🎯 Pourquoi la montée du racisme et antisémitisme dans la France républicaine est-elle emblématique ?
La période qui s’étend de la chute du Second Empire en 1870 jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914 est un moment charnière pour comprendre les racines des haines contemporaines. Alors que la IIIe République s’enracine sur des valeurs de liberté et d’égalité, le racisme et antisémitisme dans la France républicaine connaissent paradoxalement une structuration politique et scientifique inédite. C’est l’ère où le préjugé racial tente de se parer d’atours scientifiques, où l’expansion coloniale institutionnalise une hiérarchie entre les hommes, et où l’affaire Dreyfus révèle la violence des passions antijuives au cœur même de la société française. Comprendre cette époque, c’est analyser comment une République démocratique a pu, en son sein, laisser germer des idéologies d’exclusion qui marqueront tragiquement le XXe siècle.
🗂️ Dans cet article, tu vas découvrir :
- 🧭 Le terreau du racisme : nationalisme et crises
- ⚙️ La caution scientifique : race et anthropométrie
- 📜 La xénophobie ouvrière et la « préférence nationale »
- 🌍 Le racisme colonial institutionnalisé
- ⚔️ La flambée de l’antisémitisme politique
- 🤝 L’Affaire Dreyfus : la fracture française
- 🧠 À retenir
- ❓ FAQ
- 🧩 Quiz
👉 Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre le contexte de ce thème.
🧭 Le terreau du racisme : nationalisme, revanche et crises identitaires
📌 Une République née dans la défaite et l’obsession de la dégénérescence
Pour saisir l’ampleur du racisme et antisémitisme dans la France républicaine de cette période, il faut d’abord revenir au traumatisme fondateur : la défaite de 1870 face à la Prusse. La perte de l’Alsace-Moselle crée un sentiment de « Revanche » qui sature le débat politique. Cette humiliation militaire n’est pas seulement vécue comme un échec stratégique, mais comme le symptôme d’une « décadence » biologique et morale de la nation française. De nombreux intellectuels et scientifiques de l’époque commencent à théoriser l’idée que si la France a perdu, c’est parce que sa population s’affaiblit. Cette angoisse de la dégénérescence va favoriser l’émergence d’un nationalisme replié sur lui-même, obsédé par la pureté et la vigueur du « corps national ».
Dans ce contexte, la définition de ce qu’est être Français se durcit considérablement. Le nationalisme, qui était plutôt une valeur de gauche héritée de la Révolution (la nation des citoyens), glisse progressivement vers la droite conservatrice à la fin du siècle. On voit apparaître une distinction nette entre le « vrai Français » (sous-entendu de souche, enraciné dans la terre et les morts, selon la formule de Maurice Barrès) et les « éléments allogènes » perçus comme des corps étrangers. Cette période est marquée par une instabilité économique, notamment la Grande Dépression (1873-1896), qui accentue la recherche de boucs émissaires. Le chômage et la précarité poussent une partie des classes populaires à écouter les sirènes d’un discours protectionniste, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan humain.
C’est donc sur ce terreau fertile d’inquiétude nationale et de crise sociale que vont se greffer les idéologies d’exclusion. La République, tout en proclamant l’universalité des droits de l’homme, se trouve confrontée à ses propres contradictions. Elle doit gérer une population de plus en plus diverse du fait de l’immigration industrielle et de l’expansion impériale, tout en essayant de forger une identité nationale homogène. C’est cette tension permanente entre l’idéal républicain d’intégration et la réalité des passions nationalistes qui caractérise l’histoire du racisme et antisémitisme dans la France républicaine avant 1914. Pour approfondir les racines intellectuelles de ce phénomène, tu peux consulter notre dossier sur les idées de race et préjugés en France aux siècles précédents.
📌 La laïcité et le déplacement de la haine religieuse vers la haine raciale
Un autre facteur contextuel majeur est la sécularisation de la société française. La IIIe République mène un combat intense pour la laïcité, qui culminera avec la loi de 1905. Paradoxalement, le recul de l’emprise religieuse catholique ne fait pas disparaître l’antisémitisme, mais le transforme. L’antijudaïsme traditionnel, fondé sur des arguments théologiques (le « peuple déicide »), laisse progressivement la place à un antisémitisme moderne, qui se prétend scientifique, économique et racial. On ne reproche plus seulement aux Juifs leur religion, mais leur « nature » supposée, leur influence occulte sur la finance (le mythe de la banque juive) et leur prétendue incapacité à s’assimiler à la nation française.
Ce glissement est fondamental. Alors que la religion relève du choix et de la foi, la « race », dans l’esprit des antisémites de l’époque, est une fatalité biologique indélébile. Même converti, le Juif reste perçu comme différent par les théoriciens du racisme républicain. Cette mutation permet à l’antisémitisme de fédérer des courants très divers : des catholiques conservateurs (hostiles à la République maçonnique), des socialistes révolutionnaires (hostiles au « capital juif ») et des nationalistes. Cette convergence des haines va créer une atmosphère délétère, où la presse libre, permise par la loi de 1881, servira malheureusement de caisse de résonance massive à ces idéologies, diffusant caricatures et libelles à des millions d’exemplaires.
⚙️ La caution scientifique : l’ère de l’anthropométrie et des zoos humains
📌 Quand la science tente de classer l’humanité
L’une des spécificités du racisme et antisémitisme dans la France républicaine de la fin du XIXe siècle est sa prétention scientifique. Nous sommes à l’époque du positivisme : on croit que la science peut tout expliquer, tout mesurer et tout classer. Des sociétés savantes, comme la Société d’Anthropologie de Paris fondée par Paul Broca en 1859, dominent le débat intellectuel. Ces savants développent l’anthropométrie et la craniométrie (mesure des crânes). Ils sont persuadés qu’il existe un lien direct entre les caractéristiques physiques (volume du crâne, angle facial) et les capacités intellectuelles ou morales des individus et des groupes humains. Ce racisme scientifique ne se cache pas ; il s’enseigne dans les universités et se publie dans des revues prestigieuses.
Des figures comme Vacher de Lapouge théorisent une hiérarchie stricte des races européennes, plaçant l’« Homo Europaeus » (grand, blond, dolichocéphale) au sommet, et dénigrant les populations alpines ou méditerranéennes, jugées inférieures. Ces théories, bien que scientifiquement fausses et réfutées par la suite, jouissent alors d’une immense autorité. Elles fournissent une justification commode aux inégalités sociales et à la domination coloniale. Si la nature a créé des hiérarchies, alors la République n’a pas à se sentir coupable de ne pas accorder les mêmes droits à tous : c’est l’ordre naturel des choses. C’est un détournement tragique de la théorie de l’évolution de Darwin, transformée en « darwinisme social » où les plus forts (les nations occidentales) ont le droit de dominer les plus faibles.
Ce climat intellectuel imprègne les élites républicaines. Jules Ferry lui-même, grand promoteur de l’école publique, justifie la colonisation en 1885 par le « devoir des races supérieures de civiliser les races inférieures ». Ce vocabulaire choque peu à l’époque car il est validé par le consensus académique. Le racisme n’est pas vu comme une opinion haineuse, mais comme un constat objectif établi par la science du moment. C’est ce qui le rend particulièrement dangereux et difficile à combattre pour les humanistes de l’époque.
📌 Les zoos humains : le racisme en spectacle
La manifestation la plus spectaculaire et la plus populaire de ce racisme scientifique est le phénomène des « zoos humains » ou expositions ethnographiques. Lors des grandes Expositions universelles qui se tiennent à Paris (notamment en 1878, 1889 et 1900), des villages indigènes sont reconstitués. On y fait venir de force ou par contrat des familles entières d’Afrique, d’Océanie ou d’Asie pour les exhiber devant le public parisien. Ces êtres humains sont parqués derrière des grilles, dans des décors en carton-pâte, et doivent simuler des scènes de la vie quotidienne « sauvage » ou des danses guerrières.
Les chiffres sont vertigineux : l’Exposition universelle de 1889 (celle de la Tour Eiffel) attire plus de 28 millions de visiteurs. Une grande partie de ces visiteurs se presse pour voir le « village nègre » ou le campement des Kanaks. Le public jette de la nourriture, se moque, et observe ces hommes et femmes comme des animaux curieux. Ce spectacle de masse joue un rôle crucial dans la diffusion du racisme populaire. Il ancre visuellement l’idée d’une altérité radicale et d’une infériorité culturelle des peuples colonisés. Le visiteur repart avec le sentiment confortable de sa propre supériorité civilisationnelle. Pour approfondir la suite de ces logiques, consulte l’article sur le racisme et l’antisémitisme dans les colonies françaises.
Ces exhibitions ne sont pas anecdotiques ; elles sont un outil de propagande impériale. Elles visent à montrer la puissance de la France capable de dominer des peuples lointains et « sauvages ». Elles créent une frontière infranchissable entre le spectateur (le citoyen civilisé) et l’exhibé (le sujet indigène). C’est une pédagogie de la race par le divertissement, qui touche toutes les classes sociales, des ouvriers aux bourgeois.
📜 La xénophobie ouvrière et la « préférence nationale »
📌 L’ouvrier étranger, bouc émissaire des crises économiques
Si le racisme colonial s’exerce au loin ou dans les zoos humains, une autre forme de rejet se développe au cœur même des villes et des campagnes françaises : la xénophobie contre les travailleurs immigrés européens. Entre 1870 et 1914, la France est un pays d’immigration unique en Europe, en raison de sa faible natalité. L’industrie a besoin de bras. Des centaines de milliers de Belges, d’Italiens, d’Espagnols et de Polonais viennent travailler dans les mines, le bâtiment ou l’agriculture. En 1886, on compte déjà plus d’un million d’étrangers en France. Cette présence suscite des tensions vives, exacerbées par les périodes de ralentissement économique.
L’étranger est accusé de « manger le pain des Français », d’accepter des salaires plus bas et de casser les grèves. On voit apparaître dans la presse et les discours syndicaux l’idée de la « préférence nationale ». Les Italiens, péjorativement appelés les « Ritals » ou les « Piémontais », sont particulièrement visés. On les décrit comme sales, violents, jouant du couteau, et trop religieux. Ce racisme anti-italien est d’une violence inouïe, qui rappelle par certains aspects le racisme colonial. Ils sont perçus comme une race semi-africaine par certains racistes du Nord de la France, illustrant la plasticité des préjugés raciaux.
Les rixes sont fréquentes sur les chantiers. L’ouvrier français, fragilisé par l’industrialisation, cherche à protéger son statut en excluant le concurrent étranger. Le patronat est souvent accusé d’organiser cette concurrence pour faire baisser les salaires, ce qui alimente un xénophobie de gauche, paradoxale pour des mouvements qui prônent l’internationalisme. C’est une période où la solidarité de classe se heurte violemment à l’appartenance nationale.
📌 Le massacre d’Aigues-Mortes (1893) : un sommet de violence
L’événement le plus tragique de cette xénophobie est le massacre d’Aigues-Mortes, survenu les 16 et 17 août 1893. Dans les marais salants du Gard, une rixe éclate entre ouvriers français et saisonniers italiens. La rumeur (fausse) que des Italiens ont tué des Français se répand comme une traînée de poudre. Une chasse à l’homme s’organise, impliquant non seulement les ouvriers, mais aussi une partie de la population locale. Les Italiens sont traqués, lynchés, battus à mort avec des bâtons et des pierres.
Le bilan officiel fait état de 8 morts et 50 blessés, mais les estimations officieuses sont souvent plus lourdes (certains historiens parlent d’une vingtaine de morts). Ce qui est frappant, c’est l’acquittement général des meurtriers par la justice française quelques mois plus tard, sous la pression de l’opinion publique nationaliste. Ce verdict scandaleux provoque des émeutes anti-françaises en Italie. Aigues-Mortes reste le symbole sanglant de cette xénophobie populaire impunie. Cela montre que l’État républicain, censé protéger l’ordre, a failli face à la passion nationaliste de la foule.
En réponse à ces tensions, la République va légiférer. La loi de 1889 sur la nationalité réforme le droit du sol : les enfants nés en France d’étrangers nés en France deviennent automatiquement français à leur majorité. L’objectif est d’assimiler ces populations pour en faire des soldats et des citoyens, réduisant ainsi la « population étrangère » statistique. C’est une réponse par l’intégration forcée, qui contraste avec l’exclusion violente manifestée dans la rue.
🌍 Le racisme colonial institutionnalisé : l’exception juridique
📌 Le Code de l’Indigénat : une légalité d’exception
Alors que la métropole débat de l’intégration des immigrés européens, la situation dans les colonies est régie par un tout autre système : l’institutionnalisation juridique du racisme. Le racisme et antisémitisme dans la France républicaine ne s’arrêtent pas aux frontières de l’Hexagone ; ils s’exportent et se durcissent outre-mer. La République invente un monstre juridique : le régime de l’Indigénat. Mis en place progressivement en Algérie à partir des années 1870 et codifié en 1881, ce système sera ensuite étendu aux autres colonies (Indochine, AOF, AEF).
Le Code de l’Indigénat crée deux catégories d’humains sur un même sol : les citoyens français (colons et métropolitains) et les sujets indigènes. Les sujets sont privés de droits politiques et soumis à une justice d’exception. Ils peuvent être punis sans procès par les administrateurs coloniaux pour des motifs futiles qui ne sont pas des délits pour les Français : « acte irrespectueux », « réunion sans autorisation », « refus de corvée ». Les peines incluent l’amende, l’emprisonnement et le séquestre des biens. C’est un système de domination raciale codifié par la loi républicaine, une entorse majeure au principe d’égalité devant la loi.
Ce système maintient les populations colonisées dans un état de soumission permanente. En Algérie, par exemple, la fiscalité pèse lourdement sur les indigènes (impôts arabes) alors que les terres les plus fertiles sont accaparées par la colonisation officielle. Cette spoliation est justifiée par l’idée que l’indigène est paresseux et incapable de valoriser la terre, contrairement au colon européen laborieux. Le racisme n’est pas juste une attitude, c’est un outil de gestion économique et territoriale.
📌 Assimilation ou Association ? Le débat théorique faussé
Un grand débat agite les théoriciens de la colonisation sous la IIIe République : faut-il « assimiler » les indigènes (en faire des Français culturellement) ou les « associer » (respecter leurs coutumes tout en les dominant) ? En théorie, la France se targue de sa mission civilisatrice et prône l’assimilation. C’est l’héritage des Lumières : tous les hommes sont dotés de raison et peuvent devenir des citoyens éclairés par l’éducation.
Cependant, dans la pratique, cette assimilation est rendue impossible par le racisme structurel. On exige des colonisés qu’ils renoncent à leur statut personnel (notamment le droit coranique pour les musulmans) pour devenir citoyens, ce qui est vécu comme une apostasie. De plus, les colons sur place s’opposent farouchement à toute extension des droits politiques aux indigènes, craignant d’être submergés par la démographie. Résultat : l’école républicaine est très peu diffusée dans les colonies (moins de 5% des enfants algériens scolarisés en 1914). L’idéal d’assimilation sert de vitrine morale, mais la réalité est celle d’une ségrégation de fait. Pour voir comment ces lois ont évolué, réfère-toi à notre article sur les luttes et lois contre le racisme et l’antisémitisme en France.
⚔️ La flambée de l’antisémitisme politique : Drumont et la presse
📌 Édouard Drumont et le succès de « La France Juive »
L’année 1886 marque un tournant décisif avec la publication de La France juive d’Édouard Drumont. Ce pamphlet violent est un véritable phénomène de librairie. Il s’en vend plus de 100 000 exemplaires la première année, un chiffre colossal pour l’époque. Drumont y synthétise tous les thèmes de l’antisémitisme moderne : le Juif comme agent de la dissolution nationale, comme accapareur de richesses, et comme ennemi racial de l’Aryen. Il propose une lecture de l’histoire de France où tous les malheurs de la nation sont attribués à l’influence juive.
Le succès de Drumont révèle que l’antisémitisme n’est pas un phénomène marginal, mais une opinion largement partagée. Il parvient à fusionner l’antisémitisme catholique (traditionnel) et l’antisémitisme socialiste (anticapitaliste). Pour de nombreux petits commerçants ruinés par la crise ou ouvriers précaires, la figure du « banquier juif » (incarnée par la famille Rothschild) devient l’explication simple et tangible de leurs souffrances. Drumont lance ensuite son journal, La Libre Parole, en 1892, qui devient une tribune quotidienne pour la haine raciale, tirant à des centaines de milliers d’exemplaires lors des scandales.
Le scandale de Panama (1892), une affaire de corruption impliquant des députés et des financiers (dont certains intermédiaires étaient juifs), est exploité à fond par Drumont. Il publie les noms des « chéquards » et instille l’idée que la République est pourrie de l’intérieur par l’argent juif. Cette campagne de presse prépare les esprits à l’explosion de l’Affaire Dreyfus. C’est un moment où la parole raciste se libère totalement dans l’espace public, sans véritable frein légal.
📌 Les ligues et la violence de rue
L’antisémitisme de la fin du XIXe siècle ne reste pas confiné aux livres ; il descend dans la rue. Des organisations politiques, les « Ligues », se forment pour structurer ce mouvement. La Ligue antisémitique de France, fondée par Jules Guérin, recrute des militants pour faire le coup de poing. On assiste à une militarisation de la haine. Des boutiques juives sont attaquées, des manifestations aux cris de « Mort aux Juifs » sont organisées, notamment à Paris et dans les grandes villes.
La situation est particulièrement explosive en Algérie française. Là-bas, le décret Crémieux de 1870 a accordé la citoyenneté française collective aux Juifs d’Algérie, tandis que les musulmans restaient sujets. Cette mesure a suscité la jalousie et la fureur des colons européens (souvent d’origine espagnole ou italienne) qui voient les Juifs comme des concurrents électoraux et économiques. En 1898, au plus fort de l’Affaire Dreyfus, de véritables pogroms éclatent à Alger : des magasins sont pillés, des synagogues profanées et des Juifs agressés. Un maire ouvertement antisémite, Max Régis, est élu à Alger. L’Algérie devient le laboratoire d’un antisémitisme populiste virulent qui défie l’autorité de l’État central.
Ces événements montrent que l’antisémitisme est devenu une force politique autonome, capable de déstabiliser le régime. Il ne s’agit plus de préjugés individuels, mais d’un mouvement de masse qui conteste les fondements mêmes de la République égalitaire.
🤝 L’Affaire Dreyfus (1894-1906) : la fracture française et ses leçons
📌 L’innocent condamné au nom de la raison d’État
L’Affaire Dreyfus est le point culminant et le révélateur absolu du racisme et antisémitisme dans la France républicaine. En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus, officier juif alsacien à l’état-major, est accusé d’espionnage au profit de l’Allemagne. Malgré la faiblesse du dossier (reposant sur une ressemblance d’écriture), il est condamné à la déportation à vie à l’Île du Diable, en Guyane. Sa dégradation militaire, dans la cour de l’École militaire, se fait sous les hurlements de la foule criant « À mort le Juif ! ». Pour l’opinion publique et l’armée, sa culpabilité ne fait aucun doute : il est coupable parce qu’il est Juif. La trahison est inscrite dans sa « race », pense-t-on.
L’Affaire prend une tout autre dimension quand le véritable coupable (Esterhazy) est identifié par le lieutenant-colonel Picquart, mais que l’État-major refuse de reconnaître son erreur pour préserver l’honneur de l’Armée. C’est l’article « J’accuse…! » d’Émile Zola dans L’Aurore en janvier 1898 qui fait éclater le scandale au grand jour. La France se coupe littéralement en deux : les dreyfusards (minoritaires au début, défendant la justice et la vérité individuelle) contre les antidreyfusards (défendant l’Armée, la Nation et l’ordre, souvent sur fond d’antisémitisme virulent).
L’antidreyfusisme agrège toutes les forces réactionnaires : le clergé catholique (à travers le journal La Croix), les nationalistes, et une partie des classes populaires. Les caricatures de l’époque, d’une violence inouïe, dépeignent Dreyfus et ses soutiens (comme Zola) sous des traits monstrueux, animaux, nez crochus, griffus. Cette imagerie va marquer l’inconscient collectif pour des décennies. Pour consulter ces documents d’époque, tu peux explorer les archives de Gallica (BNF) qui regorgent de ces illustrations.
📌 Une victoire républicaine en demi-teinte
Après des années de lutte acharnée, Dreyfus est gracié en 1899 puis finalement réhabilité en 1906. C’est une victoire du camp républicain et des droits de l’homme sur la raison d’État et la haine raciale. Cette victoire a des conséquences politiques majeures : elle soude les républicains de gauche, les radicaux et les socialistes, et conduit à une politique de laïcisation accrue (loi de 1905) pour briser l’influence de l’Église antidreyfusarde.
Cependant, si la justice a triomphé, le venin de l’antisémitisme n’a pas disparu. Au contraire, l’Affaire a cristallisé les positions. L’Action française, mouvement monarchiste et nationaliste intégral fondé par Charles Maurras pendant l’Affaire, structure durablement l’extrême droite française autour de l’antisémitisme d’État. Pour eux, Dreyfus reste coupable, ou du moins, son innocence est un « complot juif » contre la France. Cette persistance de la haine prépare le terrain idéologique pour les années 1930 et le régime de Vichy. L’antisémitisme politique est désormais une doctrine constituée, prête à être réactivée en temps de crise.
En conclusion, la période 1870-1914 nous enseigne que la démocratie est fragile. Même au sein d’une République progressiste, le racisme et l’antisémitisme peuvent prospérer s’ils s’appuient sur la peur du déclassement, la caution pseudo-scientifique et la recherche de boucs émissaires. Pour comprendre comment ces dynamiques ont ressurgi plus tard, tu peux lire l’article sur Vichy, les persécutions et la Shoah en France.
🧠 À retenir sur racisme et antisémitisme dans la France républicaine (1870-1914)
- La crise identitaire née de la défaite de 1870 et l’obsession de la décadence favorisent un nationalisme d’exclusion.
- Le racisme scientifique (anthropométrie, hiérarchie des races) est validé par les élites et popularisé par les zoos humains (Expositions universelles).
- La xénophobie ouvrière cible violemment les immigrés européens (Italiens, Belges), culminant avec le massacre d’Aigues-Mortes en 1893.
- Le Code de l’Indigénat institutionnalise un racisme légal dans les colonies, créant des sujets sans droits face aux citoyens.
- L’Affaire Dreyfus (1894-1906) est le moment paroxystique où l’antisémitisme devient une force politique majeure, structurant l’opposition entre deux France.
❓ FAQ : Questions fréquentes sur cette période
🧩 Qu’est-ce que le Code de l’Indigénat ?
C’est un ensemble de lois et règlements appliqués dans les colonies françaises (dès 1881 en Algérie) qui soumettait les populations indigènes à un régime répressif spécial. Ils pouvaient être punis sans procès par l’administration pour des faits qui n’étaient pas des délits pour les Français, créant une inégalité juridique basée sur l’origine.
🧩 Pourquoi l’Affaire Dreyfus est-elle liée à l’antisémitisme ?
Alfred Dreyfus a été accusé sans preuves solides principalement parce qu’il était Juif. Pour l’État-major et une partie de l’opinion, sa judéité le prédisposait à la trahison (le « Juif sans patrie »). L’affaire a libéré une parole haineuse massive dans la presse et la rue, révélant la profondeur des préjugés antisémites en France.
🧩 Les scientifiques de l’époque étaient-ils racistes ?
Oui, selon nos critères actuels. La majorité des anthropologues et savants de la fin du XIXe siècle croyaient en l’existence de « races » humaines biologiquement inégales. Ils utilisaient des mesures crâniennes (craniométrie) pour tenter de prouver scientifiquement la supériorité de l’homme blanc européen, justifiant ainsi la colonisation.
