🎯 Pourquoi la guerre en Ukraine redéfinit-elle notre époque ?
La guerre en Ukraine est sans aucun doute le conflit le plus important sur le sol européen depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et les guerres en ex-Yougoslavie. Déclenchée sous une forme hybride en 2014 avec l’annexion de la Crimée et la déstabilisation du Donbas, elle a basculé dans une invasion à grande échelle le 24 février 2022. Plus qu’un simple affrontement régional, ce conflit oppose deux visions du monde : celle d’une Ukraine indépendante aspirant à rejoindre l’Union européenne et l’OTAN, et celle de la Russie de Vladimir Poutine, cherchant à restaurer son influence impériale perdue. Pour bien comprendre ce chapitre crucial de l’histoire des conflits contemporains, il faut plonger dans des siècles d’histoire partagée et souvent douloureuse.
🗂️ Dans cet article, tu vas découvrir :
- 📜 Les racines profondes du conflit : une histoire partagée et contestée
- 🕊️ L’indépendance et les tensions post-soviétiques (1991-2013)
- 💥 2014 : L’année de la rupture – Euromaïdan, Crimée et Donbas
- ⚠️ L’escalade vers l’invasion totale (2015-2022)
- 🚀 L’invasion à grande échelle (depuis le 24 février 2022)
- 🌍 Les enjeux géopolitiques mondiaux de la guerre en Ukraine
- 🧠 À retenir
- ❓ FAQ
- 🧩 Quiz
👉 Commençons par le début, en explorant les origines historiques complexes qui sous-tendent la guerre en Ukraine contemporaine.
📜 Les racines profondes du conflit : une histoire partagée et contestée
Pour comprendre la guerre en Ukraine actuelle, il est indispensable de remonter loin dans le temps. L’Ukraine et la Russie partagent une histoire millénaire, mais cette histoire est interprétée de manière radicalement différente des deux côtés de la frontière. Pour Moscou, l’Ukraine fait partie intégrante du « monde russe » (Russkiy Mir), une sphère d’influence naturelle et historique. Pour Kyiv, l’Ukraine est une nation souveraine avec sa propre langue, sa propre culture et une trajectoire distincte, marquée par des siècles de lutte pour son indépendance face à ses puissants voisins, notamment la Russie.
Cette divergence d’interprétation n’est pas seulement un débat académique ; elle est au cœur de la justification idéologique du conflit. Lorsque Vladimir Poutine affirme que Russes et Ukrainiens sont « un seul peuple », il nie l’existence même de l’identité ukrainienne distincte. En revanche, les Ukrainiens voient dans cette affirmation une continuation des politiques impériales et soviétiques visant à effacer leur nation. Il est donc crucial d’examiner les moments clés de cette histoire complexe.
📌 La Rus’ de Kyiv : le berceau mythique commun
Le point de départ de cette histoire commune est la Rus’ de Kyiv (ou Ruthénie kiévienne), une puissante fédération de tribus slaves orientales qui a prospéré du IXe au XIIIe siècle. Sa capitale était Kyiv, l’actuelle capitale de l’Ukraine. C’est là que le prince Volodymyr le Grand (Vladimir en russe) a adopté le christianisme orthodoxe en 988, un événement fondateur pour l’identité religieuse de la région. La Rus’ de Kyiv est considérée comme le berceau culturel et étatique des trois nations slaves orientales : l’Ukraine, la Russie et la Biélorussie.
Cependant, la dispute porte sur l’héritage de la Rus’. L’historiographie russe considère que le centre du pouvoir s’est progressivement déplacé vers le nord-est, d’abord à Vladimir, puis à Moscou, faisant de la Russie l’héritière légitime et directe de Kyiv. L’historiographie ukrainienne, quant à elle, insiste sur la continuité historique entre la Rus’ de Kyiv et les principautés ukrainiennes ultérieures, comme la Galicie-Volhynie. L’invasion mongole au XIIIe siècle a détruit la Rus’ de Kyiv (chute de Kyiv en 1240) et a durablement séparé les trajectoires des territoires qui la composaient.
En effet, les terres qui deviendront la Russie sont restées sous le joug mongol pendant plus de deux siècles, développant un modèle de pouvoir centralisé et autocratique autour de la Moscovie. Pendant ce temps, les terres ukrainiennes ont été intégrées à d’autres entités politiques européennes, d’abord le Grand-Duché de Lituanie, puis la République des Deux Nations (Pologne-Lituanie). Cette longue période sous influence occidentale a façonné une identité ukrainienne distincte.
🌐 L’ère impériale et la construction de l’identité ukrainienne
La période sous domination polono-lituanienne (XIVe-XVIIIe siècles) a été marquée par des influences culturelles occidentales, mais aussi par des tensions sociales et religieuses entre la noblesse polonaise catholique et la paysannerie ukrainienne orthodoxe. C’est dans ce contexte qu’émerge la figure des Cosaques zaporogues, des paysans guerriers libres qui ont fondé un État autonome, l’Hetmanat cosaque, au milieu du XVIIe siècle. L’Hetmanat est un élément central du récit national ukrainien, symbolisant la lutte pour la liberté et l’auto-gouvernance.
En 1654, le chef cosaque Bohdan Khmelnytsky signe le Traité de Pereïaslav, plaçant l’Hetmanat sous la protection du Tsar de Russie pour échapper à la domination polonaise. Encore une fois, l’interprétation diverge : pour la Russie, il s’agit d’une réunification ; pour l’Ukraine, c’était une alliance militaire temporaire. Progressivement, l’Empire russe va rogner l’autonomie cosaque. L’impératrice Catherine II supprime définitivement l’Hetmanat et détruit la Sitch zaporogue en 1775. Après les partages de la Pologne à la fin du XVIIIe siècle, la majorité des terres ukrainiennes se retrouvent sous contrôle russe, à l’exception de la Galicie (autour de Lviv), qui passe sous contrôle autrichien.
Le XIXe siècle est crucial pour la formation de l’identité nationale ukrainienne moderne. Des intellectuels, comme le poète national Taras Chevtchenko, œuvrent pour la promotion de la langue et de la culture ukrainiennes. L’Empire russe réagit violemment à ce mouvement nationaliste naissant. Il considère l’ukrainien non pas comme une langue distincte, mais comme un dialecte du russe, le « petit-russe » (Malorossia). Des décrets, comme la Circulaire Valuev (1863) et l’Oukase d’Ems (1876), interdisent la publication de livres en langue ukrainienne. Cette politique de russification forcée visait à assimiler les Ukrainiens et à empêcher l’émergence d’une conscience nationale séparée, alimentant un ressentiment durable qui résonne encore aujourd’hui dans la guerre en Ukraine.
💀 L’Holodomor (1932-1933) : la grande famine et le traumatisme national
Le XXe siècle apporte des bouleversements majeurs. Après la Révolution russe de 1917, l’Ukraine connaît une brève période d’indépendance avec la République populaire ukrainienne (1917-1921). Mais cette tentative est écrasée par l’Armée rouge au cours d’une guerre civile sanglante. L’Ukraine est intégrée à l’Union soviétique en 1922 en tant que République socialiste soviétique d’Ukraine. Les premières années du régime soviétique voient une politique d’« ukrainisation » pour consolider le pouvoir communiste, mais cela change radicalement avec l’arrivée au pouvoir de Joseph Staline.
L’événement le plus traumatisant de l’histoire ukrainienne moderne est l’Holodomor (« extermination par la faim ») de 1932-1933. Dans le cadre de la collectivisation forcée des terres agricoles, le régime stalinien a orchestré une famine massive en Ukraine, le « grenier à blé » de l’URSS. Des réquisitions excessives de céréales, des confiscations de toute nourriture et des restrictions de déplacement ont entraîné la mort de 3,5 à 5 millions d’Ukrainiens.
L’Holodomor est aujourd’hui reconnu par l’Ukraine et de nombreux pays comme un génocide visant à briser la résistance de la paysannerie ukrainienne et à détruire les fondements de la nation. Pour les Ukrainiens, c’est la preuve ultime de la volonté historique de Moscou de les annihiler. L’étude de ces crimes de masse est essentielle, tout comme celle du génocide au Rwanda. La Russie, quant à elle, reconnaît la tragédie de la famine mais nie son caractère intentionnel et génocidaire, affirmant qu’elle a touché d’autres régions de l’URSS. Ce déni russe est une source majeure de tension mémorielle.
🗺️ L’Ukraine soviétique et les frontières complexes
La Seconde Guerre mondiale est un autre chapitre sanglant. L’Ukraine est entièrement occupée par l’Allemagne nazie et devient un champ de bataille majeur entre les forces soviétiques et allemandes. Des millions d’Ukrainiens meurent, dont une grande partie de la communauté juive, victime de la Shoah par balles (massacre de Babi Yar à Kyiv).
Pendant la guerre, la mémoire est complexe. La majorité des Ukrainiens combattent dans l’Armée rouge. Cependant, certains mouvements nationalistes ukrainiens, notamment l’UPA (Armée insurrectionnelle ukrainienne) dirigée par Stepan Bandera, combattent à la fois les Soviétiques et les nazis pour l’indépendance, collaborant parfois avec ces derniers contre les Soviétiques. La figure de Bandera est extrêmement controversée : héros national pour certains Ukrainiens, collaborateur nazi et criminel de guerre pour la Russie (et la Pologne). C’est cette référence historique complexe que la propagande russe utilise aujourd’hui pour justifier son objectif de « dénazification » de l’Ukraine.
À l’issue de la guerre, les frontières de l’Ukraine soviétique sont redessinées pour correspondre à peu près à celles de l’Ukraine actuelle. Les territoires de l’ouest (Galicie, Volhynie), auparavant polonais, sont annexés par l’URSS et rattachés à l’Ukraine. En 1954, un événement crucial se produit : Nikita Khrouchtchev, alors dirigeant de l’URSS, transfère la péninsule de Crimée de la République de Russie à la République d’Ukraine. À l’époque, ce geste est purement administratif au sein de l’URSS. Cependant, après 1991, ce transfert deviendra une source de conflit majeur, la Crimée ayant une population majoritairement russophone et abritant la base navale stratégique de Sébastopol.
🕊️ L’indépendance et les tensions post-soviétiques (1991-2013)
L’effondrement de l’URSS en 1991 ouvre une nouvelle ère pour l’Ukraine. Devenue indépendante, la nation doit construire un État viable tout en gérant l’héritage soviétique complexe et les relations tendues avec son voisin russe. Cette période, qui précède directement la guerre en Ukraine initiée en 2014, est marquée par une oscillation constante entre rapprochement avec l’Occident (UE, OTAN) et maintien dans l’orbite de Moscou. Cette hésitation reflète les divisions internes du pays, souvent simplifiées en une opposition entre un Ouest et un Centre plus nationalistes et pro-européens, et un Est et un Sud plus russophones et nostalgiques des liens avec la Russie.
📌 1991 : L’effondrement de l’URSS et la naissance de l’Ukraine moderne
Dans le contexte de la Perestroïka et de la Glasnost initiées par Mikhaïl Gorbatchev, le sentiment national ukrainien connaît une résurgence à la fin des années 1980. La catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986 joue également un rôle catalyseur, révélant les défaillances du système soviétique et renforçant la défiance envers Moscou. Le 24 août 1991, après l’échec du putsch conservateur à Moscou, le Parlement ukrainien (la Rada) proclame l’indépendance de l’Ukraine, dans le contexte plus large de la chute de l’URSS.
Cette déclaration est massivement confirmée par le référendum du 1er décembre 1991. Plus de 90% des votants se prononcent en faveur de l’indépendance, avec une participation de 84%. Fait crucial, l’indépendance est approuvée dans toutes les régions du pays, y compris dans le Donbas (plus de 83%) et même en Crimée (54%), bien que cette dernière bénéficie d’un statut de république autonome au sein de l’Ukraine. L’indépendance de l’Ukraine précipite la dissolution finale de l’URSS, formalisée quelques jours plus tard.
Les premières années de l’indépendance sont difficiles. L’Ukraine doit faire face à une crise économique sévère, à l’hyperinflation et à la montée en puissance des oligarques, qui s’emparent des principaux actifs industriels de l’ère soviétique lors de privatisations troubles. La construction de l’État est marquée par la corruption et l’instabilité politique sous les présidences de Leonid Kravtchouk (1991-1994) et Leonid Koutchma (1994-2005).
🤝 Le Mémorandum de Budapest (1994) : désarmement nucléaire et garanties de sécurité
Un des enjeux majeurs de l’après-indépendance est la question de l’arsenal nucléaire. Après l’effondrement de l’URSS, l’Ukraine se retrouve en possession du troisième plus grand arsenal nucléaire au monde. C’est une situation intenable sur le plan international, et les puissances occidentales, notamment les États-Unis, font pression pour que l’Ukraine renonce à ses armes nucléaires.
La solution est trouvée avec la signature du Mémorandum de Budapest le 5 décembre 1994. En échange de son adhésion au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) et du transfert de toutes ses ogives nucléaires à la Russie pour démantèlement, l’Ukraine reçoit des garanties concernant sa sécurité et son intégrité territoriale. Les signataires du mémorandum – la Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni – s’engagent à respecter l’indépendance, la souveraineté et les frontières existantes de l’Ukraine. Ils s’engagent également à s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’Ukraine.
Ce document est fondamental pour comprendre la guerre en Ukraine. En 2014, lorsque la Russie annexe la Crimée et intervient dans le Donbas, elle viole directement les engagements qu’elle a pris à Budapest. Cela explique pourquoi l’Ukraine se sent trahie. Le mémorandum n’était cependant pas un traité d’alliance militaire contraignant, ce qui limite la portée pratique de ces garanties, un point souvent débattu aujourd’hui.
🍊 La Révolution Orange (2004) : le premier tournant pro-européen
L’élection présidentielle de 2004 marque un tournant décisif. Le scrutin oppose Viktor Ianoukovytch, Premier ministre sortant, soutenu ouvertement par Moscou, à Viktor Iouchtchenko, candidat de l’opposition pro-occidentale (qui a été mystérieusement empoisonné à la dioxine pendant la campagne). Le second tour est marqué par des fraudes massives en faveur de Ianoukovytch, qui est déclaré vainqueur.
En réaction, des centaines de milliers d’Ukrainiens descendent dans les rues de Kyiv, principalement sur la place de l’Indépendance (Maïdan Nezalezhnosti), pour protester pacifiquement contre le résultat truqué. C’sest la Révolution Orange. Face à la pression populaire et internationale, la Cour suprême ukrainienne invalide le second tour et ordonne un nouveau vote. Le 26 décembre 2004, Viktor Iouchtchenko est élu président.
La Révolution Orange est perçue comme une victoire majeure de la démocratie et marque un net virage pro-européen de l’Ukraine. Iouchtchenko affiche clairement son ambition de faire adhérer l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN. Pour le Kremlin, c’est un camouflet inacceptable. Vladimir Poutine y voit une opération orchestrée par l’Occident pour affaiblir la Russie dans son « étranger proche ». La Révolution Orange inaugure une période de relations très tendues entre Kyiv et Moscou.
⛽ Géopolitique du gaz, pressions russes et divisions internes
Cependant, la présidence Iouchtchenko (2005-2010) est marquée par des déceptions. Les réformes promises tardent à se concrétiser, la corruption persiste, et le camp orange se fracture rapidement en raison des rivalités personnelles entre Iouchtchenko et sa Première ministre, Ioulia Tymochenko. Pendant ce temps, la Russie utilise l’arme économique pour faire pression sur l’Ukraine, notamment à travers la question du gaz.
L’Ukraine est fortement dépendante du gaz russe et est aussi un pays de transit crucial pour les exportations de gaz russe vers l’Europe. Moscou utilise cette dépendance pour influencer la politique ukrainienne. Les « guerres du gaz » de 2006 et 2009, qui entraînent des coupures d’approvisionnement en plein hiver affectant aussi l’Europe, illustrent cette tension géopolitique.
Sur le plan géostratégique, le sommet de l’OTAN à Bucarest en 2008 est un moment clé. L’Alliance déclare que l’Ukraine et la Géorgie ont vocation à adhérer, sans toutefois leur accorder de plan d’action immédiat. Pour la Russie, c’est une ligne rouge. Quelques mois plus tard, la Russie intervient militairement en Géorgie (août 2008), envoyant un avertissement clair à Kyiv.
Profitant de la désillusion populaire face à l’échec des réformes orange, Viktor Ianoukovytch prend sa revanche et remporte l’élection présidentielle de 2010. Son élection marque un réalignement de la politique étrangère ukrainienne vers la Russie. Il signe les Accords de Kharkiv, qui prolongent le bail de la flotte russe de la mer Noire à Sébastopol jusqu’en 2042, et abandonne l’objectif d’adhésion à l’OTAN. Sur le plan intérieur, le régime de Ianoukovytch devient de plus en plus autoritaire et prédateur. Malgré ce virage pro-russe, il continue officiellement les négociations avec l’Union européenne pour un ambitieux Accord d’association. C’est la volte-face sur cet accord qui va précipiter sa chute et le début de la guerre en Ukraine.
💥 2014 : L’année de la rupture – Euromaïdan, Crimée et Donbas
L’année 2014 constitue le point de basculement dans l’histoire récente de l’Ukraine et le véritable début de la guerre en Ukraine. Ce que les Ukrainiens appellent la « Révolution de la Dignité » entraîne un changement de régime radical à Kyiv, orientant définitivement le pays vers l’Occident. La réaction de la Russie est immédiate et brutale : annexion de la Crimée et déclenchement d’un conflit armé dans le Donbas. L’ordre de sécurité européen issu de la Guerre Froide est brisé.
🔥 La Révolution de la Dignité (Euromaïdan)
À l’automne 2013, l’Ukraine est sur le point de signer un Accord d’association historique avec l’Union européenne. Cet accord est massivement soutenu par l’opinion publique ukrainienne. Cependant, sous la pression intense de Moscou, qui menace de sanctions économiques, le président Viktor Ianoukovytch annonce brusquement, le 21 novembre 2013, qu’il suspend la signature de l’accord.
Cette décision provoque un choc. Le soir même, des étudiants et des militants pro-européens commencent à se rassembler sur la place de l’Indépendance à Kyiv. C’est le début de l’Euromaïdan (littéralement « Europlace »). La répression violente des manifestants par les forces spéciales (les Berkout), notamment le passage à tabac d’étudiants le 30 novembre, radicalise le mouvement. Ce qui était une manifestation pro-européenne se transforme en une révolution anti-gouvernementale massive, exigeant la démission de Ianoukovytch et la fin de la corruption.
Pendant trois mois, le centre de Kyiv devient une zone auto-organisée. Le régime tente de reprendre le contrôle par la force. Le pic de violence est atteint entre le 18 et le 20 février 2014, lorsque les forces de l’ordre tirent à balles réelles sur les manifestants, faisant une centaine de morts (la « Centurie céleste »). Face à l’effondrement de son autorité et sous la pression internationale, Viktor Ianoukovytch fuit Kyiv dans la nuit du 21 au 22 février 2014 et se réfugie en Russie. Le Parlement ukrainien vote sa destitution et nomme un gouvernement intérimaire pro-européen. La Révolution de la Dignité a triomphé, mais à un prix très élevé.
🇷🇺 L’annexion illégale de la Crimée (février-mars 2014)
Pour Vladimir Poutine, la chute de Ianoukovytch est un « coup d’État fasciste » orchestré par l’Occident. Profitant du chaos politique à Kyiv, la Russie passe immédiatement à l’action pour sécuriser ses intérêts stratégiques. La première cible est la Crimée, péninsule stratégique en mer Noire, majoritairement peuplée de russophones et abritant la base navale russe de Sébastopol.
Dès le 27 février 2014, des commandos russes sans insignes (surnommés les « petits hommes verts ») s’emparent des bâtiments officiels en Crimée, y compris le Parlement régional. Ils encerclent les bases militaires ukrainiennes, forçant les soldats ukrainiens à se rendre sans combattre ou à quitter la péninsule. La Russie déploie massivement ses troupes en Crimée, en violation des accords bilatéraux.
Pour légitimer cette prise de contrôle militaire, les autorités pro-russes installées par Moscou organisent à la hâte un référendum sur le rattachement de la Crimée à la Russie le 16 mars 2014. Ce scrutin, organisé sous occupation militaire et sans observateurs internationaux crédibles, donne un résultat sans appel (96,7% en faveur du rattachement). Deux jours plus tard, le 18 mars 2014, Vladimir Poutine signe le traité officialisant l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie.
Cette annexion est une violation flagrante du droit international, notamment de la Charte des Nations Unies et du Mémorandum de Budapest. C’est la première fois depuis 1945 qu’un État européen annexe par la force une partie du territoire d’un autre État souverain. La communauté internationale condamne massivement cette agression. L’Assemblée générale de l’ONU adopte une résolution affirmant l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Les États-Unis et l’Union européenne imposent des sanctions économiques et diplomatiques contre la Russie.
💥 Le début de la guerre dans le Donbas
Encouragée par le succès de l’opération en Crimée, la Russie cherche à déstabiliser le reste de l’Ukraine, en particulier les régions industrielles de l’Est et du Sud. Le Kremlin lance le projet de « Novorossiya » (Nouvelle Russie), visant à créer une entité pro-russe s’étendant de Kharkiv à Odessa. Des manifestations pro-russes et anti-Maïdan, soutenues par des agents russes, éclatent dans plusieurs villes.
Si ce projet échoue dans la plupart des régions, il prend racine dans le Donbas (les oblasts de Donetsk et Louhansk). En avril 2014, des groupes armés pro-russes, dirigés par des officiers des services secrets russes comme Igor Guirkine (dit Strelkov), s’emparent des bâtiments administratifs et proclament la création de la « République populaire de Donetsk » (DNR) et de la « République populaire de Louhansk » (LNR). C’est le début de la guerre dans le Donbas.
Le gouvernement ukrainien réagit en lançant une « opération anti-terroriste » (ATO) pour reprendre le contrôle de ces territoires. Au début, l’armée ukrainienne, désorganisée et sous-équipée, subit des revers. Mais progressivement, grâce à la mobilisation de bataillons de volontaires, elle reprend du terrain pendant l’été 2014. Le 17 juillet 2014, le vol MH17 est abattu par un missile russe au-dessus du Donbas, tuant 298 civils.
Alors que les séparatistes sont au bord de l’effondrement, la Russie intervient directement et massivement avec ses troupes régulières pour les sauver. En août 2014, les forces ukrainiennes subissent de lourdes défaites, notamment lors de la bataille d’Ilovaïsk, où elles sont encerclées et massacrées. La Russie nie officiellement toute implication militaire directe, mais les preuves de son engagement sont accablantes. La guerre en Ukraine change de nature, devenant une véritable guerre interétatique non déclarée.
⚖️ Les Accords de Minsk I et II : tentatives de paix échouées
Face à l’escalade militaire, la communauté internationale tente de trouver une solution diplomatique. Le 5 septembre 2014, sous l’égide de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), le Protocole de Minsk (Minsk I) est signé. Il prévoit un cessez-le-feu immédiat. Cependant, il n’est pas respecté et les combats reprennent violemment, notamment autour de l’aéroport de Donetsk et de la ville stratégique de Debaltseve.
Une nouvelle offensive diplomatique est lancée dans le cadre du « Format Normandie » (réunissant les dirigeants de l’Ukraine, de la Russie, de la France et de l’Allemagne). Après de longues négociations, les Accords de Minsk II sont signés le 12 février 2015. Ces accords détaillent le volet politique de la résolution du conflit.
Le volet politique prévoit une réforme constitutionnelle en Ukraine accordant un « statut spécial » (une large autonomie) aux territoires séparatistes du Donbas, l’organisation d’élections locales, et la reprise du contrôle de la frontière russo-ukrainienne par Kyiv. Cependant, les accords sont délibérément ambigus sur la séquence des étapes. L’Ukraine exige d’abord le cessez-le-feu, le retrait des forces étrangères (russes) et la reprise du contrôle de la frontière avant d’accorder le statut spécial. La Russie exige l’inverse : d’abord le statut spécial et les élections, puis le reste.
Cette divergence fondamentale d’interprétation bloque toute avancée politique. Pour Kyiv, appliquer les accords selon la lecture russe reviendrait à légaliser des régimes fantoches contrôlés par Moscou au sein de l’Ukraine, lui donnant un droit de veto permanent sur la politique étrangère du pays (notamment l’adhésion à l’OTAN). Pour Moscou, les accords sont un moyen de fédéraliser l’Ukraine et de maintenir son influence. En raison de cette impasse politique, les Accords de Minsk ne permettront jamais de résoudre le conflit, même s’ils contribuent à réduire l’intensité des combats après 2015.
⚠️ L’escalade vers l’invasion totale (2015-2022)
Après la signature de Minsk II, la guerre en Ukraine entre dans une nouvelle phase. La ligne de front dans le Donbas se stabilise, et le conflit se transforme en une guerre de tranchées de basse intensité, mais néanmoins meurtrière. Pendant sept ans, de 2015 à 2022, cette situation de « ni guerre ni paix » prévaut, tandis que l’Ukraine se réforme et se rapproche de l’Occident, et que la Russie prépare sa revanche. L’échec de la diplomatie et la montée des tensions conduiront inexorablement à l’invasion à grande échelle.
🧱 Une guerre de tranchées gelée mais meurtrière
Bien que les combats de haute intensité diminuent après 2015, la guerre dans le Donbas ne s’arrête jamais vraiment. La ligne de contact, longue de plus de 400 kilomètres, devient une zone militarisée, rappelant les tranchées de la Première Guerre mondiale. Les violations du cessez-le-feu sont quotidiennes, avec des tirs de snipers, des bombardements d’artillerie et des incursions de commandos. L’OSCE déploie une mission d’observation spéciale (SMM) pour surveiller la situation.
Le bilan humain de cette guerre « oubliée » est lourd. Entre 2014 et fin 2021, le conflit a fait environ 14 000 morts (dont plus de 3 000 civils) et provoqué le déplacement de 1,5 million de personnes. La situation humanitaire dans les territoires occupés de Donetsk et Louhansk est désastreuse. Ces républiques autoproclamées deviennent des zones de non-droit, dirigées par des seigneurs de guerre sous le contrôle étroit de Moscou.
Pendant ce temps, la Russie renforce son contrôle sur ces territoires. Elle fournit un soutien financier, militaire et administratif massif. Elle mène également une politique d’intégration forcée, notamment à travers la « passportisation » : à partir de 2019, Moscou distribue massivement des passeports russes aux habitants du Donbas occupé (plus de 700 000 en 2021). Cette stratégie vise à créer une base légale pour une future intervention militaire russe, sous prétexte de protéger ses « citoyens ».
🇪🇺 La présidence Zelensky (depuis 2019) et les réformes internes
Pendant la présidence de Petro Porochenko (2014-2019), élu après la Révolution de la Dignité, l’Ukraine engage des réformes profondes malgré la guerre. L’armée ukrainienne est reconstruite et modernisée, devenant beaucoup plus puissante et expérimentée grâce à l’aide occidentale. L’Accord d’association avec l’Union européenne est signé et entre en vigueur, entraînant une réorientation majeure de l’économie ukrainienne vers le marché européen. Le régime de libéralisation des visas permet aux Ukrainiens de voyager sans visa dans l’UE à partir de 2017.
Sur le plan identitaire, l’agression russe accélère la consolidation de la nation ukrainienne et la rupture avec le « monde russe ». Des lois de décommunisation sont adoptées pour éliminer les symboles soviétiques. La langue ukrainienne est promue dans l’espace public. En 2019, l’Église orthodoxe ukrainienne obtient son autocéphalie (indépendance) du Patriarcat de Moscou, un événement symbolique majeur.
En 2019, Volodymyr Zelensky, un ancien comédien sans expérience politique, remporte massivement l’élection présidentielle avec 73% des voix. Sa campagne est axée sur la lutte contre la corruption et la promesse de mettre fin à la guerre dans le Donbas. Au début de sa présidence, Zelensky tente de relancer le processus de paix avec la Russie. Un sommet en Format Normandie se tient à Paris en décembre 2019, aboutissant à quelques avancées mineures (échange de prisonniers). Mais rapidement, il devient clair que Moscou n’est pas prêt à faire de concessions réelles.
Face à l’intransigeance russe, Zelensky adopte une posture plus ferme. Il poursuit le rapprochement avec l’OTAN (l’objectif d’adhésion ayant été inscrit dans la Constitution ukrainienne en 2019) et demande un plan d’action clair pour l’adhésion. Il lance également la « Plateforme de Crimée » en août 2021 pour remettre la question de l’occupation de la Crimée à l’agenda international. Sur le plan intérieur, il s’attaque aux intérêts des oligarques pro-russes, notamment Viktor Medvedtchouk, un proche de Poutine. Ces actions provoquent la colère de Moscou.
🗣️ La rhétorique de Moscou et la négation de l’État ukrainien
Pendant ce temps, la rhétorique du Kremlin envers l’Ukraine devient de plus en plus agressive et révisionniste. Vladimir Poutine semble obsédé par l’Ukraine, qu’il considère comme une création artificielle de Lénine et une menace existentielle pour la Russie si elle rejoint l’OTAN. Il décrit l’Ukraine comme un « anti-Russie » contrôlé par l’Occident.
En juillet 2021, Poutine publie un long essai intitulé « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ». Dans ce texte, il expose sa vision de l’histoire, niant l’existence d’une nation ukrainienne distincte et affirmant que Russes et Ukrainiens forment un seul peuple. Il suggère que la véritable souveraineté de l’Ukraine n’est possible qu’en partenariat avec la Russie. Cet essai est largement interprété comme une justification idéologique pour une future agression.
La propagande d’État russe dépeint systématiquement le gouvernement ukrainien comme un régime « nazi » ou « néo-nazi », exploitant la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Cette accusation est absurde dans un pays démocratique dirigé par un président juif (Zelensky) et où l’extrême droite obtient des scores marginaux aux élections. Mais elle vise à diaboliser l’Ukraine aux yeux de l’opinion publique russe et à justifier l’objectif de « dénazification » qui sera invoqué lors de l’invasion.
⚠️ Les signes avant-coureurs : renforcement militaire russe et échec diplomatique
L’escalade finale commence au printemps 2021, lorsque la Russie masse des dizaines de milliers de troupes à la frontière ukrainienne sous prétexte d’exercices militaires. À l’automne 2021, la Russie recommence à renforcer massivement sa présence militaire autour de l’Ukraine (au nord en Biélorussie, à l’est et au sud en Crimée). Les services de renseignement américains commencent à alerter publiquement sur l’imminence d’une invasion à grande échelle.
Parallèlement à ce renforcement militaire, la Russie lance un ultimatum diplomatique à l’Occident. En décembre 2021, Moscou publie deux projets de traités exigeant des garanties de sécurité juridiquement contraignantes. Les principales demandes sont l’arrêt de tout élargissement futur de l’OTAN (en particulier à l’Ukraine) et le retrait des forces de l’OTAN des pays d’Europe de l’Est ayant rejoint l’Alliance après 1997. Ces demandes sont inacceptables pour l’OTAN car elles violent le principe fondamental de la souveraineté des États à choisir leurs alliances.
Une intense activité diplomatique s’engage en janvier et février 2022 pour tenter d’éviter la guerre. Le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz se rendent à Moscou pour négocier avec Poutine. Mais le dialogue tourne court. Le 21 février 2022, Vladimir Poutine franchit une étape décisive en reconnaissant officiellement l’indépendance des républiques séparatistes de Donetsk et Louhansk. Cette décision enterre définitivement les Accords de Minsk et ouvre la voie à l’intervention militaire officielle de la Russie. Trois jours plus tard, l’invasion commence.
🚀 L’invasion à grande échelle (depuis le 24 février 2022)
Le 24 février 2022 marque le début de la phase la plus dramatique de la guerre en Ukraine. Ce jour-là, la Russie lance une invasion militaire à grande échelle contre l’Ukraine, provoquant le plus grand conflit armé en Europe depuis 1945. Ce que Moscou appelle une « opération militaire spéciale » vise des objectifs maximalistes : renverser le gouvernement ukrainien (« dénazification »), démilitariser le pays et assurer son statut de neutralité. C’est une guerre existentielle pour l’Ukraine, qui lutte pour sa survie en tant que nation indépendante.
🚀 Le déclenchement de l' »Opération militaire spéciale »
Aux premières heures du 24 février 2022, Vladimir Poutine annonce dans une allocution télévisée le début de l’opération. Immédiatement après, des frappes de missiles et des bombardements aériens ciblent les infrastructures militaires ukrainiennes à travers tout le pays, y compris dans la capitale Kyiv et des villes de l’Ouest comme Lviv.
Simultanément, les forces terrestres russes (environ 150 000 à 190 000 hommes) pénètrent sur le territoire ukrainien sur plusieurs fronts : Au Nord, depuis la Biélorussie, en direction de Kyiv, avec l’objectif de prendre la capitale rapidement. Au Nord-Est, vers Kharkiv, la deuxième ville du pays. À l’Est, dans le Donbas. Et au Sud, depuis la Crimée annexée, en direction de Kherson et Zaporijjia, avec l’objectif de créer un pont terrestre reliant la Crimée à la Russie.
Le plan russe repose sur l’hypothèse d’une guerre éclair (un « blitzkrieg »). Le Kremlin pense que l’État ukrainien va s’effondrer rapidement, que l’armée ukrainienne n’opposera pas de résistance sérieuse (contrairement à la chute rapide de Kaboul en Afghanistan en 2021), et que la population accueillera les soldats russes en libérateurs. Cette erreur de calcul fondamentale va déterminer l’échec de la stratégie initiale russe.
🛡️ La résistance ukrainienne et l’échec de la guerre éclair russe
Contrairement aux attentes du Kremlin, l’Ukraine résiste héroïquement. Le président Volodymyr Zelensky refuse de quitter Kyiv malgré les menaces sur sa vie, incarnant la résistance de la nation. Sa phrase devenue célèbre, « J’ai besoin de munitions, pas d’un taxi », galvanise le moral ukrainien et mobilise le soutien international. L’ensemble de la société ukrainienne se mobilise pour défendre le pays.
L’armée ukrainienne, bien que moins nombreuse et moins équipée que l’armée russe, tire profit de sa connaissance du terrain, de sa modernisation depuis 2014 et des armes antichars modernes fournies par l’Occident (comme les Javelin et NLAW). Elle mène une défense mobile et agile, harcelant les lignes de ravitaillement russes.
La bataille clé de la première phase de la guerre est la bataille de Kyiv (février-mars 2022). Les forces russes tentent d’encercler la capitale, mais elles se heurtent à une résistance féroce dans les villes périphériques comme Irpin, Boutcha et Hostomel. Une immense colonne de véhicules militaires russes est bloquée au nord de Kyiv, victime de problèmes logistiques majeurs et d’embuscades ukrainiennes.
Face à l’échec de son offensive sur Kyiv et aux lourdes pertes subies, la Russie annonce fin mars 2022 un changement de stratégie. Elle décide de retirer ses troupes du Nord de l’Ukraine pour se concentrer sur l’objectif principal : la conquête complète du Donbas. Cet échec stratégique majeur de la Russie marque la fin de la première phase de la guerre et sauve l’indépendance de l’Ukraine.
⚔️ Les phases clés du conflit militaire
Après le retrait du Nord, la deuxième phase de la guerre commence en avril 2022, avec une offensive russe massive dans le Donbas et le Sud. La guerre se transforme en une guerre d’attrition brutale, dominée par l’artillerie. La Russie utilise sa supériorité de feu écrasante pour pilonner les positions ukrainiennes et avancer lentement.
Dans le Sud, la Russie parvient à occuper la majeure partie des oblasts de Kherson et Zaporijjia. La ville portuaire stratégique de Marioupol est assiégée dès les premiers jours. Après trois mois de siège dévastateur et une résistance héroïque des défenseurs ukrainiens retranchés dans l’usine d’Azovstal, la ville tombe en mai 2022. La Russie sécurise ainsi son pont terrestre vers la Crimée.
Dans le Donbas, les combats font rage pendant l’été 2022. Les forces russes prennent le contrôle de la quasi-totalité de l’oblast de Louhansk après la chute des villes de Severodonetsk et Lyssytchansk en juin-juillet. Mais leur progression dans l’oblast de Donetsk est stoppée.
La troisième phase de la guerre commence à l’automne 2022, marquée par des contre-offensives ukrainiennes réussies, grâce notamment à l’arrivée d’armements occidentaux plus puissants (comme les lance-roquettes multiples HIMARS). En septembre 2022, l’Ukraine lance une contre-offensive surprise dans la région de Kharkiv (Nord-Est), libérant en quelques jours la quasi-totalité de l’oblast occupé. Dans le Sud, les forces ukrainiennes parviennent à libérer la ville de Kherson le 11 novembre 2022.
Face à ces revers, Poutine annonce le 30 septembre 2022 l’annexion formelle des quatre oblasts ukrainiens partiellement occupés (Donetsk, Louhansk, Kherson, Zaporijjia). Il décrète également une mobilisation partielle en Russie pour reconstituer ses forces.
Depuis l’hiver 2022-2023, le front s’est largement stabilisé. La guerre entre dans une longue phase d’attrition. La Russie lance une campagne de frappes massives contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes. La bataille de Bakhmout devient le point focal des combats, une bataille extrêmement sanglante qui dure près d’un an et se solde par la prise de la ville (entièrement détruite) par les forces russes (principalement le groupe paramilitaire Wagner) en mai 2023.
L’Ukraine lance une nouvelle contre-offensive très attendue à l’été 2023. Mais face à des lignes de défense russes solidement préparées (champs de mines, tranchées), la progression est lente et coûteuse. L’offensive n’atteint pas ses objectifs de percée stratégique. À partir de l’automne 2023, la Russie reprend l’initiative sur certains secteurs du front, notamment autour d’Avdiïvka (prise en février 2024), profitant des difficultés ukrainiennes (manque de munitions) et des hésitations du soutien occidental.
🕯️ Crimes de guerre et coût humain
La guerre en Ukraine est marquée par une violence extrême et des violations massives des droits de l’homme. Dès le début de l’invasion, les forces russes ont recours à des tactiques brutales : bombardements indiscriminés de zones civiles, sièges de villes, attaques contre les infrastructures critiques.
La découverte des massacres de civils à Boutcha en avril 2022, après le retrait des troupes russes de la région de Kyiv, choque le monde entier. Des centaines de corps de civils, certains exécutés sommairement les mains liées dans le dos, sont retrouvés dans les rues et dans des fosses communes. D’autres atrocités sont documentées dans les zones occupées (Izioum, Kherson), incluant la torture, les violences sexuelles et les disparitions forcées. L’ONU documente régulièrement ces violations.
La Russie est également accusée de procéder à la déportation forcée de milliers d’enfants ukrainiens des territoires occupés vers la Russie. En mars 2023, la Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine et la commissaire russe aux droits de l’enfant pour leur responsabilité dans ces déportations.
Le coût humain de la guerre est colossal. Bien que les chiffres exacts des pertes militaires soient gardés secrets, les estimations parlent de centaines de milliers de morts et de blessés des deux côtés. Côté civil, l’ONU a documenté plus de 10 000 civils tués, mais le bilan réel est probablement beaucoup plus élevé. La guerre a également provoqué la plus grande crise de réfugiés en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale : plus de 6 millions d’Ukrainiens ont fui le pays, et des millions sont déplacés à l’intérieur du pays.
Sur le plan économique, les destructions sont immenses. Des villes entières ont été rayées de la carte. Le coût de la reconstruction de l’Ukraine est estimé à plusieurs centaines de milliards de dollars. L’économie ukrainienne s’est effondrée en 2022 (-30%) mais a montré une résilience remarquable depuis, soutenue par l’aide financière massive de l’Occident.
🌍 Les enjeux géopolitiques mondiaux de la guerre en Ukraine
La guerre en Ukraine n’est pas seulement une tragédie pour le peuple ukrainien ; c’est un événement géopolitique majeur qui redéfinit l’ordre international. Les conséquences de ce conflit dépassent largement les frontières de l’Europe et affectent l’équilibre des puissances, la sécurité mondiale, l’économie et l’avenir de la démocratie. Comprendre ces enjeux est essentiel pour saisir la portée historique de cette guerre.
🌐 Le retour de la guerre de haute intensité en Europe
L’invasion de l’Ukraine marque le retour brutal de la guerre de haute intensité sur le continent européen. Ce conflit démontre que la paix en Europe ne peut être tenue pour acquise. La Russie de Vladimir Poutine apparaît désormais comme une menace directe et existentielle pour la sécurité européenne, brisant tous les principes fondamentaux de l’architecture de sécurité européenne (inviolabilité des frontières, non-recours à la force).
Cette prise de conscience a entraîné un réveil stratégique en Europe. Les pays européens, qui avaient largement désinvesti dans leur défense depuis les années 1990, augmentent massivement leurs budgets militaires. L’Allemagne, en particulier, a opéré un changement de doctrine historique (le « Zeitenwende » ou changement d’époque) en décidant de réarmer et de devenir un acteur majeur de la défense européenne.
L’Union européenne elle-même s’affirme davantage comme un acteur géopolitique, en finançant pour la première fois des livraisons d’armes à un pays en guerre et en adoptant des sanctions économiques massives contre la Russie. L’engagement de l’UE en Ukraine montre cette transformation. L’UE a également accordé à l’Ukraine le statut de candidat à l’adhésion en juin 2022, ancrant définitivement le pays dans la famille européenne.
🤝 Le renforcement de l’OTAN et l’unité occidentale (ou ses limites)
L’une des conséquences paradoxales de l’agression russe est le renforcement spectaculaire de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord). Alors que Poutine voulait affaiblir l’Alliance atlantique et stopper son élargissement, il a obtenu exactement l’inverse. L’OTAN a retrouvé sa raison d’être première : la défense collective contre la menace russe.
L’Alliance a considérablement renforcé sa posture de dissuasion sur son flanc oriental (Pays baltes, Pologne, Roumanie). Surtout, la guerre a poussé deux pays traditionnellement neutres, la Finlande et la Suède, à demander leur adhésion à l’OTAN. La Finlande a rejoint l’Alliance en avril 2023, et la Suède en mars 2024. La mer Baltique devient ainsi un « lac de l’OTAN », renforçant considérablement la sécurité de l’Europe du Nord.
Face à l’agression russe, le camp occidental (États-Unis, Europe, Canada, Japon, Australie) a fait preuve d’une unité remarquable dans un premier temps. Un soutien militaire, financier et humanitaire massif a été apporté à l’Ukraine. Des sanctions sans précédent ont été adoptées contre la Russie. Cette réponse coordonnée contraste avec les réactions souvent divisées face à d’autres interventions militaires controversées, comme la guerre en Irak en 2003.
Cependant, cette unité s’effrite avec le temps. Des divergences apparaissent sur le niveau de soutien à apporter à l’Ukraine et sur les objectifs de guerre. Les hésitations américaines (blocage de l’aide militaire par le Congrès) et européennes (retards dans les livraisons de munitions) fragilisent la résistance ukrainienne. La perspective d’un changement politique aux États-Unis inquiète profondément les Européens.
⚡ Crise énergétique et économique mondiale
La guerre en Ukraine a des répercussions majeures sur l’économie mondiale. Elle a provoqué un choc énergétique mondial. La Russie étant l’un des principaux producteurs mondiaux de pétrole et de gaz, le conflit et les sanctions ont entraîné une flambée des prix de l’énergie.
L’Europe, en particulier, était fortement dépendante du gaz russe avant la guerre. La décision de l’UE de se sevrer des énergies fossiles russes et la réduction drastique des livraisons par la Russie ont contraint l’Europe à diversifier ses approvisionnements en urgence (GNL américain et qatari) et à accélérer la transition énergétique. Bien que le scénario du pire ait été évité, la crise énergétique a alimenté une forte inflation et ralenti la croissance économique mondiale.
Le conflit a également provoqué une crise alimentaire mondiale. L’Ukraine et la Russie sont des acteurs majeurs sur les marchés mondiaux de céréales. Le blocus de la mer Noire par la Russie au début de la guerre a empêché les exportations ukrainiennes, menaçant la sécurité alimentaire de nombreux pays dépendants, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. La sécurité alimentaire mondiale reste fragile et vulnérable aux aléas du conflit.
🌍 Un nouvel ordre mondial ? La Russie, la Chine et le « Sud Global »
La guerre en Ukraine accélère la fragmentation de l’ordre international et cristallise l’affrontement entre les démocraties occidentales et les régimes autoritaires, en particulier la Chine et la Russie. La Russie, isolée sur la scène internationale et coupée de l’Occident, se tourne vers l’Asie et renforce son partenariat stratégique avec la Chine. Bien que Pékin adopte une position officiellement neutre, elle apporte un soutien diplomatique et économique crucial à Moscou. La Chine partage avec la Russie l’objectif de contester l’hégémonie américaine et de promouvoir un ordre mondial multipolaire.
La Russie cherche également à contourner les sanctions en renforçant ses liens avec d’autres pays non-occidentaux, comme l’Iran (qui lui fournit des drones Shahed) et la Corée du Nord (qui lui livre des obus d’artillerie). Une nouvelle alliance des États révisionnistes semble se dessiner.
L’un des enjeux majeurs du conflit est la réaction du reste du monde, souvent désigné sous le terme de « Sud Global » (Global South). Contrairement à l’Occident, de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine ont refusé de condamner l’agression russe et d’appliquer les sanctions. Ils adoptent une position de non-alignement. Ils dénoncent également les « doubles standards » de l’Occident, accusé de se mobiliser pour l’Ukraine tout en négligeant d’autres conflits (comme le conflit israélo-palestinien).
La Russie exploite ce ressentiment anti-occidental à travers une offensive diplomatique et informationnelle intense. La bataille des récits fait rage. L’issue de la guerre en Ukraine déterminera en grande partie la nature du futur ordre mondial : un ordre fondé sur le droit international et la souveraineté des États, ou un retour à la loi du plus fort et à la politique des sphères d’influence impériales.
🧠 À retenir sur la guerre en Ukraine
- Des racines historiques profondes : L’Ukraine et la Russie partagent un héritage commun (la Rus’ de Kyiv), mais leurs trajectoires ont divergé. L’histoire ukrainienne est marquée par la lutte pour l’indépendance face à la domination russe (Empire russe, URSS) et par le traumatisme de l’Holodomor (1932-1933).
- L’indépendance et les tensions (1991-2013) : Après l’effondrement de l’URSS en 1991, l’Ukraine oscille entre l’Est et l’Ouest. La Révolution Orange (2004) marque un premier tournant pro-européen. L’Ukraine a renoncé à ses armes nucléaires en échange de garanties de sécurité (Mémorandum de Budapest, 1994).
- 2014, l’année de la rupture : La Révolution de la Dignité (Euromaïdan) en février 2014 chasse le président pro-russe Ianoukovytch. La Russie réagit en annexant illégalement la Crimée (mars 2014) et en déclenchant la guerre dans le Donbas via des séparatistes soutenus par Moscou. Les Accords de Minsk (2014-2015) échouent à résoudre le conflit.
- L’escalade (2015-2022) : Le conflit dans le Donbas se transforme en guerre de tranchées. L’Ukraine se réforme et se rapproche de l’OTAN et de l’UE sous la présidence de Volodymyr Zelensky (depuis 2019). La Russie durcit sa rhétorique, niant l’existence de la nation ukrainienne.
- L’invasion à grande échelle (depuis 2022) : Le 24 février 2022, la Russie lance une invasion totale. La résistance ukrainienne met en échec la tentative de guerre éclair russe (victoire de la bataille de Kyiv). La guerre se transforme en un conflit d’attrition brutal, marqué par des crimes de guerre (Boutcha, Marioupol). L’Ukraine mène des contre-offensives réussies (Kharkiv, Kherson) à l’automne 2022, avant une stabilisation du front.
- Des enjeux mondiaux : La guerre marque le retour de la guerre de haute intensité en Europe, renforce l’OTAN (adhésion de la Finlande et de la Suède), provoque des crises énergétique et alimentaire mondiales, et accélère la fragmentation de l’ordre international (confrontation Occident vs Russie/Chine).
❓ FAQ : Questions fréquentes sur la guerre en Ukraine
🧩 Pourquoi la Russie a-t-elle envahi l’Ukraine en 2022 ?
La Russie a justifié son invasion par la nécessité de « dénazifier » et « démilitariser » l’Ukraine, et de protéger les populations russophones du Donbas d’un prétendu « génocide ». En réalité, les motivations profondes sont géopolitiques et idéologiques. Vladimir Poutine considère l’Ukraine comme faisant partie de la sphère d’influence russe et nie l’existence d’une nation ukrainienne distincte. Il veut empêcher l’Ukraine de rejoindre l’OTAN et l’UE, craignant que cela ne menace la sécurité de la Russie et ne serve de modèle démocratique contagieux. L’invasion vise à restaurer l’influence impériale perdue de la Russie.
🧩 Qu’est-ce que l’Holodomor et pourquoi est-ce important ?
L’Holodomor (« extermination par la faim ») est la grande famine orchestrée par le régime soviétique de Staline en Ukraine en 1932-1933. Elle a causé la mort de 3,5 à 5 millions d’Ukrainiens. L’Ukraine la considère comme un génocide visant à détruire la nation ukrainienne. C’est un traumatisme historique majeur qui explique la défiance profonde des Ukrainiens envers Moscou et leur volonté de rupture avec le passé soviétique et impérial russe.
🧩 Pourquoi la Crimée est-elle si stratégique ?
La Crimée est une péninsule située en mer Noire, cruciale pour le contrôle maritime de la région. Elle abrite la base navale de Sébastopol, port d’attache historique de la flotte russe de la mer Noire, qui lui offre un accès aux mers chaudes (Méditerranée). Majoritairement peuplée de russophones, elle a été transférée de la Russie à l’Ukraine en 1954 au sein de l’URSS. Son annexion par la Russie en 2014 a marqué le début de la guerre en Ukraine et constitue une violation majeure du droit international.
🧩 La guerre en Ukraine pourrait-elle dégénérer en Troisième Guerre mondiale ?
C’est le risque principal depuis le début du conflit. L’Ukraine étant soutenue militairement par les pays de l’OTAN, une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie (une puissance nucléaire) pourrait entraîner une escalade incontrôlable. C’est pourquoi l’OTAN refuse d’intervenir directement en Ukraine (pas de troupes au sol, pas de zone d’exclusion aérienne). Cependant, le risque d’un débordement du conflit (par accident ou par choix délibéré de la Russie d’attaquer un pays de l’OTAN) reste présent. De nombreux observateurs considèrent que nous sommes déjà dans une forme de confrontation mondiale hybride.
🧩 Quel est le rôle de l’OTAN dans ce conflit ?
L’OTAN n’est pas directement impliquée militairement dans la guerre en Ukraine, car l’Ukraine n’est pas membre de l’Alliance et ne bénéficie pas de sa clause de défense collective (Article 5). Cependant, les pays membres de l’OTAN fournissent un soutien massif à l’Ukraine (armes, munitions, formation, renseignement, aide financière). L’OTAN renforce également sa propre défense sur son flanc oriental pour dissuader toute agression russe contre ses membres. Le désir de l’Ukraine de rejoindre l’OTAN est l’une des causes profondes du conflit, la Russie y voyant une menace existentielle.
