🎯 Pourquoi l’immigration italienne et polonaise est-elle emblématique ?
L’histoire de la France contemporaine est indissociable de celle de ses migrations, et le duo formé par l’immigration italienne et polonaise constitue sans doute le chapitre le plus structurant de notre identité démographique. Alors que la France du XIXe siècle entame sa révolution industrielle tout en souffrant d’une natalité en berne, elle doit faire appel massivement à ses voisins européens pour descendre dans les mines, bâtir les immeubles haussmanniens et cultiver les champs. Ces « Ritals » et ces « Polaks », comme on les appelait alors avec mépris, ont traversé des épreuves de xénophobie violente et de repli communautaire avant de devenir, quelques décennies plus tard, des exemples cités — parfois à tort et à travers — de « l’assimilation réussie ». Comprendre leur parcours, c’est comprendre comment la France est devenue un pays d’immigration.
🗂️ Dans cet article, tu vas découvrir :
- 🏭 Le contexte : une France en manque de bras
- 🇮🇹 Les Italiens : une immigration de proximité
- 🇵🇱 Les Polonais : une immigration organisée
- ⚡ Xénophobie et violences : le prix de l’installation
- 🤝 Deux modèles d’intégration différents ?
- 🏛️ L’héritage culturel et politique
- 🧠 À retenir
- ❓ FAQ
- 🧩 Quiz
👉 Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre le contexte de ce thème.
🏭 Le contexte historique : une France en manque de bras
📌 L’exception démographique française au XIXe siècle
Pour comprendre l’ampleur de l’immigration italienne et polonaise, il faut d’abord saisir une singularité française majeure : le malthusianisme démographique. Contrairement à ses voisins européens comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, dont la population explose au XIXe siècle, la France voit sa natalité stagner très précocement. Dès les années 1850, le manque de main-d’œuvre se fait sentir, non seulement dans l’agriculture traditionnelle qui peine à se moderniser, mais surtout dans les secteurs émergents de la révolution industrielle. Les campagnes françaises se vident via l’exode rural, mais cela ne suffit pas à combler les besoins immenses des usines de textile du Nord, de la sidérurgie en Lorraine ou des grands travaux urbains à Paris et Lyon.
Ce vide démographique crée un « appel d’air » unique en Europe. Alors que les Italiens, les Polonais, ou les Allemands émigrent massivement vers les États-Unis ou l’Amérique du Sud (le fameux rêve américain), une partie significative de ces flux se détourne vers la France. Le pays devient ainsi, dès la seconde moitié du XIXe siècle, le premier pays d’immigration au monde proportionnellement à sa population, devançant même les États-Unis à certaines périodes. C’est dans ce contexte de pénurie structurelle de travailleurs que l’État et le patronat français vont activement chercher des populations étrangères.
Il est important de noter que cette situation contraste avec les périodes ultérieures, comme celle des migrations postcoloniales, où les dynamiques seront différentes. Ici, c’est bien le besoin économique vital qui dicte l’ouverture des frontières, souvent avec une absence de contrôle strict avant la Première Guerre mondiale, période où le passeport n’était pas encore la norme rigide que nous connaissons. L’étranger est d’abord vu comme une « force de travail » avant d’être vu comme un futur citoyen, une distinction qui pèsera lourd sur les conditions de vie des premiers arrivants.
📌 L’industrialisation et la géographie des besoins
La répartition géographique de cette immigration répond strictement à la carte de l’industrialisation. Le Nord-Pas-de-Calais, avec ses gisements houillers, devient un aimant pour les mineurs. La Lorraine, riche en minerai de fer, attire des milliers de bras pour ses aciéries. Le Sud-Est, quant à lui, récupère une main-d’œuvre agricole et ouvrière venue d’Italie par proximité géographique. Paris et sa banlieue, en pleine expansion sous le Second Empire et la Troisième République, nécessitent une armée de maçons, terrassiers et artisans. C’est là que se cristallisent les premières communautés immigrées.
Le patronat joue un rôle clé dans ce processus. Les grandes compagnies minières et industrielles ne se contentent pas d’attendre les migrants ; elles organisent le recrutement. C’est le début d’une gestion « rationnelle » des flux humains, préfigurant les accords bilatéraux du XXe siècle. Cependant, cette organisation n’est pas uniforme : si l’immigration polonaise sera très encadrée (nous y reviendrons), l’immigration italienne est d’abord plus spontanée, individuelle et frontalière. Cette différence de « mode d’arrivée » influencera durablement la manière dont ces deux communautés s’inséreront dans le tissu social français.
Enfin, le contexte politique international joue son rôle. La Pologne, rayée de la carte au XIXe siècle (partagée entre la Russie, la Prusse et l’Autriche), pousse ses enfants à l’exil, d’abord pour des raisons politiques (la « Grande Émigration » des élites vers Paris) puis économiques. L’Italie, bien qu’unifiée tardivement (1861), souffre d’un retard de développement dans le Mezzogiorno (le Sud) et la Vénétie, provoquant une misère qui pousse au départ. La France apparaît alors, pour ces populations, comme une terre de refuge autant que d’opportunité économique.
🇮🇹 Les Italiens : une immigration de proximité et de masse
📌 Des saisonniers aux résidents permanents
L’immigration italienne est la plus précoce et la plus massive du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Dès les années 1870, les transalpins deviennent la première nationalité étrangère en France, dépassant les Belges. Au départ, il s’agit souvent d’une migration saisonnière : des hommes viennent pour les récoltes, les travaux d’été ou les chantiers temporaires, et repartent passer l’hiver au pays avec leur pécule. On les appelle les « hirondelles ». Ils viennent principalement du Piémont, de Lombardie ou de Toscane, régions proches de la frontière française. Cette proximité géographique facilite les allers-retours et maintient un lien fort avec la terre natale.
Progressivement, cette migration se sédentarise. Les chantiers s’éternisent, les familles rejoignent les hommes, et des « Petites Italies » se forment dans des villes comme Marseille (le quartier du Panier), Nice, ou Nogent-sur-Marne en région parisienne. En 1911, on recense déjà plus de 400 000 Italiens en France. Ils sont omniprésents dans les métiers pénibles que les Français délaissent : le bâtiment (maçons, tailleurs de pierre), les travaux publics, mais aussi l’industrie lourde en Lorraine. Leur savoir-faire est reconnu, mais leur présence massive inquiète les classes populaires françaises qui craignent la concurrence déloyale sur les salaires.
Cette installation durable transforme le paysage urbain et culturel. Les Italiens importent leurs modes de vie, leur cuisine, leur musique (l’accordéon, par exemple, qui deviendra un symbole du bal musette parisien, est un apport direct des immigrés italiens). Ils créent des sociétés de secours mutuel, des fanfares et des clubs sportifs, tissant un réseau de solidarité dense pour pallier l’absence de protection sociale étatique. C’est une forme d’intégration par le bas, qui passe par la sociabilité et le travail, bien avant de passer par la naturalisation.
📌 Les « Ritals » : précarité et stigmatisation
La vie quotidienne des immigrés italiens au tournant du siècle est marquée par une extrême précarité. Ils logent souvent dans des garnis insalubres, des baraquements de fortune ou des quartiers surpeuplés où l’hygiène est déplorable. Cette misère visible alimente les stéréotypes : l’Italien est décrit comme sale, bruyant, violent (le mythe du coup de couteau facile), et excessivement religieux ou, à l’inverse, dangereusement anarchiste (surtout après l’assassinat du président Sadi Carnot par l’anarchiste italien Caserio en 1894). Le terme « Rital », d’abord une abréviation administrative pour « Réfugié Italien » ou argotique, devient une insulte courante, tout comme « Macaroni ».
L’exploitation économique est réelle. Acceptant des salaires inférieurs et des conditions de sécurité précaires, les Italiens sont souvent utilisés par le patronat comme briseurs de grève, ce qui attise la haine des ouvriers français. Cette tension structurelle entre classe ouvrière nationale et étrangère est une constante de l’histoire sociale, que l’on retrouvera plus tard avec d’autres vagues migratoires, comme évoqué dans l’article sur l’immigration maghrébine. L’Italien est la figure de l’étranger « proche mais différent », dont la catholicité ne suffit pas à gommer l’altérité culturelle aux yeux des nationalistes français.
Malgré ces obstacles, l’ascension sociale s’amorce dès la deuxième génération. Les enfants d’Italiens, scolarisés à l’école républicaine (obligatoire depuis les lois Ferry de 1881-1882), apprennent le français et s’éloignent parfois des dialectes de leurs parents. L’entre-deux-guerres verra une nouvelle vague d’arrivée, cette fois-ci politique, avec les antifascistes fuyant le régime de Mussolini, ajoutant une dimension intellectuelle et militante à cette immigration jusqu’alors majoritairement ouvrière et paysanne.
🇵🇱 Les Polonais : une immigration organisée et communautaire
📌 De la Grande Émigration aux corons du Nord
L’histoire de l’immigration polonaise présente deux visages distincts. Au XIXe siècle, après l’échec des insurrections contre les occupants russes, prussiens et autrichiens (notamment en 1830 et 1863), une élite intellectuelle et aristocratique se réfugie en France : c’est la « Grande Émigration ». Chopin, Mickiewicz ou le prince Czartoryski font de Paris la capitale culturelle de la Pologne libre. Bien que numériquement faible, cette immigration marque les esprits par son prestige et sa francophilie. Cependant, le visage de la présence polonaise change radicalement après la Première Guerre mondiale.
La saignée démographique de la Grande Guerre (1,4 million de morts français) oblige la France à recruter massivement. En septembre 1919, la France et la Pologne signent une convention d’immigration officielle. C’est une première : l’État français organise directement le recrutement de travailleurs étrangers. Des bureaux sont ouverts en Pologne, des trains spéciaux sont affrétés, et les ouvriers arrivent avec un contrat de travail en poche, souvent lié à une affectation précise (mines ou agriculture). C’est une immigration voulue, planifiée et contrôlée, très différente de l’arrivée spontanée des Italiens.
Ces nouveaux arrivants, souvent des paysans pauvres ou des mineurs venus de Westphalie (les « Polonais de la Ruhr »), sont dirigés massivement vers les bassins miniers du Nord et du Pas-de-Calais. Ils s’installent dans les corons, ces cités ouvrières alignées, où ils forment des communautés très soudées. Dans les années 1920, les Polonais deviennent la deuxième nationalité étrangère en France, atteignant le demi-million de personnes en 1931. Leur concentration géographique est extrême : dans certaines communes minières, ils représentent plus de la moitié de la population.
📌 Une vie « entre soi » : école, église et associations
Contrairement aux Italiens qui se fondent plus rapidement dans la masse urbaine, les Polonais vivent souvent en vase clos durant l’entre-deux-guerres. Ce repli est favorisé par l’organisation même de leur recrutement et par la politique des compagnies minières. Pour stabiliser cette main-d’œuvre, le patronat encourage le maintien des traditions : des prêtres polonais sont recrutés, des écoles polonaises sont ouvertes, et des associations (notamment les célèbres « Sokols », sociétés de gymnastique) structurent la vie sociale. On peut naître, vivre et mourir dans ces « Petites Polognes » sans presque parler un mot de français.
L’Église catholique joue un rôle central. La foi polonaise, très fervente et identitaire (le catholicisme étant le ciment de la nation polonaise face aux voisins orthodoxes ou protestants), se distingue du catholicisme français plus tiède ou laïcisé. Les processions, les fêtes religieuses et les patronages maintiennent le lien avec la patrie lointaine. Ce « communitarisme » (terme anachronique mais descriptif) est à double tranchant : il protège les migrants du choc du déracinement, mais retarde leur apprentissage de la langue et leur mélange avec la population locale.
Pourtant, cette organisation n’empêche pas les frictions. Les mineurs polonais sont souvent jugés trop dociles par les syndicalistes français (notamment la CGT), ou au contraire trop revendicatifs quand ils créent leurs propres syndicats (comme le ZRP). Leur statut est précaire : la carte d’identité d’étranger, instaurée en 1917, permet à l’administration de surveiller leurs déplacements. En cas de crise économique ou de grève, la menace de l’expulsion plane toujours, transformant cette communauté en une variable d’ajustement économique pour le patronat français.
⚡ Xénophobie et violences : le prix de l’installation
📌 Les Vêpres marseillaises et le massacre d’Aigues-Mortes
Il est crucial de déconstruire le mythe d’une intégration qui aurait été « naturelle » et « douce » pour les Européens, par opposition aux immigrations extra-européennes plus récentes. L’histoire prouve le contraire. La fin du XIXe siècle est marquée par des flambées de violence xénophobe d’une rare brutalité. En juin 1881, à Marseille, une manifestation de joie d’Italiens au passage de leurs troupes revenant de Tunisie (que la France venait de coloniser au nez et à la barbe de l’Italie) dégénère en chasse à l’homme : ce sont les « Vêpres marseillaises ». Pendant plusieurs jours, des Italiens sont molestés, leurs commerces pillés, sous l’œil passif de la police, faisant plusieurs morts et de nombreux blessés.
Le paroxysme est atteint en août 1893 à Aigues-Mortes, dans le Gard. Dans les marais salants, une rixe banale entre ouvriers français et italiens se transforme en massacre. La rumeur court que des Italiens ont tué des Français. Une foule armée de bâtons et de fusils traque les ouvriers italiens réfugiés dans une boulangerie ou tentant de fuir. Le bilan officiel est de 8 morts et des dizaines de blessés (probablement sous-estimé). Ce qui choque, c’est l’acquittement général des meurtriers français par le jury populaire quelques mois plus tard. Cet événement provoque une crise diplomatique majeure entre la France et l’Italie.
Ces événements montrent que le racisme n’est pas qu’une question de couleur de peau, mais de statut social et de contexte économique. L’étranger, même voisin, même catholique, est le bouc émissaire idéal en temps de crise. Pour aller plus loin sur les mécanismes légaux qui se mettent en place en réponse à ces tensions, vous pouvez consulter l’article sur les lois sur l’immigration en France, qui détaille la genèse du contrôle des frontières.
📌 La crise des années 1930 et le rejet des « inassimilables »
Si les violences physiques directes diminuent au XXe siècle, la xénophobie institutionnelle et populaire reprend de plus belle avec la crise économique des années 1930. Lorsque le chômage frappe, le mot d’ordre devient « la France aux Français ». Les Polonais, arrivés massivement dix ans plus tôt, sont les premières victimes. On parle de « protection du travail national ». En 1934-1935, des dizaines de milliers de Polonais sont renvoyés de force dans leur pays, parfois entassés dans des trains bestiaux, marquant un traumatisme durable dans la mémoire collective de cette communauté.
La presse de l’époque (notamment de droite et d’extrême droite) se déchaîne contre les « métèques ». On accuse les Italiens d’être des espions de Mussolini et les Polonais d’être des alcooliques violents inaptes à la civilisation française. Les médecins et anthropologues de l’époque développent même des théories raciales classant ces populations européennes comme inférieures aux « Français de souche ». C’est dans ce climat délétère que l’assimilation va paradoxalement s’accélérer : pour ne pas être expulsé, pour ne plus être insulté, il faut devenir invisible, franciser son nom, et montrer patte blanche.
Cette période sombre rappelle que l’intégration est souvent le fruit d’une contrainte. Les immigrés italiens et polonais ont dû faire profil bas. Beaucoup ont cherché à obtenir la naturalisation non pas par amour inconditionnel du drapeau, mais comme une protection vitale contre l’expulsion et la discrimination administrative. Pour mieux comprendre les dynamiques de rejet, l’article discriminations et intégration offre une perspective transversale sur ces enjeux.
🤝 Deux modèles d’intégration différents ?
📌 L’école et le syndicat comme creusets
Malgré les obstacles, l’intégration s’opère progressivement, portée par deux institutions majeures : l’école républicaine et le syndicalisme. L’école joue un rôle décisif pour la deuxième génération. C’est là que les petits Luigi deviennent Louis et que les Stanislas deviennent Stan. L’interdiction de parler patois ou langue étrangère en classe, si elle est vécue comme une violence symbolique, force l’apprentissage du français. Les instituteurs repèrent les élèves brillants, favorisant une méritocratie qui permet à certains enfants d’immigrés de sortir de la condition ouvrière.
Le syndicalisme, particulièrement la CGT et plus tard la CFTC, finit par intégrer ces travailleurs étrangers. Après une période de méfiance (l’étranger « briseur de grève »), la solidarité de classe prend le dessus, surtout lors du Front Populaire en 1936. Les ouvriers italiens et polonais participent massivement aux grèves, se sentant enfin acteurs légitimes de la vie sociale française. Le Parti Communiste Français (PCF) joue un rôle particulier, notamment auprès des Italiens et des Polonais mineurs, en leur offrant une structure politique qui valorise leur identité ouvrière tout en les ancrant dans le paysage politique français.
Le sport est un autre vecteur puissant. Le football, dans les bassins miniers ou les villes industrielles, devient un terrain de rencontre. L’équipe de France des années 1950, avec des figures légendaires comme Raymond Kopa (Kopaszewski) ou plus tard Michel Platini (d’origine italienne), deviendra le symbole éclatant de cette réussite. Ces champions incarnent la preuve par l’exemple que l’on peut être d’origine étrangère et porter haut les couleurs nationales, anticipant l’équipe « Black-Blanc-Beur » de 1998.
📌 Mariages mixtes et francisation des noms
L’indicateur ultime de l’intégration démographique est le mariage mixte. Chez les Italiens, majoritairement des hommes au début, les unions avec des Françaises sont fréquentes dès la deuxième génération. Cette mixité accélère la francisation des mœurs et la perte de la langue d’origine. Chez les Polonais, le repli communautaire a longtemps favorisé l’endogamie (on se marie entre Polonais), mais les barrières cèdent après la Seconde Guerre mondiale. La dispersion des corons et la fermeture progressive des mines dans la seconde moitié du XXe siècle achèveront de briser l’entre-soi.
La francisation des noms de famille est une autre étape, parfois imposée, parfois choisie. De nombreux patronymes sont simplifiés, tronqués ou traduits pour éviter les écorchures quotidiennes ou la discrimination à l’embauche. Cependant, beaucoup conservent leur nom, qui devient une marque d’origine revendiquée avec fierté quelques décennies plus tard. Aujourd’hui, on estime que plusieurs millions de Français ont au moins un grand-parent ou arrière-grand-parent italien ou polonais, témoignant de la fusion complète de ces populations dans le corps national.
Vous pouvez consulter des archives sur ces parcours de vie via le site de la Musée de l’Histoire de l’Immigration, qui propose des témoignages fascinants sur ces trajectoires familiales et les processus administratifs de naturalisation.
🏛️ L’héritage : de l’invisibilité à la mémoire
📌 La résistance et le sang versé
La Seconde Guerre mondiale marque un tournant définitif dans l’intégration. Italiens et Polonais paient un lourd tribut à la Libération de la France. Les antifascistes italiens et les résistants polonais (notamment au sein de la MOI – Main-d’œuvre immigrée) s’engagent massivement dans la lutte armée. Le groupe Manouchian, célébré par l’Affiche Rouge, compte de nombreux membres d’origine italienne et polonaise (souvent juifs pour ces derniers). Leur sacrifice scelle un « pacte de sang » avec la France. Après 1945, il devient difficile de contester la légitimité de leur présence sur le sol national.
Les Polonais participent aussi à la libération du Nord de la France au sein des armées alliées ou de réseaux spécifiques comme le réseau F2. Pour approfondir le rôle des étrangers dans ces conflits, le site Chemins de Mémoire offre des ressources précieuses sur les unités combattantes étrangères.
📌 Une mémoire apaisée mais sélective ?
Aujourd’hui, l’immigration italienne et polonaise est souvent présentée comme le « bon » modèle d’intégration, par opposition aux difficultés rencontrées par les immigrations plus récentes. C’est une reconstruction mémorielle qui oublie souvent la violence des débuts (Aigues-Mortes, les expulsions des années 30). Cette mémoire est devenue folklorique et festive : on célèbre la gastronomie italienne, on fête la Sainte-Barbe dans les anciens bassins miniers, mais on a tendance à effacer la douleur de l’exil et la dureté de la condition ouvrière.
Cependant, cette histoire nous enseigne que l’intégration est un processus long, qui s’étale sur trois ou quatre générations. Elle ne se décrète pas instantanément. Les « problèmes » attribués aux immigrés d’aujourd’hui (repli communautaire, pratique religieuse visible, délinquance juvénile perçue) étaient exactement les mêmes reproches faits aux Italiens et aux Polonais il y a un siècle. L’histoire nous invite donc à la patience et à la nuance, en rappelant que le « Français de souche » est souvent un immigré qui s’ignore.
🌍 Perspective européenne et conclusion
En conclusion, l’étude croisée des immigrations italienne et polonaise révèle la capacité extraordinaire de la société française à digérer des apports démographiques majeurs, malgré des résistances xénophobes initiales violentes. Que ce soit par l’assimilation individuelle rapide (modèle italien) ou par une intégration communautaire progressive (modèle polonais), ces populations ont bâti la France moderne, physiquement et culturellement. Elles ont transformé le droit du sol, le syndicalisme et l’identité nationale, préparant le terrain aux vagues migratoires suivantes, bien que chaque nouvelle arrivée réactive souvent les mêmes peurs ancestrales.
🧠 À retenir sur l’immigration italienne et polonaise
- La France est un pays d’immigration précoce dès le XIXe siècle à cause de sa faible natalité.
- Les Italiens (1ère nationalité étrangère début XXe) s’installent spontanément dans le Sud-Est, la Lorraine et Paris (BTP, agriculture).
- Les Polonais arrivent massivement dans les années 1920 via un recrutement d’État organisé pour les mines du Nord.
- L’intégration a été difficile, marquée par la xénophobie (massacre d’Aigues-Mortes en 1893) et les expulsions dans les années 1930.
- L’assimilation s’est faite par l’école, le travail, les mariages mixtes et le sang versé lors des guerres mondiales.
❓ FAQ : Questions fréquentes sur l’immigration italienne et polonaise
🧩 Pourquoi appelle-t-on les Italiens les « Ritals » ?
Ce terme, aujourd’hui parfois affectueux mais à l’origine très péjoratif, viendrait de l’abréviation « R.Ital. » (Réfugié Italien) notée sur les dossiers administratifs, ou simplement d’une apocope argotique du mot « Italien » avec une consonance rude pour marquer le mépris.
🧩 Qu’est-ce que les « Vêpres marseillaises » ?
C’est une émeute xénophobe survenue à Marseille en juin 1881. Des Français ont attaqué des Italiens pendant plusieurs jours suite à des sifflets supposés contre des troupes françaises revenant de Tunisie. Cela témoigne des tensions nationalistes de l’époque.
🧩 Les Polonais sont-ils repartis en Pologne ?
Une partie oui. Durant la crise des années 1930, des dizaines de milliers ont été expulsés ou sont partis faute de travail. Après 1945, un mouvement de retour vers la Pologne communiste a eu lieu (la « reemigracja »), mais la majorité est restée en France et a fait souche.
