🎯 Pourquoi les origines de la laïcité sous la Révolution française sont-elles fondatrices ?
Lorsque l’on évoque la laïcité en France, on pense immédiatement à la loi de 1905, mais comprendre les origines de la laïcité sous la Révolution française est indispensable pour saisir la violence et la profondeur de ce concept. En 1789, la France bascule d’un régime où le Roi est le lieutenant de Dieu sur Terre à un système qui tente, parfois brutalement, de séparer le politique du religieux. Cette période de dix ans n’est pas seulement une transition ; c’est le laboratoire explosif où se sont inventés l’état civil, le mariage civil et la liberté de conscience, bien avant que la République ne s’installe durablement.
👉 Poursuivons avec le sommaire pour structurer ton apprentissage de cette période complexe.
🗂️ Dans cet article, tu vas découvrir :
- ⛪ L’omnipotence de l’Église sous l’Ancien Régime
- 📜 1789 : La déclaration des droits et la nationalisation
- ⚔️ Le grand schisme : la Constitution civile du clergé
- 📝 La naissance de l’état civil et du mariage républicain
- 🌪️ Déchristianisation et cultes révolutionnaires
- 🤝 De la première séparation au Concordat de 1801
- 🧠 À retenir
- ❓ FAQ
- 🧩 Quiz
👉 Entrons maintenant dans le vif du sujet avec l’état des lieux avant la tempête révolutionnaire.
⛪ L’omnipotence de l’Église sous l’Ancien Régime : une société sacrale
📌 L’Église catholique, premier ordre du Royaume
Pour bien saisir la rupture que représentent les origines de la laïcité sous la Révolution française, il faut d’abord visualiser ce qu’était la France avant 1789. L’Église catholique n’était pas une simple institution religieuse parmi d’autres ; elle constituait le Premier ordre du Royaume, devant la Noblesse et le Tiers-État. Le Roi de France, sacré à Reims, était considéré comme le « lieutenant de Dieu sur Terre », ce qui faisait de la loi religieuse et de la loi civile une seule et même entité dans bien des domaines. Le clergé possédait environ 10 % des terres du royaume, ce qui lui assurait des revenus colossaux, en plus de la perception de la dîme, un impôt prélevé sur les récoltes des paysans.
Cette puissance économique se doublait d’un monopole quasi total sur la vie sociale et intellectuelle. L’Église gérait seule l’état civil : c’étaient les curés qui tenaient les registres de baptêmes, de mariages et de sépultures. Sans sacrement religieux, un individu n’avait juridiquement aucune existence légale. De plus, l’enseignement, des petites écoles de village aux collèges prestigieux, ainsi que les hôpitaux et l’assistance aux pauvres, étaient presque exclusivement entre les mains des congrégations religieuses. Dans ce contexte, l’idée même d’une société fonctionnant sans la tutelle de l’Église semblait inconcevable pour la majorité de la population.
Cependant, cette omnipotence commençait à être contestée tout au long du XVIIIe siècle, notamment par les philosophes des Lumières comme Voltaire ou Diderot, qui dénonçaient l’intolérance religieuse. L’affaire Calas, où un protestant fut injustement condamné, avait ému l’opinion publique et préparé les esprits à une nécessaire réforme. Néanmoins, à la veille de la Révolution, la France restait officiellement la « Fille aînée de l’Église », et le catholicisme était la seule religion d’État, interdisant de fait le culte public aux protestants et aux juifs malgré de timides édits de tolérance.
📌 La critique des privilèges et la demande de réformes
Les cahiers de doléances, rédigés au printemps 1789 en vue des États généraux, témoignent de l’ambivalence des Français envers leur Église. S’ils restaient majoritairement très attachés à la religion catholique et à leurs curés de paroisse, ils critiquaient vertement le Haut Clergé (évêques, abbés) souvent issu de la noblesse, qui vivait dans l’opulence à la cour de Versailles sans toujours se soucier de ses ouailles. La richesse foncière de l’Église, inaliénable et exemptée d’impôts directs, suscitait des jalousies croissantes, en particulier chez la bourgeoisie montante et les paysans affamés de terres.
Il ne s’agissait pas encore, dans ces premiers moments, de réclamer une séparation stricte ou une laïcité au sens moderne, mais plutôt une moralisation du clergé et une meilleure répartition des richesses. Les curés du bas clergé, qui partageaient la vie difficile du peuple, furent d’ailleurs nombreux à soutenir les revendications du Tiers-État. C’est cette alliance ponctuelle entre le petit clergé et les révolutionnaires qui permit le succès initial de l’Assemblée nationale. Pourtant, cette lune de miel allait être de courte durée, car la logique révolutionnaire d’égalité allait bientôt se heurter frontalement à la structure hiérarchique et romaine de l’Église.
En somme, la Révolution ne commence pas par une volonté d’athéisme, mais par une volonté de justice fiscale et politique qui impliquait nécessairement de toucher aux privilèges de l’Église. C’est en tirant sur ce fil politique que les révolutionnaires allaient, presque malgré eux, dérouler la pelote de la sécularisation et poser les origines de la laïcité sous la Révolution française.
📜 1789 : La déclaration des droits et la nationalisation des biens
📌 L’article 10 de la DDHC : la liberté de conscience
L’été 1789 marque le véritable point de départ juridique de la laïcisation. Le texte fondateur est sans conteste la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Son article 10 stipule : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». Cette phrase, qui nous semble aujourd’hui banale, constituait à l’époque une révolution copernicienne. Pour la première fois, la religion n’est plus une obligation d’État ou un devoir de sujet, mais une « opinion » parmi d’autres. Cela ouvrait implicitement la porte à la liberté de culte pour les protestants et les juifs, et même à la possibilité de n’avoir aucune religion.
Cette dissociation entre la citoyenneté et l’appartenance catholique est la pierre angulaire de la laïcité moderne. Désormais, on pouvait être un bon citoyen sans être un bon catholique. L’Assemblée nationale, en brisant le monopole de la vérité religieuse, affirmait la primauté de la Loi commune sur les lois divines particulières. C’était la fin théorique de l’État confessionnel, même si, dans les faits, le catholicisme restait la religion ultra-dominante de la population française. Pour approfondir ce lien entre laïcité et citoyenneté, tu peux consulter notre dossier complet sur l’histoire de la laïcité en France.
Il faut noter cependant que cette liberté restait encadrée par la notion d’« ordre public », une restriction qui allait permettre plus tard aux gouvernements successifs de surveiller et de contrôler les manifestations religieuses. Mais le principe était posé : la conscience individuelle échappait à l’emprise de l’État et de l’Église institutionnelle. C’est ce principe qui sera repris et amplifié bien plus tard, comme tu le verras en étudiant la loi de 1905.
📌 La nationalisation des biens du clergé : le levier économique
Si la Déclaration des droits posait les bases théoriques, la crise financière précipita les mesures concrètes. L’État royal était en faillite. Pour combler le déficit abyssal, l’évêque Talleyrand, personnage cynique et brillant, proposa à l’Assemblée de mettre les biens du clergé « à la disposition de la Nation ». Le 2 novembre 1789, l’Assemblée vota cette mesure radicale. Du jour au lendemain, les immenses propriétés de l’Église (abbayes, forêts, terres agricoles, immeubles urbains) devinrent des « biens nationaux » destinés à être vendus aux enchères pour renflouer les caisses de l’État.
Cette nationalisation eut deux conséquences majeures pour les origines de la laïcité sous la Révolution française. Premièrement, elle brisa l’indépendance économique de l’Église. Privé de ses revenus fonciers et de la dîme (qui fut abolie lors de la nuit du 4 août), le clergé dépendait désormais financièrement de l’État. Deuxièmement, pour compenser cette perte, l’État s’engagea à salarier les ministres du culte et à pourvoir aux frais de l’Église. C’est ainsi que naquit l’idée d’un « service public du culte », transformant les prêtres en quasi-fonctionnaires. Cette situation paradoxale (l’État paie le culte) allait à l’encontre d’une séparation stricte, mais elle était une étape nécessaire pour désimbriquer la puissance cléricale de la puissance publique.
La vente des biens nationaux créa également une nouvelle classe de propriétaires bourgeois et paysans, indéfectiblement attachés à la Révolution par intérêt économique. Revenir en arrière, c’était pour eux risquer de perdre leurs nouvelles terres. Ainsi, la question religieuse devint indissociable de la question de la propriété et de la survie du régime républicain. Cette transformation matérielle de l’Église préfigurait sa transformation institutionnelle, qui allait provoquer le drame de la Constitution civile du clergé.
⚔️ Le grand schisme : la Constitution civile du clergé
📌 Une tentative de nationalisation de l’Église
En 1790, l’Assemblée constituante ne cherchait pas à détruire le catholicisme, mais à le régénérer et à l’intégrer dans le nouvel ordre politique. C’est dans cet esprit que fut votée la Constitution civile du clergé le 12 juillet 1790. Ce texte réorganisait complètement l’Église de France sans consulter le Pape. Les diocèses étaient redécoupés pour calquer la carte des nouveaux départements (83 à l’époque). Plus révolutionnaire encore : les évêques et les curés devaient désormais être élus par les citoyens, qu’ils soient catholiques, protestants ou athées, exactement comme les autres fonctionnaires publics.
Cette réforme administrative touchait en réalité au cœur du dogme catholique, car elle rompait le lien hiérarchique direct avec Rome (le Pape ne donnait plus l’investiture canonique, il était simplement informé). Pour les révolutionnaires, c’était une suite logique de la souveraineté nationale : le peuple souverain devait contrôler tous les aspects de la vie publique, y compris l’organisation religieuse. Pour de nombreux croyants, c’était une intrusion insupportable du politique dans le spirituel. Pour comprendre les arguments juridiques actuels sur l’organisation des cultes, vous pouvez consulter les textes de référence sur Légifrance.
L’Assemblée exigea que tous les prêtres prêtent serment de fidélité « à la Nation, à la Loi et au Roi », et donc implicitement à cette nouvelle Constitution civile. Ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres. Le clergé se divisa en deux camps irréconciliables : les prêtres jureurs (ou constitutionnels), qui acceptèrent de prêter serment, et les prêtres réfractaires, qui refusèrent au nom de leur fidélité au Pape. Ce schisme religieux allait rapidement se transformer en guerre civile, notamment dans l’Ouest de la France (Vendée, Bretagne), où la population soutint massivement ses « bons prêtres » réfractaires contre les « intrus » envoyés par Paris.
📌 La rupture avec Rome et la conscience du Roi
La réaction de Rome ne se fit pas attendre. Au printemps 1791, le pape Pie VI condamna officiellement la Constitution civile du clergé et les principes de la Révolution (notamment la liberté de penser) comme « impies ». Cette condamnation plaça les catholiques français devant un choix cornélien : être fidèle à sa religion ou être fidèle à sa patrie révolutionnaire. Ce conflit de loyauté traversa toutes les familles, jusqu’au sommet de l’État. Le roi Louis XVI, homme profondément pieux, vécut ce schisme comme un drame personnel. Le fait d’avoir dû sanctionner ce décret contre sa conscience fut l’une des raisons principales de sa tentative de fuite à Varennes en juin 1791.
À partir de ce moment, la question religieuse devint le principal facteur de division politique en France. Les révolutionnaires commencèrent à voir dans le catholicisme réfractaire (et bientôt dans le catholicisme tout court) un ennemi mortel de la Liberté, une « cinquième colonne » au service des puissances étrangères et de la contre-révolution. Cette radicalisation explique pourquoi la Révolution, partie d’une volonté de réforme libérale, glissa vers une politique anticléricale violente. La défense de la Révolution impliquait désormais de combattre l’influence de l’Église traditionnelle.
C’est dans ce contexte de tension extrême que la France dut inventer de nouveaux mécanismes pour gérer la vie de la cité sans l’appui de l’Église, donnant naissance à des institutions purement laïques qui perdurent encore aujourd’hui. L’hostilité du clergé réfractaire poussa les républicains à accélérer la sécularisation de la société civile, bien au-delà de ce qui était envisagé en 1789.
📝 La naissance de l’état civil et du mariage républicain
📌 Transférer l’identité des registres paroissiaux à la mairie
Une étape décisive dans les origines de la laïcité sous la Révolution française fut franchie le 20 septembre 1792, la veille de la proclamation de la République. L’Assemblée législative vota le décret instaurant l’état civil laïque. Jusqu’alors, c’était le baptême qui faisait entrer l’enfant dans la communauté humaine ; désormais, ce serait l’enregistrement de la naissance à la maison commune (la mairie). Les registres paroissiaux, tenus par l’Église depuis des siècles (depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 pour être précis), furent transférés aux municipalités.
Ce transfert était bien plus qu’une réforme administrative. Il signifiait que l’appartenance à la Nation française ne dépendait plus de l’appartenance religieuse. Un enfant juif, protestant ou fils d’athée avait désormais les mêmes droits et la même existence légale qu’un enfant catholique. Les maires remplacèrent les curés comme gardiens de l’identité des citoyens. C’est une des bases les plus solides de la laïcité administrative française : l’État connaît des citoyens, pas des fidèles. Tu peux voir des exemples d’actes d’état civil de cette époque sur le site de la Bibliothèque nationale de France.
Cette mesure permit aussi de contrôler la démographie et la conscription militaire avec plus d’efficacité, mais symboliquement, elle retirait à l’Église son pouvoir de « porteier » de la vie et de la mort. Les funérailles aussi pouvaient devenir civiles, bien que les mentalités missent beaucoup plus de temps à évoluer sur ce point précis. Néanmoins, l’État affirmait sa compétence exclusive sur la définition de la personne juridique.
📌 Le mariage : un contrat civil résiliable (le divorce)
Dans la logique catholique, le mariage est un sacrement indissoluble (« ce que Dieu a uni, l’homme ne peut le séparer »). La Révolution bouleversa cette conception en faisant du mariage un contrat civil passé devant l’officier d’état civil, et non plus devant le prêtre. La loi du 20 septembre 1792 (la même que pour l’état civil) instaura cette obligation : pour être reconnus comme mariés, les époux devaient d’abord passer à la mairie. La cérémonie religieuse devenait une option privée, facultative et sans valeur légale. C’est encore le système en vigueur aujourd’hui en France, contrairement à d’autres pays où le mariage religieux a valeur légale.
Corollaire logique de la contractualisation du mariage : si c’est un contrat humain, il peut être rompu. La Révolution instaura donc le divorce, une rupture immense avec la tradition catholique millénaire. La loi de 1792 sur le divorce était d’ailleurs très libérale, permettant la séparation par consentement mutuel ou pour incompatibilité d’humeur. Cette liberté nouvelle fut largement utilisée, surtout dans les villes, par des femmes souhaitant échapper à des unions malheureuses ou violentes. Le divorce fut restreint sous l’Empire et aboli sous la Restauration (en 1816), avant de revenir définitivement sous la IIIe République, mais le précédent était posé.
Enfin, la laïcisation toucha aussi l’école, même si les réalisations furent moins rapides que les projets. Des plans grandioses, comme celui de Condorcet, imaginaient une instruction publique, gratuite et laïque, libérée de tout dogme, pour former des citoyens éclairés par la Raison. Si la Révolution n’eut pas le temps ni les moyens de bâtir ce système scolaire complet (c’est Jules Ferry qui s’en chargera plus tard, voir notre article sur laïcité et école), elle en posa les principes théoriques fondamentaux, arrachant intellectuellement l’éducation à la tutelle exclusive de l’Église.
🌪️ Déchristianisation et cultes révolutionnaires
📌 La violence de la Terreur contre les signes religieux
À partir de l’automne 1793, sous la Terreur, la tension entre la Révolution et l’Église atteignit un paroxysme de violence. On assista à un mouvement de déchristianisation, souvent spontané et mené par des sans-culottes radicaux ou des représentants en mission zélés comme Fouché. L’objectif n’était plus seulement de contrôler le clergé, mais d’éradiquer la « superstition » catholique de l’espace public. Les églises furent fermées, pillées ou transformées en temples de la Raison, en entrepôts ou en écuries. Les cloches furent fondues pour fabriquer des canons. Les croix de chemin furent abattues.
Les prêtres, même constitutionnels, furent incités (parfois forcés) à abdiquer leur sacerdoce et à se marier. Ceux qui refusaient risquaient la guillotine ou la déportation vers la Guyane (la « guillotine sèche »). C’est à cette époque que l’abbé Grégoire inventa le terme de « vandalisme » pour dénoncer les destructions du patrimoine artistique religieux. Cette période laissa un traumatisme profond dans la conscience catholique française, alimentant l’idée que la République était intrinsèquement persécutrice. Pourtant, le gouvernement révolutionnaire, et notamment Robespierre, voyait d’un mauvais œil cet athéisme militant, qu’il jugeait immoral et politiquement dangereux.
Pour effacer la marque du christianisme sur le temps lui-même, la Convention adopta le calendrier républicain. L’ère chrétienne fut abolie : l’an I de la République commençait le 22 septembre 1792. Les semaines de sept jours (liées à la Création biblique) furent remplacées par des décades de dix jours, éliminant le dimanche chômé au profit du décadi. Les noms des saints disparurent au profit de noms de plantes, d’animaux ou d’outils agricoles (Brumaire, Floréal, Thermidor…). Cette tentative de laïciser le temps fut l’une des plus audacieuses, mais elle se heurta à la résistance passive d’une population paysanne attachée à ses rythmes dominicaux.
📌 Culte de la Raison et Culte de l’Être Suprême
Le vide laissé par la religion catholique devait être comblé. Les révolutionnaires pensaient qu’une société ne pouvait tenir sans un ciment moral et symbolique commun. On vit d’abord apparaître le Culte de la Raison (fin 1793), une forme de religion athée célébrant la Liberté et la Nature, avec des cérémonies parfois carnavalesques dans la cathédrale Notre-Dame de Paris transformée en temple. Des actrices d’opéra y personnifiaient la Déesse Raison. Ces mascarades choquèrent une partie de la population et Robespierre lui-même.
Robespierre, déiste influencé par Rousseau, croyait que l’idée de Dieu était nécessaire pour garantir la vertu des citoyens. Il imposa donc au printemps 1794 le Culte de l’Être Suprême. Par le décret du 18 floréal an II, le peuple français reconnaissait « l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme ». Une fête grandiose fut organisée le 8 juin 1794 au Champ-de-Mars, scénographiée par le peintre David. Robespierre y joua le rôle d’un grand pontife, brûlant la statue de l’Athéisme pour laisser apparaître celle de la Sagesse.
Ces cultes révolutionnaires furent des tentatives éphémères de créer une religion civile, une laïcité qui ne serait pas neutre mais porteuse de ses propres valeurs sacrées (la Patrie, la Loi, la République). Bien que ces cultes aient disparu avec la chute de Robespierre en juillet 1794 (Thermidor), ils montrèrent la difficulté pour l’État de se passer totalement de dimension transcendante. Cette question du « sacré républicain » (le drapeau, l’hymne, le Panthéon) reste un héritage de cette période, toujours visible dans les débats sur la défense de la laïcité aujourd’hui.
🤝 De la première séparation au Concordat de 1801
📌 La séparation oubliée de l’An III (1795)
Après la chute de Robespierre, la Convention thermidorienne chercha à pacifier le pays tout en faisant des économies. Le système du clergé constitutionnel salarié par l’État ne fonctionnait plus et coûtait trop cher. Le 21 février 1795 (3 ventôse an III), sur proposition de Boissy d’Anglas, la Convention vota un décret capital : « La République ne salarie aucun culte ». C’était, de fait et de droit, la première séparation de l’Église et de l’État en France, un siècle avant 1905 !
Ce décret rétablissait la liberté des cultes mais les privait de tout soutien public et interdisait toute manifestation extérieure (pas de processions, pas de cloches, pas d’habits religieux dans la rue). Les églises non aliénées furent rendues aux fidèles, mais ceux-ci devaient en assurer l’entretien. Cette période de séparation (1795-1801) permit une renaissance spectaculaire du catholicisme romain, qui regagna rapidement du terrain face à une Église constitutionnelle moribonde et des cultes républicains en déclin. L’État se désengageait, mais restait méfiant, exigeant des prêtres un simple serment de soumission aux lois de la République.
Cependant, cette séparation était précaire. L’insécurité religieuse persistait, et les prêtres réfractaires restaient souvent suspects d’agitation royaliste. Le Directoire alterna entre tolérance et répression (coups d’État, nouvelles déportations). La France était religieusement ingouvernable. C’est dans ce chaos que le général Bonaparte prit le pouvoir par le coup d’État du 18 Brumaire, avec la ferme intention de régler la question religieuse pour stabiliser son pouvoir.
📌 Le Concordat de 1801 : la fin du cycle révolutionnaire
Napoléon Bonaparte était un pragmatique. Il n’était pas dévot, mais il était convaincu qu’« on ne gouverne pas un peuple sans autels ». Pour rétablir la paix civile et rallier les catholiques à son régime, il entama des négociations secrètes avec le pape Pie VII. Ces tractations aboutirent à la signature du Concordat le 15 juillet 1801. Ce texte mit fin à dix ans de déchirements religieux et scella le sort de la laïcité révolutionnaire pour le siècle à venir.
Le Concordat reconnaissait le catholicisme non plus comme « religion d’État », mais comme « religion de la grande majorité des citoyens français ». C’était une reconnaissance factuelle et non juridique de prééminence. En échange, le Pape acceptait la nationalisation des biens du clergé (une garantie immense pour les acheteurs de biens nationaux) et la démission de tous les évêques de l’Ancien Régime. L’État s’engageait à salarier de nouveau les évêques et les curés, qui prêtaient serment de fidélité au gouvernement. Les évêques étaient nommés par le Premier Consul et recevaient l’investiture canonique du Pape.
Avec les « Articles organiques » ajoutés unilatéralement par Bonaparte en 1802, ce système de cultes reconnus fut étendu aux protestants (luthériens et calvinistes) puis aux juifs (en 1808). La France entrait dans le régime des cultes reconnus : il n’y avait pas séparation, mais contrôle étroit des religions par l’État en échange d’un financement public. Ce système allait durer jusqu’en 1905. La Révolution avait échoué à instaurer une laïcité de séparation totale à court terme, mais elle avait réussi l’essentiel : l’État n’était plus confessionnel, la liberté de conscience était acquise, et l’état civil restait laïque. Pour voir comment ce système a évolué jusqu’à la crise suivante, je t’invite à lire l’article sur les débats religieux sous la IIIe République.
🧠 À retenir sur les origines de la laïcité sous la Révolution
- La Déclaration des droits de 1789 (article 10) dissocie pour la première fois la citoyenneté de la religion catholique : c’est la naissance de la liberté de conscience.
- La nationalisation des biens du clergé (1789) et la Constitution civile du clergé (1790) provoquent un schisme durable entre l’Église catholique et la Révolution.
- L’année 1792 est charnière avec la création de l’état civil et du mariage civil (incluant le divorce), retirant à l’Église le contrôle de la vie sociale.
- Après la tentative violente de déchristianisation et la séparation éphémère de 1795, Napoléon stabilise la situation avec le Concordat de 1801, qui place les cultes sous contrôle de l’État.
❓ FAQ : Questions fréquentes sur la laïcité et la Révolution
🧩 La Révolution française a-t-elle interdit la religion ?
Non, pas officiellement. Si la période de la Terreur (1793-1794) a vu une persécution violente et la fermeture des églises, les textes fondateurs comme la DDHC garantissent la liberté d’opinion religieuse. La Révolution a surtout cherché à soumettre l’Église à l’État, puis à créer des cultes civiques, avant de revenir à une tolérance encadrée.
🧩 Quelle est la différence entre prêtre jureur et prêtre réfractaire ?
Un prêtre jureur (ou constitutionnel) est celui qui a accepté de prêter serment à la Constitution civile du clergé en 1791, reconnaissant l’autorité de l’État sur l’organisation de l’Église. Un prêtre réfractaire est celui qui a refusé ce serment par fidélité au Pape, devenant ainsi un hors-la-loi aux yeux de la République.
🧩 Pourquoi le calendrier républicain a-t-il été créé ?
Le calendrier républicain visait à « déchristianiser le temps ». En remplaçant le dimanche par le décadi (le 10e jour) et les fêtes religieuses par des fêtes civiles, les révolutionnaires voulaient effacer le rythme chrétien de la vie des Français pour imposer un rythme fondé sur la Nature et la Raison.
