đŻ Pourquoi la fĂȘte nationale du 14 juillet est-elle emblĂ©matique en histoire ?
La fĂȘte nationale du 14 juillet incarne Ă elle seule l’identitĂ© de la RĂ©publique française en commĂ©morant non pas un, mais deux Ă©vĂ©nements fondateurs qui ont marquĂ© la fin de l’Ancien RĂ©gime et la naissance de la nation souveraine. Bien plus qu’un simple jour fĂ©riĂ© ponctuĂ© de feux d’artifice, cette date cristallise les valeurs de libertĂ© et d’unitĂ© nationale forgĂ©es dans le tumulte de la RĂ©volution française Ă la fin du XVIIIe siĂšcle. Cependant, l’adoption officielle de cette journĂ©e comme symbole rĂ©publicain n’a eu lieu que bien plus tard, en 1880, aprĂšs des dĂ©cennies de dĂ©bats politiques intenses et de changements de rĂ©gimes successifs. Pour comprendre la portĂ©e de ce rite rĂ©publicain, il est essentiel de plonger au cĆur de l’Ă©tĂ© 1789 et de suivre l’Ă©volution de cette cĂ©lĂ©bration jusqu’Ă nos jours.
đïž Dans cet article, tu vas dĂ©couvrir :
- đ§ Le choc du 14 juillet 1789 : la prise de la Bastille
- âïž Le 14 juillet 1790 : l’invention de l’unitĂ© nationale
- đ L’Ă©clipse du symbole sous les rĂ©gimes monarchiques et impĂ©riaux
- đš 1880 : L’instauration officielle de la fĂȘte nationale
- đ Le dĂ©filĂ© militaire et les festivitĂ©s populaires
- đ€ Un symbole vivant : enjeux contemporains et diplomatiques
- đ§ Ă retenir
- â FAQ
- đ§© Quiz
đ Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre le contexte explosif de ce thĂšme central.
đ§ Le choc du 14 juillet 1789 : la prise de la Bastille
đ La montĂ©e des tensions Ă Paris et la crise de la monarchie
Pour saisir toute la portĂ©e de la fĂȘte nationale du 14 juillet, il est impĂ©ratif de revenir aux sources de l’Ă©vĂ©nement, dans le Paris bouillonnant de l’Ă©tĂ© 1789. La France traverse alors une crise Ă©conomique, sociale et politique majeure, marquĂ©e par de mauvaises rĂ©coltes qui affament le peuple et par un dĂ©ficit abyssal des finances royales. Le roi Louis XVI, contraint de convoquer les Ătats gĂ©nĂ©raux au printemps, se retrouve face Ă une fronde des dĂ©putĂ©s du Tiers-Ătat qui se proclament AssemblĂ©e nationale constituante le 17 juin, remettant en cause le principe mĂȘme de la monarchie absolue.
L’atmosphĂšre dans la capitale est Ă©lectrique, car les Parisiens craignent une rĂ©pression militaire imminente de la part des troupes royales qui encerclent la ville. La rumeur d’un « complot aristocratique » visant Ă affamer la population pour la soumettre se rĂ©pand comme une traĂźnĂ©e de poudre dans les faubourgs. Le renvoi de Necker, le ministre des Finances trĂšs populaire car jugĂ© favorable aux rĂ©formes, le 11 juillet 1789, met le feu aux poudres et est interprĂ©tĂ© comme le signal d’une contre-rĂ©volution royale.
Le 12 juillet, au Palais-Royal, le journaliste Camille Desmoulins harangue la foule, l’appelant Ă prendre les armes pour se dĂ©fendre contre les rĂ©giments Ă©trangers (suisses et allemands) appelĂ©s par le roi. Des manifestations spontanĂ©es Ă©clatent, les barriĂšres d’octroi sont incendiĂ©es, et Paris sombre dans un chaos insurrectionnel oĂč la recherche d’armes devient l’obsession principale des Ă©meutiers. C’est dans ce contexte de peur, de faim et d’espoir politique que se lĂšve le jour fatidique du mardi 14 juillet.
đ La journĂ©e rĂ©volutionnaire et la chute de la forteresse
La journĂ©e du 14 juillet 1789 commence bien avant l’assaut de la prison : dĂšs l’aube, une foule immense composĂ©e d’artisans, de bourgeois et de gardes-françaises se masse devant l’HĂŽtel des Invalides. L’objectif est clair : s’emparer des fusils entreposĂ©s lĂ -bas pour armer la milice bourgeoise qui tente de maintenir l’ordre tout en prĂ©parant la dĂ©fense de la capitale. Les Ă©meutiers parviennent Ă saisir plus de 30 000 fusils et quelques canons, mais il leur manque l’essentiel pour rendre ces armes opĂ©rationnelles : de la poudre et des balles.
La rumeur indique que la poudre a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e Ă la Bastille, une forteresse mĂ©diĂ©vale situĂ©e Ă l’est de Paris, dans le faubourg Saint-Antoine. Ce bĂątiment massif, avec ses huit tours rondes et ses murailles Ă©paisses, fait figure d’Ă©pouvantail : il sert de prison d’Ătat oĂč l’on peut ĂȘtre enfermĂ© sur simple « lettre de cachet » du roi, sans procĂšs, ce qui en fait le symbole absolu de l’arbitraire royal. Pourtant, en juillet 1789, la Bastille n’est plus qu’une prison de luxe quasiment vide, ne dĂ©tenant que sept prisonniers (quatre faussaires, deux fous et un noble enfermĂ© Ă la demande de sa famille).
Vers 10 heures du matin, la foule arrive devant la forteresse et demande au gouverneur, le marquis Bernard-RenĂ© Jourdan de Launay, de livrer la poudre et de retirer les canons braquĂ©s sur le faubourg. Les nĂ©gociations s’Ă©ternisent, la tension monte, et des coups de feu partent, dĂ©clenchant une vĂ©ritable bataille. Les assaillants, renforcĂ©s par des dĂ©tachements de gardes-françaises et des canons pris aux Invalides, parviennent Ă briser les chaĂźnes du pont-levis, et la forteresse capitule en fin d’aprĂšs-midi, vers 17 heures.
La prise de la Bastille est un acte d’une violence inouĂŻe : le gouverneur de Launay est massacrĂ© par la foule lors de son transfert vers l’HĂŽtel de Ville, et sa tĂȘte est promenĂ©e au bout d’une pique, inaugurant une sĂ©rie de violences rĂ©volutionnaires. Cependant, la portĂ©e symbolique de l’Ă©vĂ©nement dĂ©passe immĂ©diatement sa rĂ©alitĂ© militaire ou stratĂ©gique : c’est l’effondrement visible du pouvoir absolu. Le roi, rĂ©veillĂ© dans la nuit par le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, pose la cĂ©lĂšbre question : « C’est une rĂ©volte ? », ce Ă quoi le duc rĂ©pond : « Non, Sire, c’est une rĂ©volution. »
đ Les consĂ©quences immĂ©diates : le peuple entre en scĂšne
La chute de la Bastille provoque une onde de choc qui va bien au-delĂ de Paris, marquant le vĂ©ritable dĂ©but de l’effondrement de l’administration royale dans tout le royaume. Louis XVI, prenant acte de sa dĂ©faite politique et militaire, annonce dĂšs le lendemain le retrait des troupes qui encerclaient Paris et rappelle Necker au gouvernement. Le 17 juillet, le roi se rend Ă l’HĂŽtel de Ville de Paris oĂč il accepte d’arborer la cocarde tricolore, symbole de l’alliance entre les couleurs de Paris (bleu et rouge) et celles de la monarchie (blanc), reconnaissant ainsi la nouvelle lĂ©gitimitĂ© du pouvoir municipal insurrectionnel.
Cet Ă©vĂ©nement marque Ă©galement le dĂ©but de l’Ă©migration des nobles les plus hostiles Ă la RĂ©volution, comme le comte d’Artois (frĂšre du roi), qui comprennent que l’ordre ancien est dĂ©finitivement brisĂ©. Dans les campagnes, la nouvelle de la prise de la Bastille dĂ©clenche la Grande Peur, une panique collective qui pousse les paysans Ă attaquer les chĂąteaux pour brĂ»ler les terriers (les registres des droits seigneuriaux). Pour approfondir ce lien avec les symboles, tu peux consulter l’article sur le drapeau tricolore, qui naĂźt vĂ©ritablement dans ces journĂ©es de juillet.
DĂšs l’Ă©tĂ© 1789, la dĂ©molition de la Bastille commence, organisĂ©e par l’entrepreneur Pierre-François Palloy, qui transforme les pierres de la forteresse en « reliques » patriotiques vendues dans toute la France. Le 14 juillet 1789 devient instantanĂ©ment une date sacrĂ©e pour les patriotes, symbolisant la victoire de la LibertĂ© sur le despotisme, mais c’est une victoire tachĂ©e de sang que la future IIIe RĂ©publique cherchera parfois Ă nuancer.
âïž Le 14 juillet 1790 : l’invention de l’unitĂ© nationale
đ La volontĂ© de rĂ©concilier la nation
Si la fĂȘte nationale du 14 juillet commĂ©more la Prise de la Bastille, elle fait tout autant rĂ©fĂ©rence, et peut-ĂȘtre mĂȘme davantage sur le plan juridique, au 14 juillet 1790, date de la FĂȘte de la FĂ©dĂ©ration. Un an aprĂšs les Ă©vĂ©nements violents de 1789, l’AssemblĂ©e nationale et la Commune de Paris cherchent Ă stabiliser la RĂ©volution et Ă cĂ©lĂ©brer l’unitĂ© retrouvĂ©e des Français. L’objectif est de clore la pĂ©riode des troubles par une immense cĂ©rĂ©monie de concorde, rassemblant les gardes nationales de tout le royaume autour du roi et de la Loi.
L’idĂ©e d’une fĂ©dĂ©ration nationale naĂźt spontanĂ©ment en province, oĂč des milices citoyennes se sont regroupĂ©es localement pour maintenir l’ordre et dĂ©fendre les acquis rĂ©volutionnaires. La Fayette, commandant de la Garde nationale de Paris, propose d’organiser un rassemblement gĂ©nĂ©ral Ă Paris pour l’anniversaire de la chute de la Bastille. C’est une tentative politique majeure pour transformer une date insurrectionnelle en une fĂȘte de l’ordre et de l’unitĂ©, effaçant le souvenir des tĂȘtes coupĂ©es pour ne garder que celui de la libertĂ© conquise.
Les travaux d’amĂ©nagement du Champ-de-Mars, oĂč doit se tenir la cĂ©rĂ©monie, prennent du retard, et c’est alors que se produit un phĂ©nomĂšne social extraordinaire : les « journĂ©es des brouettes ». Des milliers de Parisiens de toutes conditions, nobles, bourgeois, ouvriers, moines et soldats, viennent travailler bĂ©nĂ©volement cĂŽte Ă cĂŽte pour terrasser le sol et Ă©riger l’immense autel de la patrie. Cette fraternitĂ© active prĂ©figure l’esprit de la devise rĂ©publicaine, dont tu peux dĂ©couvrir l’histoire dans l’article sur LibertĂ©, ĂgalitĂ©, FraternitĂ©.
đ Le dĂ©roulement de la FĂȘte de la FĂ©dĂ©ration
Le jour du 14 juillet 1790, malgrĂ© une pluie battante qui transforme le Champ-de-Mars en bourbier, l’enthousiasme est immense. Environ 14 000 gardes nationaux venus de tous les dĂ©partements dĂ©filent sous les vivats d’une foule estimĂ©e Ă plus de 400 000 spectateurs, un chiffre colossal pour l’Ă©poque. Au centre de l’esplanade trĂŽne l’Autel de la Patrie, officiĂ© par Talleyrand, Ă©vĂȘque d’Autun, entourĂ© de 300 prĂȘtres portant des ceintures tricolores par-dessus leurs aubes.
Le moment culminant de la cĂ©rĂ©monie est la prestation de serment. La Fayette, montĂ© sur son cheval blanc, jure le premier d’ĂȘtre fidĂšle « à la Nation, Ă la Loi et au Roi ». Puis, le roi Louis XVI lui-mĂȘme, installĂ© dans une tribune officielle et non sur l’autel (signe subtil qu’il ne mĂšne plus le jeu), prĂȘte serment de « maintenir la Constitution dĂ©crĂ©tĂ©e par l’AssemblĂ©e nationale ». La reine Marie-Antoinette prĂ©sente le Dauphin Ă la foule, dĂ©clenchant des cris de « Vive le Roi ! Vive la Reine ! Vive le Dauphin ! ».
Cette journĂ©e semble marquer l’apogĂ©e de la monarchie constitutionnelle : le roi est acclamĂ© non plus comme un souverain absolu de droit divin, mais comme le premier citoyen de la nation, le chef de l’exĂ©cutif dans un systĂšme partagĂ©. C’est ce 14 juillet-lĂ , pacifique, joyeux et unitaire, que les rĂ©publicains modĂ©rĂ©s de la fin du XIXe siĂšcle prĂ©fĂšreront souvent mettre en avant pour justifier le choix de la fĂȘte nationale, car il permet d’Ă©viter l’apologie directe de l’Ă©meute populaire de 1789.
đ Une unitĂ© de façade ?
MalgrĂ© la ferveur apparente, la FĂȘte de la FĂ©dĂ©ration dissimule mal les fractures qui persistent et qui vont bientĂŽt dĂ©chirer le pays. L’unitĂ© affichĂ©e est fragile : une partie de l’aristocratie a dĂ©jĂ Ă©migrĂ©, et le clergĂ© est divisĂ© par la Constitution civile du clergĂ© votĂ©e deux jours avant, le 12 juillet 1790. De plus, la sincĂ©ritĂ© du roi reste sujette Ă caution pour les observateurs les plus radicaux comme Marat, qui dĂ©nonce dans son journal « L’Ami du peuple » une mascarade destinĂ©e Ă endormir la vigilance rĂ©volutionnaire.
NĂ©anmoins, le 14 juillet 1790 reste dans les mĂ©moires comme le moment oĂč la nation française a pris conscience d’elle-mĂȘme en tant que corps politique unifiĂ©, dĂ©passant les divisions provinciales et les privilĂšges d’ordres. C’est la naissance du sentiment national moderne. Pour comprendre comment cette conscience nationale s’est aussi construite musicalement, je t’invite Ă lire l’article sur La Marseillaise, chant qui deviendra indissociable de ces commĂ©morations quelques annĂ©es plus tard.
DĂšs l’annĂ©e suivante, en 1791, la fusillade du Champ-de-Mars (prĂ©cisĂ©ment sur les lieux de la FĂ©dĂ©ration) brisera cette union, et la tentative de fuite du roi Ă Varennes finira de ruiner le rĂȘve d’une monarchie constitutionnelle apaisĂ©e. Le 14 juillet tombera alors dans une forme de semi-oubli ou de mĂ©fiance politique pendant prĂšs d’un siĂšcle.
đ L’Ă©clipse du symbole sous les rĂ©gimes monarchiques et impĂ©riaux
đ Le rejet par l’Empire et la Restauration
AprĂšs l’exĂ©cution de Louis XVI en 1793 et la pĂ©riode de la Terreur, la date du 14 juillet devient gĂȘnante, mĂȘme pour les rĂ©publicains qui cherchent Ă stabiliser le pays. Sous le Premier Empire (1804-1815), NapolĂ©on Bonaparte, soucieux de rĂ©concilier les Français mais surtout d’imposer son propre culte, supprime les fĂȘtes rĂ©volutionnaires. Il remplace le 14 juillet par la Saint-NapolĂ©on, fixĂ©e au 15 aoĂ»t (jour de sa naissance et de la fĂȘte de l’Assomption), crĂ©ant ainsi une fĂȘte mĂȘlant culte de la personnalitĂ©, religion et gloire militaire.
Avec le retour des Bourbons lors de la Restauration (1815-1830), le 14 juillet devient une date maudite, synonyme de dĂ©but de la fin pour la monarchie, d’anarchie et de rĂ©gicide. CommĂ©morer la prise de la Bastille est alors considĂ©rĂ© comme un acte sĂ©ditieux. Les autoritĂ©s royales s’efforcent d’effacer les traces de la RĂ©volution dans l’espace public et les calendriers. La mĂ©moire du 14 juillet se rĂ©fugie dans la clandestinitĂ©, cĂ©lĂ©brĂ©e discrĂštement par les opposants libĂ©raux, les rĂ©publicains et les anciens soldats de l’an II qui transmettent le souvenir de la libertĂ©.
Pendant ces dĂ©cennies, c’est la fĂȘte du Roi (la Saint-Louis ou la Saint-Charles) qui fait office de fĂȘte nationale, soulignant que la nation est incarnĂ©e par la personne du monarque et non par le peuple souverain. Cette traversĂ©e du dĂ©sert montre bien que les symboles ne sont jamais neutres : ils sont le reflet direct du rĂ©gime politique en place et de sa lĂ©gitimitĂ© supposĂ©e.
đ La timide rĂ©surgence sous la IIe RĂ©publique et le Second Empire
La RĂ©volution de 1848, qui instaure la brĂšve IIe RĂ©publique, tente de renouer avec la tradition rĂ©volutionnaire, mais elle se mĂ©fie des dĂ©bordements populaires. Bien que le climat soit Ă la fraternitĂ©, le gouvernement provisoire prĂ©fĂšre cĂ©lĂ©brer la proclamation de la RĂ©publique (le 4 mai) plutĂŽt que le 14 juillet, jugĂ© trop violent et clivant. On craint de rĂ©veiller les passions de la Terreur alors que l’on cherche Ă rassurer la bourgeoisie et les campagnes.
Sous le Second Empire (1852-1870), NapolĂ©on III rĂ©tablit le 15 aoĂ»t comme fĂȘte nationale. Cependant, l’opposition rĂ©publicaine grandissante Ă partir des annĂ©es 1860 commence Ă rĂ©utiliser le 14 juillet comme un signe de ralliement. Des banquets clandestins ou privĂ©s sont organisĂ©s Ă cette date, et Victor Hugo, depuis son exil, contribue Ă mythifier l’annĂ©e 1789 dans ses Ă©crits. La dĂ©faite de 1870 face Ă la Prusse et la chute de l’Empire ouvrent une nouvelle Ăšre d’incertitude oĂč la dĂ©finition de la RĂ©publique reste Ă construire.
C’est vĂ©ritablement aprĂšs la tragĂ©die de la Commune de Paris en 1871 que la question du symbole se pose avec acuitĂ©. La IIIe RĂ©publique naissante est d’abord dominĂ©e par des monarchistes qui espĂšrent une restauration, mais l’Ă©chec de celle-ci et la victoire Ă©lectorale progressive des rĂ©publicains (les « opportunistes » et les radicaux) Ă la fin des annĂ©es 1870 rendent possible l’instauration d’une symbolique propre au nouveau rĂ©gime.
đš 1880 : L’instauration officielle de la fĂȘte nationale
đ La quĂȘte d’une date pour la IIIe RĂ©publique
En 1879, les rĂ©publicains ont enfin conquis tous les leviers du pouvoir : la Chambre des dĂ©putĂ©s, le SĂ©nat et la PrĂ©sidence de la RĂ©publique (avec Jules GrĂ©vy). Il devient urgent d’enraciner le rĂ©gime dans le cĆur des Français par des symboles forts : le buste de Marianne dans les mairies, La Marseillaise comme hymne, et une fĂȘte nationale annuelle. Mais quelle date choisir ? Plusieurs options sont sur la table et font l’objet de dĂ©bats passionnĂ©s.
Certains proposent le 21 septembre (proclamation de la IĂšre RĂ©publique en 1792), mais cette date rappelle trop les massacres de septembre et la proximitĂ© de la Terreur. D’autres suggĂšrent le 4 aoĂ»t (abolition des privilĂšges), une date noble mais jugĂ©e trop abstraite pour une fĂȘte populaire. Le 24 fĂ©vrier (rĂ©volution de 1848) est Ă©voquĂ©, mais il rappelle l’Ă©chec rapide de la IIe RĂ©publique. Le 14 juillet Ă©merge comme le favori, soutenu par des figures comme LĂ©on Gambetta et Victor Hugo.
Le dĂ©putĂ© Benjamin Raspail dĂ©pose le 21 mai 1880 une proposition de loi trĂšs courte : « La RĂ©publique adopte le 14 juillet comme jour de fĂȘte nationale annuelle ». L’objectif est de crĂ©er un rituel laĂŻc capable de rivaliser avec les grandes fĂȘtes religieuses et de souder la nation autour de l’idĂ©al rĂ©publicain.
đ Le compromis politique : 1789 ou 1790 ?
Le choix du 14 juillet ne fait pas l’unanimitĂ©. Pour la droite conservatrice et monarchiste, c’est une provocation : commĂ©morer la prise de la Bastille revient Ă glorifier l’Ă©meute, le dĂ©sordre et le sang. Au SĂ©nat, les dĂ©bats sont houleux. C’est lĂ que le gĂ©nie politique des rĂ©publicains se dĂ©ploie. Le rapporteur de la loi au SĂ©nat, Henri Martin, prononce un discours dĂ©cisif oĂč il explique que le 14 juillet est une date double.
Il argumente : « N’oubliez pas que derriĂšre ce 14 juillet, oĂč la victoire de l’Ăšre nouvelle sur l’ancien rĂ©gime fut achetĂ©e par une lutte sanglante, il y a un autre 14 juillet, que je ne sais pas si vous qualifierez de jour de dĂ©sordre… C’est le 14 juillet 1790, le jour de la FĂ©dĂ©ration ». Cette ambiguĂŻtĂ© volontaire permet le consensus : les radicaux cĂ©lĂšbrent la rupture rĂ©volutionnaire de 1789, tandis que les modĂ©rĂ©s peuvent se rĂ©fĂ©rer Ă l’unitĂ© nationale de 1790. Chacun y trouve son compte.
La loi est finalement votĂ©e et promulguĂ©e le 6 juillet 1880, juste Ă temps pour la premiĂšre cĂ©lĂ©bration officielle quelques jours plus tard. Ce premier 14 juillet officiel est grandiose : il vise Ă montrer le redressement de la France aprĂšs la dĂ©faite de 1870. Sur l’hippodrome de Longchamp, on remet de nouveaux drapeaux aux rĂ©giments, symbolisant la reconstruction de l’armĂ©e rĂ©publicaine, prĂȘte Ă dĂ©fendre la patrie, mais soumise au pouvoir civil.
đ Un succĂšs populaire immĂ©diat
DĂšs 1880, la fĂȘte nationale rencontre un immense succĂšs populaire qui dĂ©passe les espĂ©rances du gouvernement. Dans toutes les communes de France, on organise des banquets rĂ©publicains, des jeux, des estrades pour les musiciens et des illuminations. Les Ă©coles sont au cĆur du dispositif : la distribution des prix scolaires est souvent couplĂ©e aux festivitĂ©s, ancrant l’idĂ©e que la RĂ©publique est indissociable de l’instruction publique.
C’est aussi Ă cette Ă©poque que se fixent les Ă©lĂ©ments traditionnels de la fĂȘte : les bals populaires (qui deviendront les fameux « bals des pompiers »), les feux d’artifice offerts par les municipalitĂ©s, et le pavoisement des Ă©difices publics et des fenĂȘtres des particuliers avec des drapeaux tricolores. La RĂ©publique descend dans la rue et s’approprie l’espace public, marginalisant progressivement les processions religieuses.
Cette rĂ©ussite marque l’enracinement dĂ©finitif du rĂ©gime : en cĂ©lĂ©brant le 14 juillet, les Français ne cĂ©lĂšbrent plus seulement le passĂ©, mais leur adhĂ©sion au prĂ©sent rĂ©publicain. Pour voir comment d’autres rituels consolident cette adhĂ©sion, tu peux lire l’article sur les rites rĂ©publicains.
đ Le dĂ©filĂ© militaire et les festivitĂ©s populaires
đ Le dĂ©filĂ© militaire : de Longchamp aux Champs-ĂlysĂ©es
L’Ă©lĂ©ment central de la matinĂ©e du fĂȘte nationale du 14 juillet est sans conteste le dĂ©filĂ© militaire. Contrairement Ă d’autres pays oĂč la fĂȘte nationale est purement civile ou festive, la France maintient une tradition martiale trĂšs forte. Cela s’explique par le contexte de la naissance de cette fĂȘte en 1880 : la France est obsĂ©dĂ©e par la perte de l’Alsace-Moselle et la nĂ©cessitĂ© de prĂ©parer la « Revanche ». L’armĂ©e doit ĂȘtre montrĂ©e, admirĂ©e et chĂ©rie par le peuple.
Initialement organisĂ© Ă l’hippodrome de Longchamp, le dĂ©filĂ© prend une toute autre dimension aprĂšs la PremiĂšre Guerre mondiale. Le 14 juillet 1919 est cĂ©lĂ©brĂ© comme la « FĂȘte de la Victoire ». Les marĂ©chaux Joffre et Foch dĂ©filent Ă cheval sur les Champs-ĂlysĂ©es, suivis par les « Gueules cassĂ©es » et les troupes alliĂ©es. C’est ce jour-lĂ que l’avenue des Champs-ĂlysĂ©es devient le théùtre traditionnel du dĂ©filĂ©, consacrant le lien sacrĂ© entre l’armĂ©e et la nation.
Le dĂ©filĂ© suit un protocole prĂ©cis : revue des troupes par le PrĂ©sident de la RĂ©publique (chef des armĂ©es), honneurs rendus, dĂ©filĂ© des avions de la Patrouille de France laissant leur panache tricolore, puis passage des rĂ©giments Ă pied, montĂ©s et motorisĂ©s. C’est une dĂ©monstration de force, mais aussi un outil diplomatique : inviter des troupes Ă©trangĂšres ou des chefs d’Ătat (comme en 1989 pour le Bicentenaire ou en 2017 avec Donald Trump) est un geste politique fort.
Pour en savoir plus sur l’organisation actuelle et l’histoire des unitĂ©s militaires prĂ©sentes, tu peux consulter les ressources du site du ministĂšre des ArmĂ©es, defense.gouv.fr, qui dĂ©taille chaque annĂ©e les unitĂ©s Ă l’honneur.
đ Les festivitĂ©s populaires : bals et feux d’artifice
Si la matinĂ©e est martiale et solennelle, la soirĂ©e du 14 juillet (et souvent la veille, le 13 au soir) est dĂ©diĂ©e Ă la fĂȘte populaire. Le bal des pompiers est une tradition incontournable, nĂ©e au dĂ©but du XXe siĂšcle. Les casernes ouvrent leurs portes, on y installe des buvettes et des orchestres, crĂ©ant une proximitĂ© unique entre la population et ses corps de sĂ©curitĂ© civile. Cette tradition perdure et reste trĂšs vivace, notamment Ă Paris.
Le feu d’artifice est l’autre grand pilier de la cĂ©lĂ©bration. HĂ©ritier des fĂȘtes royales de l’Ancien RĂ©gime, il a Ă©tĂ© dĂ©mocratisĂ© par la IIIe RĂ©publique. Il symbolise la joie collective et la lumiĂšre des LumiĂšres triomphant de l’obscurantisme. Dans presque toutes les communes, du petit village Ă la mĂ©tropole, le ciel s’embrase le 13 ou le 14 juillet. Celui de la Tour Eiffel Ă Paris est devenu un spectacle mondialement diffusĂ©, attirant des centaines de milliers de spectateurs.
Ces moments festifs ont une fonction sociale essentielle : ils favorisent le brassage social et gĂ©nĂ©rationnel. Le temps d’une soirĂ©e, les barriĂšres s’effacent dans une communion rĂ©publicaine festive, rappelant l’esprit (idĂ©alisĂ©) de la FĂȘte de la FĂ©dĂ©ration de 1790.
đ€ Un symbole vivant : enjeux contemporains et diplomatiques
đ Le 14 juillet comme miroir de l’Ă©tat du pays
La fĂȘte nationale du 14 juillet n’est pas un rituel figĂ© ; elle Ă©volue avec l’histoire et reflĂšte les crises ou les joies du pays. En 1936, aprĂšs la victoire du Front populaire, le dĂ©filĂ© du 14 juillet est immense et marque l’unitĂ© de la gauche antifasciste. Durant l’Occupation (1940-1944), cĂ©lĂ©brer le 14 juillet devient un acte de rĂ©sistance : les Français bravent les interdits de Vichy et des nazis pour dĂ©poser des gerbes aux monuments aux morts ou porter du tricolore, affirmant leur refus de la dĂ©faite.
Plus rĂ©cemment, le rituel s’est adaptĂ© aux nouvelles menaces et aux enjeux sociĂ©taux. En 2015 et 2016, aprĂšs les attentats terroristes, le 14 juillet a pris une gravitĂ© particuliĂšre, rendant hommage aux victimes et aux forces de l’ordre. L’attentat de Nice, survenu le soir mĂȘme du 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais, a tragiquement rappelĂ© que les symboles rĂ©publicains sont des cibles pour les ennemis de la dĂ©mocratie.
En 2020, lors de la pandémie de Covid-19, le défilé a été annulé dans sa forme traditionnelle pour la premiÚre fois depuis la guerre, remplacé par une cérémonie restreinte place de la Concorde honorant les soignants et les « héros du quotidien ». Cela montre la capacité de ce rite à intégrer de nouveaux acteurs de la cohésion nationale, au-delà de la seule sphÚre militaire.
đ Une vitrine de la France Ă l’international
Le 14 juillet est aussi un outil de « soft power ». Partout dans le monde, les ambassades de France organisent des rĂ©ceptions le 14 juillet, rassemblant la communautĂ© française et les amis de la France. C’est l’occasion de cĂ©lĂ©brer les valeurs universelles des Droits de l’Homme hĂ©ritĂ©es de 1789. L’image de la Tour Eiffel scintillante ou de la Patrouille de France fait le tour des tĂ©lĂ©visions mondiales.
Cependant, ce symbole peut aussi ĂȘtre contestĂ© ou questionnĂ©. Certains critiques s’interrogent sur la pertinence de maintenir un dĂ©filĂ© militaire motorisĂ© en plein Paris Ă l’heure de la transition Ă©cologique, ou sur le coĂ»t de ces festivitĂ©s. D’autres, plus politiques, questionnent encore parfois l’hĂ©ritage violent de 1789. MalgrĂ© ces dĂ©bats, l’attachement des Français Ă cette date reste trĂšs fort, comme en tĂ©moignent les foules qui se pressent chaque annĂ©e sur les Champs-ĂlysĂ©es ou dans les rues pour les feux d’artifice.
Pour explorer comment la France met en scÚne son histoire pour rayonner, tu peux lire les analyses disponibles sur le site vie-publique.fr, qui offre des éclairages sur le rÎle des commémorations dans la vie civique.
đ§ Ă retenir sur la fĂȘte nationale du 14 juillet
- La date commĂ©more officiellement deux Ă©vĂ©nements : la Prise de la Bastille (14 juillet 1789) et la FĂȘte de la FĂ©dĂ©ration (14 juillet 1790).
- C’est la loi du 6 juillet 1880, sous la IIIe RĂ©publique, qui institue dĂ©finitivement cette date comme fĂȘte nationale annuelle.
- Le choix de cette date est un compromis politique destinĂ© Ă unir les rĂ©publicains (attachĂ©s Ă 1789) et les modĂ©rĂ©s (prĂ©fĂ©rant l’unitĂ© de 1790).
- Le dĂ©filĂ© militaire sur les Champs-ĂlysĂ©es symbolise le lien entre l’armĂ©e et la Nation, tandis que les bals et feux d’artifice incarnent la liesse populaire.
â FAQ : Questions frĂ©quentes sur le 14 juillet
𧩠Pourquoi y a-t-il un défilé militaire le 14 juillet ?
Le dĂ©filĂ© militaire a Ă©tĂ© instaurĂ© dĂšs 1880 pour montrer que la France, aprĂšs sa dĂ©faite de 1870, avait reconstruit une armĂ©e puissante et rĂ©publicaine. Aujourd’hui, il sert Ă rendre hommage aux forces armĂ©es qui protĂšgent le pays et Ă prĂ©senter les Ă©quipements militaires aux citoyens.
đ§© Est-ce qu’on fĂȘte la prise de la Bastille ou la FĂȘte de la FĂ©dĂ©ration ?
LĂ©galement et historiquement, c’est une ambiguĂŻtĂ© volontaire ! Les textes de 1880 ne prĂ©cisent pas l’annĂ©e. Les rĂ©publicains radicaux voulaient cĂ©lĂ©brer 1789 (la fin de l’absolutisme), tandis que les conservateurs prĂ©fĂ©raient 1790 (l’union nationale sans violence). On fĂȘte donc l’esprit des deux.
đ§© Pourquoi fait-on des bals des pompiers ?
Cette tradition remonte au dĂ©but du XXe siĂšcle. Ă l’origine, les pompiers avaient le droit d’ouvrir leurs casernes pour montrer leur matĂ©riel et rĂ©colter des fonds pour leurs Ćuvres sociales. L’ambiance festive a transformĂ© ces portes ouvertes en bals populaires devenus incontournables.
