enfants selon leurs moyens financiers et leurs besoins de main-d’œuvre aux champs.
🧩 Les châtiments corporels étaient-ils fréquents ?
Oui, la discipline était stricte. Le fouet (martinet) et la férule (palette de bois pour taper sur les doigts) étaient des outils pédagogiques courants, justifiés par l’adage biblique « Qui aime bien châtie bien ». Cependant, certains pédagogues commençaient déjà à critiquer ces méthodes.
🧩 Apprenait-on l’histoire et la géographie ?
Très peu. Ces matières étaient considérées comme des divertissements ou des compléments culturels, mais ne faisaient pas partie du « noyau dur » de l’enseignement (latin, religion). Elles ne deviendront des disciplines scolaires majeures qu’au XIXe siècle.
🧩 Quelle est la différence entre un collège d’Ancien Régime et un collège actuel ?
Le collège d’Ancien Régime accueillait les élèves de l’enfance jusqu’à l’âge adulte (équivalent CM2 jusqu’à la Terminale/Licence actuelle). C’était un établissement complet d’enseignement secondaire et parfois supérieur, réservé aux garçons, alors que le collège actuel est un cycle intermédiaire pour tous.
