đŻ Pourquoi lâhistoire du racisme et de lâantisĂ©mitisme dans les colonies françaises est-elle essentielle ?
Lâhistoire de la France ne sâarrĂȘte pas aux frontiĂšres de lâHexagone, et la question du racisme et antisĂ©mitisme colonies françaises constitue une page centrale, bien que parfois douloureuse, de notre rĂ©cit national. Durant plusieurs siĂšcles, du premier empire colonial fondĂ© sur lâesclavage jusquâaux guerres de dĂ©colonisation du XXe siĂšcle, la RĂ©publique a dĂ» composer avec une contradiction majeure : prĂŽner lâuniversalitĂ© des droits de lâhomme tout en maintenant des systĂšmes juridiques et sociaux inĂ©galitaires outre-mer. Comprendre ces mĂ©canismes, câest explorer comment les prĂ©jugĂ©s raciaux ont Ă©tĂ© codifiĂ©s par la loi, comment lâantisĂ©mitisme a trouvĂ© un terrain particulier en AlgĂ©rie, et comment ces hĂ©ritages pĂšsent encore sur les mĂ©moires contemporaines.
đïž Dans cet article, tu vas dĂ©couvrir :
- âïž Les racines : esclavage et prĂ©jugĂ© de couleur
- đïž La RĂ©publique coloniale et lâinvention des races
- âĄïž LâantisĂ©mitisme colonial : le laboratoire algĂ©rien
- âïž Soldats de lâEmpire : racisme et sacrifice (1914-1945)
- âïž Vichy dans les colonies : la persĂ©cution lĂ©galisĂ©e
- đ„ DĂ©colonisation et hĂ©ritages du racisme colonial
- đ§ Ă retenir
- â FAQ
- đ§© Quiz
đ Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre le contexte de ce thĂšme et plonger au cĆur des mĂ©canismes de domination.
âïž Les racines du systĂšme : esclavage, Code Noir et prĂ©jugĂ© de couleur
đ La codification de lâinĂ©galitĂ© : le Code Noir de 1685
Pour saisir la profondeur du racisme et antisĂ©mitisme colonies françaises, il faut remonter Ă la constitution du premier empire colonial sous lâAncien RĂ©gime, principalement dans les Antilles (Martinique, Guadeloupe, Saint-Domingue) et lâOcĂ©an Indien. Câest lĂ que se met en place une sociĂ©tĂ© fondĂ©e sur lâexploitation servile. En 1685, Louis XIV promulgue le cĂ©lĂšbre Code Noir, prĂ©parĂ© par Colbert. Ce texte juridique est fondamental car il dĂ©finit le statut des esclaves, considĂ©rĂ©s comme des « biens meubles » (article 44), mais il pose aussi les premiĂšres pierres dâune exclusion religieuse et raciale officielle.
Le Code Noir ne se contente pas de rĂ©gir lâesclavage ; il sâouvre par des articles visant explicitement les juifs. Lâarticle 1er enjoint Ă tous les officiers de chasser hors des Ăźles « tous les juifs qui y ont Ă©tabli leur rĂ©sidence », les qualifiant dâennemis dĂ©clarĂ©s du nom chrĂ©tien. Ainsi, dĂšs lâorigine, lâexclusion antisĂ©mite et la domination raciste sur les populations noires sont liĂ©es dans le mĂȘme texte fondateur de lâordre colonial. Lâobjectif est dâunifier les colonies sous la seule religion catholique tout en assurant une main-dâĆuvre gratuite par la dĂ©shumanisation des Africains dĂ©portĂ©s.
Il est important de noter que le racisme nâest pas seulement une consĂ©quence de lâesclavage, il en devient la justification idĂ©ologique. Pour lĂ©gitimer la traite transatlantique, les thĂ©ologiens puis les naturalistes dĂ©veloppent lâidĂ©e dâune infĂ©rioritĂ© naturelle des populations noires. Vous pouvez approfondir la genĂšse de ces concepts dans notre article sur les idĂ©es de race et prĂ©jugĂ©s en France du XVIIe au XIXe siĂšcle, qui dĂ©taille comment la pensĂ©e europĂ©enne a construit lâaltĂ©ritĂ©.
đ LâĂ©mergence du « prĂ©jugĂ© de couleur » au XVIIIe siĂšcle
Paradoxalement, câest au moment oĂč le mĂ©tissage se dĂ©veloppe et oĂč une classe de « libres de couleur » (affranchis ou descendants dâaffranchis) Ă©merge que le racisme se durcit. Au XVIIIe siĂšcle, lâadministration royale et les colons blancs craignent que la distinction entre maĂźtres et esclaves ne se brouille. Câest la naissance du « prĂ©jugĂ© de couleur ». Il ne suffit plus dâĂȘtre libre pour ĂȘtre lâĂ©gal dâun Blanc ; il faut ĂȘtre blanc. Des lois somptuaires sont Ă©dictĂ©es pour interdire aux femmes de couleur de porter certains tissus ou bijoux rĂ©servĂ©s aux femmes blanches.
La sociĂ©tĂ© coloniale se rigidifie en castes hermĂ©tiques : les Blancs en haut de lâĂ©chelle, les « libres de couleur » dans un entre-deux prĂ©caire, et la masse des esclaves Ă la base. Les notaires et lâadministration civile commencent Ă utiliser des termes prĂ©cis pour dĂ©signer le degrĂ© de mĂ©tissage (mulĂątre, quarteron, mamelouk, etc.), obsession classificatoire qui prĂ©figure le racisme scientifique du siĂšcle suivant. Ă Saint-Domingue, la colonie la plus riche, cette tension raciale entre Blancs et Libres de couleur sera lâun des dĂ©clencheurs de la RĂ©volution haĂŻtienne.
Cette structure mentale survit Ă la RĂ©volution française. Si la PremiĂšre RĂ©publique abolit lâesclavage en 1794 (une abolition rĂ©voquĂ©e par NapolĂ©on en 1802), elle peine Ă Ă©radiquer le prĂ©jugĂ© racial. Le rĂ©tablissement de lâesclavage par Bonaparte marque un retour en force de lâidĂ©ologie raciste, interdisant mĂȘme les mariages mixtes et lâentrĂ©e des Noirs et gens de couleur sur le territoire mĂ©tropolitain pour « prĂ©server la puretĂ© du sang ».
đïž La RĂ©publique coloniale et lâinvention des races (1848-1914)
đ De lâabolitionnisme Ă la « mission civilisatrice »
LâannĂ©e 1848 marque une rupture apparente avec lâabolition dĂ©finitive de lâesclavage par la DeuxiĂšme RĂ©publique, sous lâimpulsion de Victor SchĆlcher. Cependant, la fin de lâesclavage ne signifie pas la fin du racisme ; elle marque sa transformation. Sous la TroisiĂšme RĂ©publique, alors que la France se lance dans une nouvelle phase de conquĂȘte coloniale (Afrique de lâOuest, Indochine, Madagascar), une nouvelle doctrine se met en place : la « mission civilisatrice ». Cette idĂ©ologie rĂ©publicaine postule que les « races supĂ©rieures » ont le devoir de « civiliser les races infĂ©rieures », selon la cĂ©lĂšbre formule de Jules Ferry devant la Chambre des dĂ©putĂ©s en 1885.
Ce racisme rĂ©publicain est complexe car il se drape dans les valeurs de progrĂšs, de science et dâĂ©ducation. Il ne sâagit plus (officiellement) dâasservir par la force brute, mais dâĂ©duquer des populations jugĂ©es « en retard ». Pourtant, dans les faits, cette mission justifie une domination violente. Les populations colonisĂ©es sont vues comme de grands enfants incapables de se gouverner eux-mĂȘmes. Lâanthropologie physique et lâethnologie naissante, avec des figures comme Paul Broca ou Arthur de Gobineau, fournissent une caution pseudo-scientifique Ă cette hiĂ©rarchie, mesurant les crĂąnes pour prouver une prĂ©tendue inĂ©galitĂ© intellectuelle.
La littĂ©rature et lâimagerie populaire diffusent massivement ces stĂ©rĂ©otypes. Les expositions universelles et les tristement cĂ©lĂšbres « zoos humains » (comme au Jardin dâAcclimatation Ă Paris) exhibent des familles kanakes, africaines ou inuites derriĂšre des grilles, renforçant chez les Français de mĂ©tropole le sentiment dâune supĂ©rioritĂ© naturelle. Ces mises en scĂšne sont essentielles pour comprendre comment le racisme colonial sâest ancrĂ© dans lâimaginaire collectif.
đ Le Code de lâindigĂ©nat : un apartheid juridique
La traduction juridique la plus flagrante du racisme et antisĂ©mitisme colonies françaises sous la RĂ©publique est sans doute le Code de lâindigĂ©nat. Mis en place dâabord en AlgĂ©rie autour de 1881, puis Ă©tendu Ă dâautres colonies (AOF, AEF, Indochine, Nouvelle-CalĂ©donie), ce systĂšme crĂ©e deux catĂ©gories de personnes sur un mĂȘme territoire : les citoyens français (les colons) et les sujets français (les colonisĂ©s).
Les « sujets » sont soumis Ă un rĂ©gime dâexception particuliĂšrement rĂ©pressif. Lâadministration peut leur infliger des amendes, des peines de prison ou des corvĂ©es sans passer par un tribunal, pour des motifs souvent dĂ©risoires : « manque de respect » Ă un fonctionnaire, rĂ©union sans autorisation, refus de payer lâimpĂŽt de capitation, ou mĂȘme circulation nocturne. Ce systĂšme nie les principes mĂȘmes de la DĂ©claration des droits de lâhomme de 1789, pourtant socle de la RĂ©publique. Le travail forcĂ©, bien quâofficiellement interdit, rĂ©apparaĂźt sous forme de « prestations » obligatoires pour la construction de routes ou de chemins de fer, comme le Congo-OcĂ©an qui coĂ»tera la vie Ă des milliers dâAfricains.
Ce dualisme juridique empĂȘche toute vĂ©ritable assimilation. Si la RĂ©publique promet thĂ©oriquement lâaccĂšs Ă la citoyennetĂ©, les conditions pour lâobtenir (renoncer Ă son statut personnel coranique ou coutumier, savoir parfaitement lire et Ă©crire le français, preuves de loyalisme) sont si drastiques que seule une infime minoritĂ© dâĂ©lite, les « Ă©voluĂ©s », y accĂšde. Pour la masse, la colonisation reste synonyme de soumission arbitraire.
âĄïž LâantisĂ©mitisme colonial : le laboratoire algĂ©rien
đ Le dĂ©cret CrĂ©mieux de 1870 : une citoyennetĂ© qui divise
LâAlgĂ©rie occupe une place singuliĂšre dans lâhistoire coloniale française car elle est divisĂ©e en dĂ©partements français, et non en simples colonies. La question du racisme et antisĂ©mitisme colonies françaises y prend une tournure spĂ©cifique avec la prĂ©sence de trois populations distinctes : les colons europĂ©ens, les musulmans indigĂšnes et les juifs indigĂšnes. En 1870, dans le contexte de la chute du Second Empire, le ministre de la Justice Adolphe CrĂ©mieux promulgue le dĂ©cret qui porte son nom. Le dĂ©cret CrĂ©mieux accorde collectivement la citoyennetĂ© française aux quelque 35 000 juifs dâAlgĂ©rie.
Cette dĂ©cision crĂ©e une rupture majeure. Du jour au lendemain, les juifs dâAlgĂ©rie passent du statut dâindigĂšnes Ă celui de citoyens, tandis que les musulmans restent soumis au statut de lâindigĂ©nat. Cette diffĂ©rence de traitement va nourrir un ressentiment profond, mais câest surtout chez les colons europĂ©ens (« Pieds-Noirs ») que la rĂ©action est la plus virulente. Un antisĂ©mitisme politique fĂ©roce se dĂ©veloppe, accusant la RĂ©publique dâavoir livrĂ© lâAlgĂ©rie aux juifs et de fausser le jeu Ă©lectoral grĂące au « vote juif ».
LâantisĂ©mitisme en AlgĂ©rie devient souvent plus radical et violent quâen mĂ©tropole. Il agrĂšge le racisme colonial classique (les juifs Ă©tant vus comme des Orientaux, donc des indigĂšnes qui ne mĂ©ritent pas dâĂȘtre français) et lâantisĂ©mitisme Ă©conomique europĂ©en. Pour en savoir plus sur le contexte gĂ©nĂ©ral de cette Ă©poque, n’hĂ©sitez pas Ă consulter notre article sur le racisme et l’antisĂ©mitisme dans la France rĂ©publicaine (1870-1914).
đ La crise antijuive de 1898 et ses consĂ©quences
La tension culmine lors de lâaffaire Dreyfus. Si lâAffaire divise la France, elle met lâAlgĂ©rie Ă feu et Ă sang. En 1898, des Ă©meutes antijuives Ă©clatent Ă Alger, Oran et Constantine. Des magasins juifs sont pillĂ©s, des synagogues profanĂ©es et des personnes agressĂ©es, souvent avec la complicitĂ© passive des forces de lâordre coloniales. Ă Alger, un jeune Ă©tudiant agitateur, Max RĂ©gis, est Ă©lu maire Ă la tĂȘte dâune liste explicitement « antijuive ». Son programme : lâabrogation du dĂ©cret CrĂ©mieux et lâexpulsion des juifs.
Ădouard Drumont, le « pape » de lâantisĂ©mitisme français et auteur de La France juive, se fait Ă©lire dĂ©putĂ© dâAlger en 1898. LâAlgĂ©rie devient le bastion de lâantisĂ©mitisme politique français. Cette haine structurelle a une fonction politique prĂ©cise : elle permet de souder la communautĂ© europĂ©enne (composĂ©e de Français, dâEspagnols, dâItaliens, de Maltais) contre un bouc Ă©missaire commun, tout en dĂ©tournant lâattention des inĂ©galitĂ©s sociales entre petits blancs et grands propriĂ©taires terriens. Elle sert aussi dâavertissement aux musulmans : lâaccĂšs Ă la citoyennetĂ© nâest pas un droit acquis et peut ĂȘtre contestĂ©.
Ces Ă©vĂ©nements laissent des traces profondes. La communautĂ© juive dâAlgĂ©rie, bien que devenue française par la loi, se sentira toujours en sursis, une crainte qui se confirmera tragiquement sous le rĂ©gime de Vichy. Ce laboratoire algĂ©rien montre comment lâantisĂ©mitisme a Ă©tĂ© utilisĂ© comme un outil de gestion politique des populations dans le cadre colonial.
âïž Soldats de lâEmpire : racisme et sacrifice (1914-1945)
đ La « Force Noire » et les tranchĂ©es de la Grande Guerre
Ă lâapproche de la PremiĂšre Guerre mondiale, la France, confrontĂ©e Ă sa dĂ©mographie stagnante face Ă lâAllemagne, se tourne vers son empire comme rĂ©servoir dâhommes. Le gĂ©nĂ©ral Mangin thĂ©orise dĂšs 1910 la crĂ©ation dâune « Force Noire ». LâidĂ©e est simple et cynique : utiliser les soldats africains, rĂ©putĂ©s plus endurants et dotĂ©s dâun systĂšme nerveux supposĂ©ment moins dĂ©veloppĂ© (selon les prĂ©jugĂ©s racistes de lâĂ©poque), comme troupes de choc.
Durant le conflit de 14-18, des centaines de milliers de Tirailleurs sĂ©nĂ©galais, de Spahis algĂ©riens, de troupes indochinoises et malgaches sont mobilisĂ©s. Sur le front, ils dĂ©couvrent une rĂ©alitĂ© contrastĂ©e. Dâun cĂŽtĂ©, une certaine fraternitĂ© dâarmes se crĂ©e dans les tranchĂ©es ; de lâautre, la hiĂ©rarchie militaire maintient une stricte sĂ©grĂ©gation : pas dâaccĂšs aux grades dâofficiers supĂ©rieurs, soldes infĂ©rieures, et surveillance accrue par crainte de la « contagion » des idĂ©es subversives. Lâemploi du « petit nĂšgre » est mĂȘme recommandĂ© par le commandement pour sâadresser aux soldats africains, une marque de mĂ©pris institutionnalisĂ©.
AprĂšs la guerre, lâoccupation de la RhĂ©nanie par des troupes coloniales françaises dĂ©clenche une campagne de propagande raciste internationale virulente, orchestrĂ©e par lâAllemagne et relayĂ©e par la presse anglo-saxonne, parlant de la « Honte Noire » (Die schwarze Schmach). On accuse sans preuve les soldats noirs de viols massifs, rĂ©activant la peur atavique du « sauvage » violant la femme blanche europĂ©enne. Cette campagne oblige lâĂtat-major français Ă retirer progressivement ces troupes, cĂ©dant Ă la pression raciste.
đ Lâentre-deux-guerres : prise de conscience et surveillance
LâexpĂ©rience de la guerre et du voyage en mĂ©tropole transforme les consciences. Les soldats dĂ©mobilisĂ©s, ainsi que les premiers travailleurs immigrĂ©s coloniaux, rĂ©alisent le fossĂ© entre les idĂ©aux français et la rĂ©alitĂ© coloniale. Câest Ă Paris, dans lâentre-deux-guerres, que naissent les grands mouvements de contestation : lâĂtoile Nord-Africaine de Messali Hadj ou le mouvement de la NĂ©gritude portĂ© par LĂ©opold SĂ©dar Senghor et AimĂ© CĂ©saire. Ils dĂ©noncent le racisme culturel qui nie lâhistoire et la dignitĂ© des peuples colonisĂ©s.
Face Ă cela, la RĂ©publique renforce sa surveillance. Le Service de ContrĂŽle et dâAssistance aux IndigĂšnes (SCAI) fiche les militants. Lâexposition coloniale de 1931 Ă Vincennes marque lâapogĂ©e de cette propagande : elle cĂ©lĂšbre la grandeur de lâEmpire tout en masquant la rĂ©alitĂ© des conditions de vie. On y reconstruit des villages indigĂšnes idĂ©alisĂ©s, tandis que la rĂ©alitĂ© du travail forcĂ© et de lâabsence de droits politiques perdure outre-mer. Vous pouvez consulter les archives de lâINA ou des sites comme Chemins de MĂ©moire pour voir comment cette mĂ©moire des soldats coloniaux est aujourd’hui traitĂ©e par les institutions.
âïž Vichy dans les colonies : la persĂ©cution lĂ©galisĂ©e
đ Lâabrogation du dĂ©cret CrĂ©mieux : le retour Ă lâindigĂ©nat
La dĂ©faite de 1940 et lâinstauration du rĂ©gime de Vichy marquent un tournant dramatique pour le racisme et antisĂ©mitisme colonies françaises. Contrairement Ă une idĂ©e reçue, lâEmpire colonial ne bascule pas immĂ©diatement dans la RĂ©sistance (sauf lâAEF et quelques comptoirs). LâAfrique du Nord, lâAOF et lâIndochine restent fidĂšles Ă PĂ©tain. Pour les colons conservateurs, la « RĂ©volution nationale » est une aubaine pour rĂ©tablir lâordre colonial menacĂ© par le Front Populaire.
La mesure la plus symbolique et brutale survient le 7 octobre 1940 : le gouvernement de Vichy abroge le dĂ©cret CrĂ©mieux. Les 110 000 juifs dâAlgĂ©rie sont dĂ©chus de leur citoyennetĂ© française. Ils sont ramenĂ©s au statut dâindigĂšnes, mais sans mĂȘme bĂ©nĂ©ficier du statut personnel mosaĂŻque dâavant 1870. Câest une apatridie de fait. Cette mesure est appliquĂ©e avec un zĂšle particulier par lâadministration coloniale et applaudie par une grande partie des colons antisĂ©mites.
Les consĂ©quences sont immĂ©diates et dĂ©sastreuses : les enfants juifs sont expulsĂ©s des Ă©coles publiques (un numerus clausus trĂšs strict est imposĂ©), les fonctionnaires juifs sont rĂ©voquĂ©s, les mĂ©decins et avocats ne peuvent plus exercer. Cette exclusion est plus radicale encore quâen mĂ©tropole car elle sâappuie sur lâinfrastructure coloniale dĂ©jĂ existante de discrimination.
đ Camps dâinternement et travail forcĂ© en Afrique du Nord
LâantisĂ©mitisme et la xĂ©nophobie de Vichy se traduisent aussi par lâouverture de camps dâinternement dans le dĂ©sert saharien (Bedeau, Djelfa, Bossuet). On y interne non seulement des opposants politiques (communistes, gaullistes), mais aussi des rĂ©fugiĂ©s espagnols rĂ©publicains et de nombreux juifs Ă©trangers engagĂ©s dans la LĂ©gion Ă©trangĂšre. Ces camps sont des lieux de souffrance extrĂȘme, oĂč les dĂ©tenus sont soumis au travail forcĂ© pour la construction du chemin de fer transsaharien, sous un climat impitoyable et avec des rations de famine.
En Tunisie, occupĂ©e par les Allemands de novembre 1942 Ă mai 1943, la situation est encore plus critique. Les SS, avec la complicitĂ© de lâadministration française locale, imposent des amendes exorbitantes Ă la communautĂ© juive, pillent les biens et organisent des rafles pour le travail forcĂ©. Environ 5 000 juifs tunisiens sont envoyĂ©s dans des camps de travail prĂšs du front. Pour une analyse dĂ©taillĂ©e de cette pĂ©riode sombre, rĂ©fĂ©rez-vous Ă l’article sur Vichy, les persĂ©cutions et la Shoah en France.
MĂȘme aprĂšs le dĂ©barquement alliĂ© en Afrique du Nord en novembre 1942, lâadministration giraudiste maintient lâabrogation du dĂ©cret CrĂ©mieux pendant prĂšs dâun an, arguant que le rĂ©tablissement des droits des juifs froisserait les musulmans. Il faudra la pression du gĂ©nĂ©ral de Gaulle et des AlliĂ©s pour que la citoyennetĂ© soit rendue aux juifs dâAlgĂ©rie en octobre 1943, prouvant Ă quel point lâantisĂ©mitisme Ă©tait enracinĂ© dans lâappareil dâĂtat colonial.
đ„ DĂ©colonisation et hĂ©ritages du racisme colonial (aprĂšs 1945)
đ Les massacres de SĂ©tif et Thiaroye : la rĂ©ponse sanglante aux demandes dâĂ©galitĂ©
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France est libĂ©rĂ©e en grande partie grĂące Ă son armĂ©e dâAfrique et aux troupes coloniales. Lâespoir dâune reconnaissance et dâune Ă©galitĂ© rĂ©elle est immense chez les colonisĂ©s. Pourtant, la rĂ©ponse de la mĂ©tropole va ĂȘtre dâune violence inouĂŻe, rĂ©vĂ©lant la persistance du racisme structurel. Deux Ă©vĂ©nements tragiques illustrent cette rupture.
Le 1er dĂ©cembre 1944, au camp de Thiaroye au SĂ©nĂ©gal, des tirailleurs sĂ©nĂ©galais, anciens prisonniers de guerre fraĂźchement rapatriĂ©s, rĂ©clament le paiement de leurs arriĂ©rĂ©s de solde avant de rentrer chez eux. LâarmĂ©e française ouvre le feu sur eux : le bilan officiel (longtemps minimisĂ© Ă 35 morts) est probablement de plusieurs centaines de victimes. Ce massacre, longtemps occultĂ©, symbolise lâingratitude de la RĂ©publique et le mĂ©pris pour la vie des soldats noirs.
Quelques mois plus tard, le 8 mai 1945, jour de la victoire contre le nazisme, des manifestations nationalistes Ă©clatent Ă SĂ©tif et Guelma en AlgĂ©rie. La rĂ©pression qui suit est fĂ©roce : lâarmĂ©e, aidĂ©e par des milices de colons civils, mĂšne une vĂ©ritable chasse Ă lâhomme. Les estimations varient de quelques milliers Ă 45 000 morts cĂŽtĂ© algĂ©rien. Ces massacres creusent un fossĂ© de sang dĂ©finitif. Ils montrent que le systĂšme colonial, fondĂ© sur la hiĂ©rarchie raciale, est incapable de se rĂ©former pacifiquement.
đ Vers les mĂ©moires contemporaines
Les guerres de dĂ©colonisation qui suivent (Indochine, AlgĂ©rie) sont marquĂ©es par lâusage de la torture et de mĂ©thodes de guerre contre-insurrectionnelle qui puisent dans le rĂ©pertoire du racisme colonial : les populations civiles sont dĂ©placĂ©es, regroupĂ©es dans des camps, et suspectĂ©es par essence. Le racisme envers les « Nord-Africains » se transpose en mĂ©tropole avec lâarrivĂ©e massive de travailleurs immigrĂ©s pendant les Trente Glorieuses, parquĂ©s dans des bidonvilles (Nanterre) et victimes de violences policiĂšres, comme lors du massacre du 17 octobre 1961 Ă Paris.
Aujourdâhui, lâhistoire du racisme et antisĂ©mitisme colonies françaises est un enjeu mĂ©moriel majeur. La reconnaissance de lâesclavage comme crime contre lâhumanitĂ© (loi Taubira de 2001) ou les hommages aux soldats coloniaux marquent des avancĂ©es. Cependant, les dĂ©bats rĂ©currents sur les « bienfaits de la colonisation » ou les discriminations systĂ©miques actuelles montrent que les schĂ©mas hĂ©ritĂ©s de cette longue histoire coloniale travaillent encore la sociĂ©tĂ© française. Pour comprendre comment la loi tente aujourd’hui de contrer ces dĂ©rives, consultez notre dossier sur les luttes et lois contre le racisme et lâantisĂ©mitisme en France.
đ§ Ă retenir sur le racisme et lâantisĂ©mitisme colonial
- Le Code Noir (1685) est le texte fondateur qui lie esclavage et exclusion religieuse (juifs) dans les colonies.
- La RĂ©publique du XIXe siĂšcle a dĂ©veloppĂ© un racisme scientifique (« mission civilisatrice ») codifiĂ© par le Code de lâindigĂ©nat, crĂ©ant une citoyennetĂ© Ă deux vitesses.
- LâAlgĂ©rie a Ă©tĂ© un laboratoire de lâantisĂ©mitisme politique, notamment aprĂšs le dĂ©cret CrĂ©mieux (1870) et durant la crise de 1898.
- Le régime de Vichy (1940-1944) a exporté ses lois raciales outre-mer, abrogeant le décret Crémieux et internant les « indésirables » dans le Sahara.
- Les massacres de Thiaroye (1944) et SĂ©tif (1945) ont montrĂ© l’incapacitĂ© du systĂšme colonial Ă accorder l’Ă©galitĂ© promise par l’effort de guerre.
â FAQ : Questions frĂ©quentes sur le racisme colonial
đ§© Quâest-ce que le Code de lâindigĂ©nat ?
Câest un ensemble de rĂšgles juridiques appliquĂ©es aux populations colonisĂ©es (les « sujets ») qui permettait des sanctions administratives sans procĂšs (amendes, prison, corvĂ©es) pour des infractions mineures. Il symbolise lâinĂ©galitĂ© devant la loi dans lâEmpire français.
𧩠Pourquoi le décret Crémieux a-t-il créé des tensions ?
En accordant la citoyennetĂ© française uniquement aux juifs dâAlgĂ©rie et non aux musulmans, il a brisĂ© lâunitĂ© du statut « indigĂšne ». Cela a nourri un fort antisĂ©mitisme chez les colons (jalousie Ă©lectorale) et un sentiment dâinjustice chez les musulmans.
đ§© Y avait-il des camps de concentration dans les colonies sous Vichy ?
Oui, il y avait des camps dâinternement et de travail forcĂ©, notamment en Afrique du Nord (transsaharien) et en Afrique de lâOuest. On y enfermait des opposants, des rĂ©publicains espagnols et des juifs Ă©trangers, dans des conditions trĂšs dures.
