🧭 Empires ibériques en Amérique : conquête, colonisation et héritage

🎯 Pourquoi l’étude des empires ibériques en Amérique est-elle fondamentale ?

L’arrivée de Christophe Colomb aux Antilles en 1492 marque une rupture majeure dans l’histoire de l’humanité, inaugurant ce que les historiens appellent la « première mondialisation ». Les empires ibériques en Amérique, constitués par l’Espagne et le Portugal, ont non seulement redessiné les cartes géographiques, mais ont aussi bouleversé les équilibres démographiques, économiques et culturels à l’échelle planétaire. Comprendre cette période, c’est analyser comment deux monarchies catholiques ont bâti des systèmes coloniaux immenses, basés sur l’exploitation des ressources et une hiérarchie sociale complexe, dont les héritages résonnent encore aujourd’hui.

🗂️ Dans cet article, tu vas découvrir :

👉 Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre comment l’Espagne et le Portugal se sont partagé un continent inconnu.

🧭 Le partage du monde : Tordesillas et les premiers contacts

📌 La course aux Indes et le choc de 1492

À la fin du XVe siècle, l’Europe est en pleine ébullition intellectuelle et technique, cherchant désespérément de nouvelles routes commerciales vers l’Asie pour contourner le monopole ottoman et vénitien sur les épices. Le projet de Christophe Colomb, soutenu par les Rois Catholiques d’Espagne, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, repose sur une erreur de calcul : il sous-estime la circonférence de la Terre. Lorsqu’il débarque aux Bahamas le 12 octobre 1492, il est persuadé d’avoir atteint les « Indes » orientales. Cette découverte fortuite des empires ibériques en Amérique va déclencher une compétition féroce avec le Portugal, l’autre grande puissance maritime de l’époque, qui explore déjà les côtes africaines.

Le Portugal, fort de ses avancées technologiques dans la navigation (caravelle, astrolabe), ne compte pas laisser l’Espagne s’approprier seule les richesses potentielles de l’Atlantique. La tension diplomatique est à son comble. Le pape Alexandre VI, d’origine espagnole (Borgia), tente d’arbitrer le conflit par des bulles pontificales, mais le roi du Portugal, Jean II, exige un accord plus favorable. Cette rivalité initiale est cruciale pour comprendre la géopolitique future du continent américain, car elle pose les bases juridiques de la colonisation avant même que l’étendue des terres ne soit connue.

Il est important de noter que cette « découverte » est avant tout une rencontre, souvent violente, entre deux mondes qui s’ignoraient totalement. Pour les populations autochtones, les Taïnos des Caraïbes par exemple, l’arrivée de ces hommes barbus montés sur des « maisons flottantes » marque le début d’une catastrophe démographique sans précédent. L’Europe, quant à elle, entre dans une phase d’expansionnisme agressif, légitimé par la volonté d’évangéliser. C’est dans ce contexte de rivalité et de soif d’or que se dessine la première carte politique de l’Amérique coloniale.

📌 Le traité de Tordesillas : une ligne imaginaire pour diviser le monde

Pour éviter une guerre ouverte entre les deux puissances chrétiennes, l’Espagne et le Portugal signent le traité de Tordesillas le 7 juin 1494. Ce document est fondamental : il trace une ligne de démarcation imaginaire située à 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert. Toutes les terres découvertes ou à découvrir à l’ouest de cette ligne appartiendraient à l’Espagne, tandis que celles situées à l’est reviendraient au Portugal. C’est cette décision diplomatique qui explique pourquoi le Brésil parle portugais aujourd’hui, tandis que le reste de l’Amérique latine est majoritairement hispanophone.

Au moment de la signature, personne ne soupçonne l’existence de l’immense masse continentale sud-américaine qui dépasse la ligne à l’est. Lorsque le navigateur portugais Pedro Álvares Cabral touche les côtes du Brésil en 1500, officiellement par accident en cherchant à contourner l’Afrique, il revendique immédiatement ce territoire pour la couronne portugaise, conformément au traité. Le monde se retrouve ainsi coupé en deux zones d’influence exclusives, transformant l’océan Atlantique en un « lac ibérique » pour plus d’un siècle.

Cependant, ce partage est rapidement contesté par les autres puissances européennes émergentes, comme la France, l’Angleterre et plus tard les Provinces-Unies. Le roi de France, François Ier, demandera ironiquement à voir « la clause du testament d’Adam » qui l’exclut du partage du monde. Néanmoins, pendant les premières décennies du XVIe siècle, les empires ibériques en Amérique jouissent d’une avance considérable qui leur permet de structurer durablement leurs possessions sans véritable concurrence militaire directe sur le sol américain.

Pour visualiser l’impact de ces traités sur la cartographie mondiale, tu peux consulter les ressources de la Bibliothèque nationale de France, qui conserve des planisphères d’époque montrant cette division du monde.

⚔️ Conquistadors et effondrement des empires amérindiens

📌 Cortés et la chute de l’Empire aztèque

Après une première phase d’installation dans les Caraïbes (Hispaniola, Cuba), les Espagnols entendent des rumeurs sur l’existence de royaumes riches et puissants sur le continent. En 1519, Hernán Cortés débarque sur les côtes du Mexique actuel avec une petite troupe d’environ 500 hommes. Son expédition, initialement non autorisée par le gouverneur de Cuba, va devenir le modèle de la conquête espagnole. Cortés fait preuve d’une habileté politique redoutable : il comprend vite que l’Empire aztèque, dirigé par Moctezuma II, est une confédération fragile où de nombreux peuples soumis détestent la domination de Tenochtitlan.

En s’alliant avec les Tlaxcaltèques et d’autres ennemis des Aztèques, Cortés parvient à compenser son infériorité numérique. L’usage des armes à feu, des chevaux (animaux inconnus en Amérique) et des armures en acier procure un avantage psychologique et tactique certain, mais c’est bien la diplomatie indigène et les divisions internes qui sont décisives. L’arrivée des Espagnols coïncide aussi avec des prophéties religieuses aztèques, ce qui paralyse un temps la réaction de Moctezuma, qui accueille Cortés dans sa capitale avant d’être pris en otage.

Le siège final de Tenochtitlan en 1521 est un épisode d’une violence inouïe. La ville, une merveille d’urbanisme lacustre, est détruite pierre par pierre. Mais un allié invisible et terrible combat aux côtés des Espagnols : la variole. Introduite involontairement par les Européens, cette maladie décime la population aztèque, tuant peut-être 40 % des habitants de la ville pendant le siège. La chute de l’Empire aztèque marque la naissance de la Nouvelle-Espagne et prouve à Madrid que le continent regorge de richesses et d’âmes à convertir.

📌 Pizarro et la fin de l’Empire inca

Quelques années plus tard, le scénario se répète dans les Andes. Francisco Pizarro, un aventurier illettré mais ambitieux, arrive dans l’Empire inca (Tawantinsuyu) en 1532. L’empire est alors affaibli par une guerre civile de succession entre deux frères, Atahualpa et Huascar, et par les épidémies qui ont précédé l’arrivée des Espagnols. Lors de l’entrevue de Cajamarca, Pizarro capture l’empereur Atahualpa par surprise, malgré la présence de milliers de soldats incas, grâce à la terreur inspirée par la cavalerie et les arquebuses.

La capture de l’Inca, figure divine et centrale de l’État, désorganise totalement la résistance. Malgré le paiement d’une rançon fabuleuse (une pièce remplie d’or et deux d’argent), Atahualpa est exécuté en 1533. Pizarro marche ensuite sur Cuzco. Cependant, la résistance inca perdurera plusieurs décennies dans les montagnes (royaume de Vilcabamba), ne s’éteignant définitivement qu’en 1572 avec l’exécution du dernier empereur, Túpac Amaru. Cette conquête ouvre aux Espagnols l’accès aux plus grandes mines d’argent du monde, scellant le destin économique de l’empire.

Contrairement au Mexique et au Pérou, la colonisation portugaise au Brésil est plus lente et moins spectaculaire dans ses débuts. Il n’y a pas d’empires urbains centralisés à conquérir, mais des tribus semi-nomades (Tupis, Guaranis). L’intérêt du Portugal se porte d’abord sur l’exploitation du bois de teinture (*pau-brasil*), avant de se tourner vers l’agriculture. Les Portugais établissent des comptoirs côtiers, mais la pénétration vers l’intérieur des terres sera l’œuvre des Bandeirantes, des aventuriers chasseurs d’esclaves et chercheurs d’or aux XVIIe et XVIIIe siècles.

📌 Le choc microbien : une catastrophe démographique

Il est impossible d’évoquer les empires ibériques en Amérique sans parler de l’effondrement démographique des populations amérindiennes. C’est le phénomène le plus marquant de cette période. Isolées du reste du monde depuis des millénaires, les populations américaines n’ont aucune défense immunitaire contre les maladies apportées par les Européens et leurs animaux : variole, rougeole, grippe, typhus. Ces pathologies se répandent comme une traînée de poudre, précédant souvent les conquérants.

Les estimations varient, mais de nombreux historiens s’accordent à dire que près de 90 % de la population indigène a disparu en un siècle. Dans les Caraïbes, l’extinction est quasi totale en quelques décennies. Au Mexique central, la population passe d’environ 25 millions en 1519 à moins d’un million un siècle plus tard. Ce vide démographique aura une conséquence majeure : le manque de main-d’œuvre poussera les colonisateurs à organiser la déportation massive d’esclaves africains, liant ainsi l’histoire de l’Amérique à celle des empires coloniaux en Afrique.

⚙️ L’organisation politique et administrative des colonies

📌 Le contrôle espagnol : Vice-rois et Conseil des Indes

Une fois la phase de conquête militaire (la Conquista) achevée, la Couronne espagnole cherche à reprendre le contrôle sur les conquistadors, souvent trop indépendants et brutaux. Charles Quint et ses successeurs mettent en place une administration bureaucratique complexe pour gérer ces immenses territoires depuis Madrid. Au sommet se trouve le Conseil des Indes (créé en 1524), qui prépare les lois et nomme les fonctionnaires. Sur le terrain, l’immense empire est divisé en vice-royautés : la Nouvelle-Espagne (capitale Mexico) et le Pérou (capitale Lima) sont les premières, rejointes au XVIIIe siècle par la Nouvelle-Grenade et le Río de la Plata.

Le vice-roi est le représentant direct du roi : il vit dans un palais, tient une cour et dispose de pouvoirs étendus (militaires, administratifs, religieux). Cependant, son pouvoir est surveillé par les Audiencias (tribunaux royaux), qui ont aussi des fonctions administratives et peuvent recevoir les plaintes contre les fonctionnaires. Ce système de poids et contrepoids vise à empêcher toute velléité d’indépendance, mais il crée aussi une lourdeur administrative légendaire. La célèbre formule « Se obedece pero no se cumple » (On obéit mais on n’applique pas) résume bien la distance entre les lois édictées à Madrid et leur application réelle en Amérique.

Les villes jouent un rôle central dans cette organisation. Fondées selon un plan en damier (plan hippodamien) autour d’une place majeure (la Plaza Mayor) regroupant l’église et le palais du gouverneur, elles sont les foyers de l’hispanisation. C’est là que résident les élites espagnoles, tandis que les populations indigènes sont souvent regroupées dans des « républiques d’Indiens » séparées, avec leurs propres chefs (caciques) mais sous tutelle espagnole, pour faciliter le prélèvement du tribut et l’évangélisation.

📌 Le système portugais : Capitaineries et Gouverneur général

Au Brésil, l’organisation est initialement différente. Le roi du Portugal, manquant de ressources pour coloniser un territoire aussi vaste, opte en 1534 pour le système des capitaineries héréditaires. Le littoral est découpé en bandes horizontales confiées à des nobles (les capitaines-donataires) qui ont tout pouvoir pour développer, défendre et administrer leurs terres à leurs propres frais. C’est une forme de privatisation de la colonisation. Cependant, beaucoup de ces capitaineries échouent face à la résistance indigène ou au manque de capitaux.

Face à ces échecs, la Couronne portugaise reprend la main en 1549 en nommant un Gouverneur général installé à Salvador de Bahia, qui devient la première capitale du Brésil. L’administration portugaise reste toutefois plus souple et moins bureaucratique que celle de l’Espagne. L’autorité réelle réside souvent localement dans les mains des grands propriétaires terriens, les maîtres de moulins à sucre (senhores de engenho), qui exercent un pouvoir patriarcal absolu sur leurs domaines, leurs esclaves et leurs dépendants.

Les chambres municipales (Câmaras Municipais) constituent un autre lieu de pouvoir important au Brésil, où les « hommes bons » (propriétaires blancs) gèrent les affaires locales. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle, avec la découverte de l’or dans le Minas Gerais, que l’administration portugaise se renforcera considérablement pour contrôler la production fiscale, déplaçant au passage la capitale vers Rio de Janeiro en 1763 pour être plus près des zones minières.

💰 L’économie de la prédation : mines et plantations

📌 L’argent et l’or : moteurs de l’Empire espagnol

La soif de métaux précieux est le moteur principal de la colonisation espagnole. La découverte des gisements d’argent de Potosí (dans l’actuelle Bolivie) en 1545 et de Zacatecas (au Mexique) change la face de l’économie mondiale. Potosí devient rapidement l’une des villes les plus peuplées et les plus riches du monde. Pour extraire ce minerai, les Espagnols réactivent une institution inca, la Mita, un système de travail forcé rotatif qui oblige les communautés indigènes à fournir des contingents d’hommes pour les mines. Les conditions y sont infernales, et la mortalité effrayante.

L’argent extrait est fondu en lingots ou frappé en monnaie (les fameuses « pièces de huit ») et expédié vers l’Europe par la Carrera de Indias. Ce système de convois annuels, protégés par des navires de guerre, relie les ports américains (Veracruz, Carthagène, Portobelo) à Séville, qui détient le monopole du commerce via la Casa de Contratación. Cet afflux massif d’argent finance les guerres de l’Espagne en Europe mais provoque aussi une inflation importante sur le vieux continent. Une partie de cet argent part également vers l’Asie via le « Galion de Manille », reliant le Mexique aux Philippines, connectant ainsi les empires coloniaux en Asie au commerce atlantique.

📌 L’encomienda et l’économie agricole

Si les mines sont le joyau de la Couronne, la terre est la base de la richesse sociale. Dès le début, les conquistadors se voient attribuer des encomiendas. C’est un système où la Couronne confie un groupe d’Indiens à un colon (l’encomendero). Ce dernier doit les protéger et les évangéliser ; en échange, il perçoit le tribut que les Indiens doivent au roi, souvent sous forme de travail. Dans les faits, l’encomienda s’apparente souvent à un servage déguisé, entraînant de nombreux abus dénoncés par les religieux.

Progressivement, avec le déclin démographique indigène, l’encomienda perd de son importance au profit de l’hacienda, la grande propriété foncière orientée vers le marché intérieur (céréales, élevage). Ces immenses domaines marquent durablement la structure agraire de l’Amérique latine, créant une classe de grands propriétaires terriens très puissants face à une masse de paysans sans terre (les péons).

📌 Le cycle du sucre et l’esclavage au Brésil

Pour le Portugal, la richesse ne vient pas d’abord de l’or, mais du sucre. Le Brésil devient au XVIe et XVIIe siècles le premier producteur mondial de sucre. La plantation sucrière, ou engenho, est une structure économique complexe combinant agriculture et transformation industrielle (broyage de la canne, cuisson). Cette économie de plantation est extrêmement gourmande en main-d’œuvre. Les tentatives d’asservir les Amérindiens se heurtant à leur résistance, leur mortalité et à l’opposition des Jésuites, les Portugais se tournent massivement vers la traite négrière.

Des millions d’Africains sont déportés vers le Brésil (qui recevra environ 40 % de tout le commerce triangulaire) pour travailler dans les plantations de sucre, puis de café et dans les mines d’or. C’est le cœur du système des sociétés coloniales et économies de plantation. L’esclave est considéré comme une « chose » (meuble), un outil de production que l’on remplace quand il meurt d’épuisement. Cette économie repose entièrement sur la violence et la coercition, créant une société profondément inégalitaire et raciste.

🎨 Une société coloniale métissée et hiérarchisée

📌 Le système des castas : une obsession de la pureté

Les empires ibériques en Amérique donnent naissance à des sociétés inédites, marquées par un intense métissage biologique et culturel. Contrairement aux colonies anglaises d’Amérique du Nord où les populations vivent séparées, les Espagnols et Portugais (souvent des hommes venus seuls) s’unissent, de gré ou de force, avec des femmes indigènes ou africaines. Cependant, ce métissage ne signifie pas égalité. La société coloniale espagnole est obsédée par la « pureté de sang » (limpieza de sangre).

Une hiérarchie raciale stricte, la « société de castes » (sociedad de castas), se met en place. Au sommet trônent les Péninsulaires (Nés en Espagne), qui accaparent les hauts postes. Juste en dessous, les Créoles (blancs nés en Amérique) détiennent le pouvoir économique mais sont frustrés d’être écartés du pouvoir politique. Viennent ensuite les Métis (nés de père blanc et mère indienne), les Mulâtres (blanc et noir), les Zambos (indien et noir), et tout en bas, les Indiens et les esclaves africains. Au XVIIIe siècle, des séries de peintures (les « peintures de castas ») illustrent ces classifications avec une précision quasi scientifique, témoignant de l’anxiété des élites face à la dilution des barrières raciales.

Au Brésil, la hiérarchie est similaire mais peut-être plus fluide dans la pratique, bien que tout aussi brutale. La couleur de peau détermine le statut social : « l’argent blanchit », dit le dicton, signifiant qu’un métis riche peut parfois être considéré comme blanc. Cette stratification sociale laissera des traces profondes : aujourd’hui encore, les inégalités en Amérique latine sont fortement corrélées à l’origine ethnique.

📌 La condition des femmes dans l’empire

La place des femmes dans ces sociétés coloniales est déterminée par leur classe et leur race. Les femmes espagnoles et créoles de l’élite vivent dans un cadre patriarcal strict, souvent confinées à la sphère domestique, garantes de l’honneur familial et de la pureté du lignage. Le mariage est un outil d’alliance économique et sociale. Le couvent représente pour certaines une alternative au mariage, offrant un espace d’éducation et parfois d’autonomie intellectuelle, comme en témoigne la célèbre figure de Sor Juana Inés de la Cruz au Mexique, religieuse, poétesse et savante exceptionnelle du XVIIe siècle.

Pour les femmes indigènes, la conquête a souvent signifié violence et servitude, mais certaines ont joué des rôles d’intermédiaires culturels, comme la Malinche, compagne et interprète de Cortés. Les femmes esclaves africaines subissent une double oppression, de race et de genre, exploitées au travail et souvent victimes d’abus sexuels des maîtres. Cependant, dans les villes, certaines femmes métisses ou noires libres parviennent à acquérir une petite autonomie économique via le petit commerce ou l’artisanat.

✝️ L’évangélisation et le rôle ambigu de l’Église

📌 La croix et l’épée : justifier la conquête

L’Église catholique est omniprésente dans les empires ibériques. La conquête est officiellement justifiée par la nécessité d’évangéliser les populations païennes. Le pape a accordé aux rois d’Espagne et de Portugal le « Patronage royal » (Patronato Real), leur donnant le droit de nommer les évêques et de collecter la dîme en échange de l’organisation de l’Église en Amérique. L’évangélisation est donc une affaire d’État. Les missionnaires (Franciscains, Dominicains, Augustins) arrivent dès les premiers bateaux pour baptiser les Indiens, détruisant souvent leurs temples et leurs idoles considérées comme l’œuvre du démon.

Cependant, cette conversion forcée s’accompagne d’un phénomène de syncrétisme religieux. Les populations indigènes intègrent le Christ et la Vierge à leurs propres croyances. La Vierge de Guadalupe au Mexique, apparue selon la tradition à l’Indien Juan Diego sur une colline sacrée de la déesse aztèque Tonantzin, devient le symbole de ce christianisme métis et l’emblème de l’identité mexicaine. L’Église encadre toute la vie sociale, de la naissance à la mort, et gère les hôpitaux et l’enseignement (création d’universités dès 1551 à Mexico et Lima).

📌 Défenseurs des Indiens et Jésuites

L’Église n’est pas un bloc monolithique. Des voix s’élèvent très tôt contre la brutalité des colons. Le dominicain Bartolomé de Las Casas devient le « défenseur des Indiens », dénonçant les crimes de l’encomienda. Ses écrits influencent Charles Quint qui promulgue les « Nouvelles Lois » en 1542 pour protéger les indigènes (interdiction de les réduire en esclavage). La célèbre Controverse de Valladolid (1550) oppose Las Casas à Sepúlveda sur la question de savoir si les Indiens ont une âme et peuvent être civilisés sans force. Si Las Casas l’emporte moralement, la réalité de l’exploitation sur le terrain change lentement.

Les Jésuites jouent un rôle particulier, notamment au Paraguay et au Brésil, où ils créent des « Réductions » (missions). Ce sont de véritables cités utopiques où les Indiens Guaranis vivent protégés des chasseurs d’esclaves, travaillent en commun et pratiquent les arts (musique baroque) et la religion. Ce modèle, qui soustrait la main-d’œuvre indigène aux colons, suscite la jalousie et conduira finalement à l’expulsion des Jésuites des empires ibériques en 1767, marquant la fin d’une certaine protection pour ces populations.

🌍 Crises, réformes et héritages

📌 Les réformes bourboniennes et pombalines

Au XVIIIe siècle, les empires ibériques montrent des signes de faiblesse face à la montée de l’Angleterre et de la France. L’Espagne (passée aux mains des Bourbons) et le Portugal (sous l’impulsion du marquis de Pombal) lancent de vastes réformes pour rationaliser l’administration et augmenter les revenus fiscaux. On libéralise le commerce (fin du système rigide des flottes), on crée de nouvelles vice-royautés, on renforce l’armée et on expulse les Jésuites jugés trop puissants.

Si ces réformes réussissent économiquement (augmentation de la production d’argent et de produits agricoles), elles mécontentent profondément les Créoles. Ils se sentent exclus des postes de pouvoir, harcelés par le fisc et traités comme des sujets de seconde zone par rapport aux métropolitains. Ce ressentiment, nourri par les idées des Lumières et les exemples des révolutions américaine et française, prépare le terrain pour les guerres d’indépendance du début du XIXe siècle. Pour comprendre la suite de cette histoire, l’article sur les décolonisations offre un écho lointain mais pertinent aux mécanismes de rupture impériale.

📌 Mémoires et héritages aujourd’hui

La fin de la domination politique au XIXe siècle n’a pas effacé l’héritage colonial. La langue (espagnol et portugais), la religion catholique, et les structures agraires et sociales inégalitaires sont des legs directs de cette période. La question de la mémoire est vive aujourd’hui : doit-on célébrer les « découvertes » ou commémorer les résistances indigènes ? Les débats récents sur les statues de Christophe Colomb ou de conquistadors montrent que l’histoire des mémoires des empires coloniaux est toujours un champ de bataille politique et culturel.

🧠 À retenir sur les empires ibériques en Amérique

  • Le traité de Tordesillas (1494) partage le monde non européen entre l’Espagne et le Portugal.
  • La conquête des empires Aztèque (par Cortés) et Inca (par Pizarro) est rapide, violente et facilitée par le choc microbien.
  • L’économie repose sur l’extraction minière (Potosí) et les plantations (sucre au Brésil), nécessitant le travail forcé des Indiens et l’esclavage africain.
  • La société coloniale est une société de castes, hiérarchisée selon la race et l’origine (Péninsulaires vs Créoles).
  • L’Église catholique joue un rôle central de légitimation mais aussi parfois de protection (Las Casas).

❓ FAQ : Questions fréquentes sur les empires ibériques

🧩 Quelle est la différence entre un Péninsulaire et un Créole ?

Un Péninsulaire est un Espagnol né en Espagne (péninsule ibérique) envoyé en Amérique pour occuper des postes administratifs ou religieux importants. Un Créole est un blanc d’origine espagnole mais né en Amérique. Bien que riches, les Créoles étaient souvent écartés des plus hautes fonctions politiques, ce qui a nourri leur désir d’indépendance.

🧩 Pourquoi parle-t-on portugais au Brésil ?

C’est une conséquence directe du traité de Tordesillas de 1494. Ce traité a fixé une ligne de démarcation : les terres à l’est de cette ligne revenaient au Portugal. La pointe orientale de l’Amérique du Sud (le Brésil) se trouvait du côté portugais, d’où la colonisation par le Portugal et non par l’Espagne.

🧩 Qu’est-ce que l’encomienda ?

L’encomienda était un système juridique espagnol où la Couronne confiait (« encomendar ») un groupe d’Indiens à un colon. Le colon devait les protéger et les christianiser, et en échange, il avait le droit de percevoir leur tribut sous forme de travail ou de produits. C’était souvent un système d’exploitation proche de l’esclavage.

🧩 Quel a été l’impact des maladies européennes ?

L’impact a été catastrophique. Les Amérindiens n’avaient aucune immunité contre la variole, la rougeole ou la grippe. On estime que jusqu’à 90 % de la population indigène a disparu au cours du premier siècle de la colonisation, facilitant la conquête européenne et créant un besoin de main-d’œuvre comblé par la traite négrière.

🧩 Quiz – Empires ibériques en Amérique

1. En quelle année Christophe Colomb arrive-t-il en Amérique ?



2. Quel traité divise le monde entre l’Espagne et le Portugal en 1494 ?



3. Qui a conquis l’Empire aztèque ?



4. Quelle ville était la capitale de l’Empire inca ?



5. Quel est le nom de la mine d’argent la plus célèbre de l’Empire espagnol ?



6. Comment appelle-t-on le système de travail forcé rotatif dans les Andes ?



7. Quel produit agricole a fait la richesse du Brésil au XVIIe siècle ?



8. Qui est Bartolomé de Las Casas ?



9. Comment appelle-t-on les descendants d’Espagnols nés en Amérique ?



10. Quelle maladie a le plus décimé les populations amérindiennes ?



11. Quel navigateur a découvert le Brésil en 1500 ?



12. Quelle institution siégeant en Espagne gérait les colonies ?



13. Qu’est-ce que le métissage ?



14. Quelle ville a été construite sur les ruines de Tenochtitlan ?



15. Quel ordre religieux a fondé les « Réductions » au Paraguay ?



16. Qu’est-ce que la « Carrera de Indias » ?



17. Quel souverain aztèque a accueilli Cortés ?



18. Quelle était la principale justification idéologique de la conquête ?



19. Au XVIIIe siècle, quelles réformes tentent de moderniser l’empire espagnol ?



20. Quel terme désigne la période de conquête militaire espagnole ?



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