🎯 Pourquoi la Commission européenne est-elle le cœur du réacteur européen ?
Souvent qualifiée de gardienne des traités ou de moteur de l’intégration, la Commission européenne incarne l’intérêt général de l’Union au-delà des égoïsmes nationaux. Depuis ses origines modestes avec la Haute Autorité de la CECA jusqu’à la « Commission géopolitique » d’Ursula von der Leyen, cette institution supranationale n’a cessé de voir ses compétences s’élargir et se complexifier. Comprendre son fonctionnement, c’est saisir la mécanique intime de la construction européenne, là où se préparent les lois qui régissent le marché unique, la concurrence et désormais la réponse aux crises mondiales.
🗂️ Dans cet article, tu vas découvrir :
- 🧭 Des origines à la fusion des exécutifs : la naissance d’un pouvoir supranational
- ⚙️ L’âge d’or de Jacques Delors et la crise de la Commission Santer
- 📜 Composition et fonctionnement : comment sont choisis les commissaires ?
- 🎨 Le monopole de l’initiative et le pouvoir législatif
- 🌍 La gardienne des traités et le gendarme de la concurrence
- 🤝 Vers une Commission politique : défis démocratiques et avenir
- 🧠 À retenir
- ❓ FAQ
- 🧩 Quiz
👉 Poursuivons avec le premier chapitre pour bien comprendre le contexte de ce thème.
🧭 Des origines à la fusion des exécutifs : la naissance d’un pouvoir supranational
📌 L’héritage de la Haute Autorité de la CECA
Pour comprendre l’ADN de la Commission européenne, il faut remonter au tout début de la construction communautaire, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’ancêtre direct de la Commission est la Haute Autorité de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier), créée par le traité de Paris en 1951. Imaginée par Jean Monnet, qui en fut le premier président, cette institution était révolutionnaire car elle disposait d’un véritable pouvoir supranational. Contrairement aux organisations internationales classiques où les États gardent un droit de veto, la Haute Autorité pouvait prendre des décisions contraignantes s’imposant directement aux entreprises sidérurgiques et minières des six pays fondateurs. C’était la première fois que des États souverains acceptaient de déléguer une part de leur souveraineté à un organe indépendant pour garantir la paix et la prospérité commune.
L’idée centrale de Jean Monnet était de créer une administration technique, détachée des passions nationales, capable de définir l’intérêt européen. Les membres de la Haute Autorité ne représentaient pas leur gouvernement, mais la Communauté dans son ensemble. Ils prêtaient serment d’indépendance, une tradition qui perdure aujourd’hui pour les commissaires européens. Cette vision fonctionnaliste, où l’intégration économique précède l’intégration politique, a profondément marqué la culture institutionnelle de ce qui deviendra plus tard la Commission. Cependant, ce pouvoir très fort de la Haute Autorité a aussi suscité des méfiances, notamment en France, où le général de Gaulle critiquait ces « apatrides » qui décidaient à la place des États.
📌 Les Traités de Rome et la création de la Commission de la CEE
En 1957, les traités de Rome fondent la CEE (Communauté économique européenne) et l’Euratom. On crée alors deux nouvelles commissions : la Commission de la CEE et la Commission de l’Euratom. La structure change légèrement par rapport à la CECA : les États membres, soucieux de ne pas perdre trop de pouvoir, réduisent l’autonomie de la nouvelle Commission de la CEE par rapport au Conseil des ministres. Si la Commission conserve le monopole de l’initiative législative (elle seule peut proposer des textes), le pouvoir de décision finale revient davantage au Conseil, qui représente les gouvernements. Le premier président de la Commission de la CEE, l’Allemand Walter Hallstein, va néanmoins travailler d’arrache-pied pour consolider l’autorité de l’institution et faire avancer le marché commun.
Durant cette période, la Commission doit naviguer habilement. Elle doit proposer des politiques audacieuses pour supprimer les douanes et créer la Politique Agricole Commune (PAC), tout en évitant de braquer les capitales nationales. C’est l’époque de la mise en place de l’administration bruxelloise, souvent caricaturée par la suite comme une bureaucratie tentaculaire, mais qui est en réalité une administration de mission, composée de fonctionnaires d’élite recrutés dans tous les pays membres pour rédiger le droit communautaire. La vision de Walter Hallstein d’une « fédération inachevée » se heurte cependant à la vision confédérale du Général de Gaulle, ce qui conduira à la « crise de la chaise vide » en 1965, un moment clé où la France boycotte les institutions pour protester contre le passage au vote à la majorité qualifiée et le renforcement des pouvoirs budgétaires de la Commission.
📌 Le traité de fusion de 1965 : l’unification des exécutifs
Jusqu’au milieu des années 1960, il existait donc trois exécutifs distincts : la Haute Autorité de la CECA, la Commission de la CEE et la Commission de l’Euratom. Cette situation complexe nuisait à la cohérence de l’action européenne. Le traité de fusion des exécutifs, signé à Bruxelles en 1965 et entré en vigueur le 1er juillet 1967, a rationalisé cette architecture en créant une Commission unique des Communautés européennes. C’est la naissance de la Commission telle que nous la connaissons aujourd’hui, installée principalement au bâtiment Berlaymont à Bruxelles.
Cette fusion a permis de renforcer le poids politique de l’institution face au Conseil. Désormais, une seule équipe de commissaires gérait l’ensemble des dossiers, de l’acier à l’agriculture en passant par le nucléaire civil. Cela a favorisé une approche plus globale de l’intégration économique. Cependant, les années 1970, marquées par les chocs pétroliers et la stagnation économique (l’eurosclérose), ont été une période difficile pour la Commission, qui peinait à faire avancer de nouveaux projets face à des États membres repliés sur la gestion de la crise. Il faudra attendre le milieu des années 1980 pour que la Commission retrouve un rôle moteur de premier plan.
⚙️ L’âge d’or de Jacques Delors et la crise de la Commission Santer
📌 La décennie Delors (1985-1995) : le grand bond en avant
L’arrivée du français Jacques Delors à la présidence de la Commission en janvier 1985 marque le début d’une ère souvent qualifiée d’âge d’or de l’institution. Ancien ministre des Finances de François Mitterrand, Delors est un homme politique d’envergure qui arrive avec un projet clair : relancer la machine européenne grippée. Il comprend que pour avancer, il faut un objectif concret et mobilisateur. Ce sera l’achèvement du Marché unique à l’horizon 1993. Sous son impulsion, la Commission rédige le « Livre blanc » sur le marché intérieur, listant près de 300 mesures législatives nécessaires pour supprimer les barrières physiques, techniques et fiscales entre les États membres.
La méthode Delors repose sur un triptyque : une vision politique forte, une capacité technique irréprochable de ses services, et une négociation constante avec les États membres. Il parvient à convaincre les dirigeants de signer l’Acte unique européen en 1986, puis le traité de Maastricht en 1992, qui crée l’Union européenne et lance le projet de la monnaie unique, l’euro. Durant cette décennie, la Commission n’est pas seulement un secrétariat technique, elle est le véritable gouvernement économique de l’Europe. Delors incarne l’Europe sur la scène internationale, assistant aux sommets du G7. C’est la preuve que le poids de la Commission européenne dépend énormément de la personnalité de son président et du soutien politique dont il dispose au Conseil européen.
📌 La chute de la Commission Santer (1999) : la fin de l’impunité
Après le départ de Jacques Delors en 1995, le luxembourgeois Jacques Santer lui succède. L’ambiance change radicalement. L’intégration s’est accélérée, mais les citoyens et les parlementaires européens deviennent plus exigeants sur la transparence et la bonne gestion des fonds communautaires. La Commission Santer va être emportée par un scandale qui fera date dans l’histoire institutionnelle de l’UE. Des rumeurs de fraude, de népotisme et de mauvaise gestion circulent, notamment autour du commissaire français Édith Cresson, accusée d’avoir embauché un proche (son dentiste) comme conseiller scientifique sans qualification réelle.
Le Parlement européen, dont les pouvoirs de contrôle n’ont cessé de croître (tu peux approfondir ce point dans l’article sur le Parlement européen : d’une assemblée consultative à un vrai pouvoir législatif), menace de voter une motion de censure. Pour éviter l’humiliation d’une destitution formelle, l’ensemble du collège des commissaires, présidé par Jacques Santer, démissionne collectivement dans la nuit du 15 au 16 mars 1999. C’est un séisme politique. Pour la première fois, l’exécutif européen tombe sous la pression du contrôle démocratique. Cet événement marque la fin de l’ère technocratique intouchable et oblige la Commission à entamer une profonde réforme administrative pour garantir une meilleure éthique et une gestion plus rigoureuse.
📌 La reconstruction et l’élargissement avec Romano Prodi
Suite à la démission de la Commission Santer, c’est l’italien Romano Prodi qui prend les rênes de l’exécutif bruxellois (1999-2004). Sa mission est double : restaurer la crédibilité de l’institution et préparer le plus grand élargissement de l’histoire de l’UE, l’accueil des pays de l’Est en 2004. Prodi lance une vaste réforme interne menée par le vice-président Neil Kinnock, visant à moderniser les ressources humaines, la gestion financière et à instaurer une culture du résultat. On passe d’une administration de juristes à une administration de gestionnaires.
Sur le plan politique, la Commission Prodi joue un rôle clé dans la mise en circulation concrète de l’euro (les pièces et les billets en 2002) et dans la réussite des négociations d’adhésion avec dix nouveaux pays. Cependant, avec l’augmentation du nombre d’États membres, la Commission devient plus difficile à piloter. Le principe « un commissaire par État membre » commence à poser des problèmes d’efficacité, transformant le Collège en une assemblée pléthorique où il est difficile de dégager un consensus fort. Cette période prépare le terrain pour les débats sur la taille et la composition de la Commission, qui seront au cœur du traité de Lisbonne.
📜 Composition et fonctionnement : comment sont choisis les commissaires ?
📌 Le Collège des commissaires : un par État membre
La Commission européenne est dirigée par un collège de commissaires, qui fonctionne un peu comme un conseil des ministres national. Actuellement, il y a 27 commissaires, soit un par État membre de l’Union européenne. Ce principe, ardemment défendu par les petits États qui craignent d’être marginalisés sans représentant direct, a été maintenu malgré les tentatives de réduction prévues par les traités pour gagner en efficacité. Chaque commissaire se voit attribuer un portefeuille spécifique (Agriculture, Commerce, Concurrence, Transports, etc.) par le président de la Commission, mais les décisions sont prises de manière collégiale. Cela signifie que tous les commissaires sont responsables collectivement des décisions adoptées, même s’ils n’étaient pas d’accord lors des débats internes.
Il est crucial de comprendre que, bien que nommés par leur gouvernement national, les commissaires ne sont pas les ambassadeurs de leur pays à Bruxelles. Le traité sur l’Union européenne est formel : ils doivent exercer leurs fonctions en pleine indépendance, dans l’intérêt général de l’Union, et ne solliciter ni n’accepter d’instructions d’aucun gouvernement. Cette indépendance est le socle de la légitimité de la Commission. Bien sûr, la réalité politique est parfois plus nuancée, et les commissaires gardent souvent une oreille attentive aux sensibilités de leur pays d’origine, mais leur mandat impératif reste européen.
📌 Le processus de nomination et les auditions parlementaires
La formation d’une nouvelle Commission est un processus politique complexe qui intervient tous les cinq ans, juste après les élections européennes. Depuis le traité de Lisbonne (2009), le Conseil européen doit proposer un candidat à la présidence de la Commission en « tenant compte » des résultats des élections au Parlement européen. C’est ce qui a donné naissance au système du Spitzenkandidat (tête de liste), où les partis politiques européens désignent leur champion avant le scrutin. Une fois le président élu par le Parlement européen à la majorité absolue, les États membres proposent leurs candidats pour les postes de commissaires, en accord avec le président élu.
L’étape suivante est cruciale et souvent spectaculaire : les auditions devant le Parlement européen. Chaque candidat commissaire doit passer un « grand oral » de trois heures devant la commission parlementaire compétente pour son portefeuille. Les députés testent ses compétences techniques, son engagement européen et son intégrité personnelle. Ce n’est pas une simple formalité : le Parlement a déjà recalé plusieurs candidats (comme la Française Sylvie Goulard en 2019 ou l’Italien Rocco Buttiglione en 2004), obligeant les États concernés à proposer de nouveaux noms. Une fois toutes les auditions validées, le Parlement vote l’investiture de l’ensemble du Collège. Ce processus renforce la légitimité démocratique de la Commission, qui n’est plus seulement une émanation des gouvernements, mais aussi du vote des citoyens européens.
📌 L’administration : les Directions Générales (DG)
Sous l’autorité politique des commissaires travaille une administration permanente composée d’environ 32 000 fonctionnaires et agents contractuels. Contrairement aux idées reçues sur la « bureaucratie de Bruxelles », cet effectif est relativement modeste (comparable à celui d’une grande mairie comme Paris ou d’un petit ministère national) pour gérer les politiques de 450 millions d’habitants. L’administration est divisée en Directions Générales (DG) thématiques (DG AGRI pour l’agriculture, DG COMP pour la concurrence, DG ECFIN pour l’économie, etc.) et en services transversaux (Service juridique, Secrétariat général).
Les fonctionnaires de la Commission, souvent appelés les « eurocrates », sont recrutés par des concours très sélectifs (organisés par l’EPSO). Ils viennent de tous les pays de l’Union et travaillent principalement en anglais, français et allemand, les trois langues de travail de l’institution. Leur rôle est de préparer les propositions législatives, de mener les études d’impact, de gérer les programmes de financement (comme Erasmus+ ou Horizon Europe) et de surveiller l’application du droit de l’UE. C’est cette machine administrative qui assure la continuité de l’action européenne et fournit l’expertise technique nécessaire aux décisions politiques du Collège.
🎨 Le monopole de l’initiative et le pouvoir législatif
📌 Le droit d’initiative : le moteur législatif
Le pouvoir le plus emblématique de la Commission européenne est son quasi-monopole du droit d’initiative législative. Dans le triangle institutionnel de l’UE, c’est la Commission qui propose les lois (directives et règlements). Le Conseil de l’UE et le Parlement européen ne peuvent généralement pas rédiger de texte de loi de leur propre chef ; ils doivent attendre une proposition de la Commission pour ensuite l’amender et la voter. Cette prérogative est fondamentale : elle permet à la Commission de définir l’agenda politique et de s’assurer que les propositions défendent l’intérêt général européen plutôt que les intérêts particuliers d’un groupe d’États.
Avant de proposer un texte, la Commission mène de vastes consultations publiques et des études d’impact pour évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales de la future loi. Elle consulte les lobbys, les ONG, les syndicats et les autorités régionales. Une fois la proposition adoptée par le Collège des commissaires, elle est transmise aux colégislateurs (Conseil et Parlement). Pour comprendre le trajet complet d’une loi, tu peux consulter l’article sur la procédure législative ordinaire, qui détaille les navettes entre les institutions. Si le Conseil et le Parlement peuvent modifier la proposition, ils ne peuvent pas la dénaturer complètement sans l’accord de la Commission, qui peut, en dernier recours, retirer son texte si elle estime qu’il a été trop vidé de sa substance.
📌 L’exécution du budget et la gestion des fonds
Au-delà de la fabrication des lois, la Commission est l’organe exécutif qui gère le budget de l’Union européenne. C’est elle qui encaisse les ressources propres (droits de douane, part de la TVA, contribution des États) et qui effectue les dépenses. Elle est responsable de la bonne gestion financière des milliards d’euros investis chaque année dans les politiques communes. Cela concerne massivement la Politique Agricole Commune (PAC) et la politique de cohésion (aides aux régions les moins développées), qui représentent à elles deux une grande part du budget.
La Commission ne distribue pas l’argent seule dans son coin : elle travaille en « gestion partagée » avec les États membres pour la plupart des fonds structurels. Cependant, c’est elle qui vérifie que l’argent est utilisé conformément aux règles. Si elle détecte des irrégularités ou des fraudes, elle peut suspendre les paiements ou exiger le remboursement des sommes indûment versées. Ce pouvoir financier est un levier puissant. Récemment, avec le plan de relance NextGenerationEU post-Covid, la Commission a même été autorisée à emprunter massivement sur les marchés financiers au nom de l’Union, une révolution historique qui renforce son rôle de trésorier de l’Europe.
📌 Les actes délégués et la comitologie
Le pouvoir législatif de la Commission ne s’arrête pas à la simple proposition. Une fois les grandes lois adoptées par le Conseil et le Parlement, il faut souvent fixer les détails techniques d’application (par exemple, la liste précise des additifs alimentaires autorisés ou les normes techniques d’un moteur). Les législateurs délèguent ce pouvoir à la Commission via des « actes délégués » ou des « actes d’exécution ». C’est ce qu’on appelle la comitologie : la Commission prend des décisions techniques, assistée par des comités d’experts nationaux qui surveillent son action.
Ce pouvoir est souvent invisible pour le grand public mais il est essentiel au fonctionnement quotidien du marché unique. Il permet de réagir vite face à des évolutions technologiques ou sanitaires sans avoir à relancer une lourde procédure législative. Cependant, c’est aussi là que se cristallisent parfois les critiques sur le caractère technocratique de Bruxelles, car ces décisions, bien que techniques, peuvent avoir un impact concret important sur la vie des entreprises et des citoyens.
🌍 La gardienne des traités et le gendarme de la concurrence
📌 Le contrôle de l’application du droit (procédures d’infraction)
On surnomme la Commission la « gardienne des traités ». Sa mission est de veiller à ce que les États membres respectent le droit européen qu’ils ont eux-mêmes adopté. Si un pays ne transpose pas une directive dans ses lois nationales à temps, ou s’il viole une règle du marché unique (par exemple en discriminant les travailleurs étrangers ou en polluant une rivière protégée), la Commission a le pouvoir de le sanctionner. Elle lance d’abord une phase de dialogue (mise en demeure), puis émet un avis motivé.
Si l’État persiste dans l’illégalité, la Commission peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). C’est la procédure de recours en manquement. Si la Cour condamne l’État et que celui-ci ne se met toujours pas en conformité, la Commission peut demander à la Cour d’infliger de lourdes astreintes financières journalières ou des amendes forfaitaires. Ce pouvoir de contrainte est unique en droit international. Pour mieux comprendre le rôle des juges dans ce processus, je t’invite à lire l’article sur la CJUE, BCE et autres institutions : justice, monnaie et contrôle.
📌 La politique de concurrence : le pouvoir exclusif redouté
S’il est un domaine où la Commission dispose d’un pouvoir quasi-fédéral, c’est la politique de concurrence. La DG Concurrence (DG COMP) est l’une des plus puissantes de l’institution. Elle a le pouvoir d’interdire des fusions entre grandes entreprises si elle estime que cela créerait un monopole nuisible aux consommateurs (comme le refus de la fusion Alstom-Siemens en 2019, qui a fait grand bruit). Elle traque aussi les ententes illégales (cartels) et peut infliger des amendes record, se chiffrant en milliards d’euros, aux entreprises fautives.
Ces dernières années, sous le mandat de la commissaire Margrethe Vestager, la Commission s’est attaquée aux géants du numérique (les GAFAM). Elle a infligé des amendes historiques à Google pour abus de position dominante et a forcé Apple à rembourser 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux indus à l’Irlande. La Commission contrôle également les aides d’État : un gouvernement ne peut pas subventionner une entreprise nationale en difficulté sans l’accord de Bruxelles, pour éviter de fausser la concurrence avec les voisins. Ce rôle de « gendarme du marché » confère à la Commission une autorité redoutée par les multinationales et parfois critiquée par les États qui souhaiteraient plus de flexibilité pour soutenir leurs champions industriels.
📌 La représentation externe et la politique commerciale
La Commission européenne est aussi la voix de l’UE dans les négociations commerciales internationales. Puisque l’UE est une union douanière, les États membres ne peuvent plus négocier d’accords commerciaux bilatéraux. C’est la Commission qui reçoit un mandat du Conseil pour négocier au nom des 27 pays avec des partenaires comme les États-Unis, le Canada (CETA), le Japon ou le Mercosur. Elle siège également à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Ce rôle de négociateur unique donne à l’Europe un poids considérable : elle est la première puissance commerciale du monde. La Commission négocie les tarifs douaniers, les normes et l’accès aux marchés. Une fois l’accord négocié par la Commission, il doit être validé par le Conseil et le Parlement européen. Ce pouvoir s’étend aussi à l’aide au développement et à l’aide humanitaire, où la Commission gère l’un des plus gros budgets mondiaux pour soutenir les pays pauvres ou en crise. C’est un outil majeur du « soft power » européen.
🤝 Vers une Commission politique : défis démocratiques et avenir
📌 De Jean-Claude Juncker à Ursula von der Leyen
En 2014, Jean-Claude Juncker a déclaré vouloir présider une « Commission politique ». Fini l’image du secrétariat technique neutre : la Commission assume désormais de faire des choix politiques forts et de ne pas intervenir sur tous les sujets, mais d’être « grande sur les grandes choses et petite sur les petites choses ». Cette politisation visait à répondre à la montée de l’euroscepticisme et au reproche de technocratie. La Commission Juncker a ainsi géré la crise des migrants de 2015 et les négociations difficiles du Brexit, en défendant fermement l’intégrité du marché unique.
En 2019, Ursula von der Leyen a pris le relais en promettant une « Commission géopolitique ». Face à un monde plus instable (rivalité USA-Chine, agressivité de la Russie), la Commission cherche à utiliser ses leviers économiques pour peser stratégiquement. Le lancement du Pacte vert pour l’Europe (Green Deal) est l’exemple parfait de cette nouvelle ambition : transformer radicalement l’économie européenne pour atteindre la neutralité carbone en 2050, tout en imposant des normes environnementales aux partenaires commerciaux de l’UE. La Commission n’est plus seulement un régulateur de marché, elle se veut l’architecte d’un nouveau modèle de société.
📌 La gestion des crises : Covid-19 et guerre en Ukraine
Les crises récentes ont agi comme des accélérateurs de compétences pour la Commission européenne. Lors de la pandémie de Covid-19, alors que la santé n’est pas une compétence exclusive de l’UE, la Commission a centralisé l’achat de vaccins pour les 27 pays, évitant une concurrence fratricide entre États membres. Elle a aussi coordonné le certificat sanitaire européen et suspendu temporairement les règles budgétaires strictes pour permettre aux États de soutenir leur économie. C’était une démonstration de pragmatisme et de réactivité.
De même, suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, la Commission a réagi avec une rapidité inédite en proposant des paquets de sanctions économiques massives contre Moscou, en finançant des livraisons d’armes (via la Facilité européenne pour la paix) et en organisant l’accueil des réfugiés. Elle a également piloté la stratégie pour sortir de la dépendance au gaz russe (plan REPowerEU). Ces crises ont renforcé le leadership de la présidente de la Commission, qui est devenue, aux yeux du monde, le « visage » de l’Europe, parfois au détriment du président du Conseil européen, créant une certaine rivalité institutionnelle (le fonctionnement complexe de ce binôme est détaillé dans l’article Conseil européen et Conseil de l’UE : qui décide quoi ?).
📌 Le débat sur le déficit démocratique
Malgré ces évolutions, la question de la légitimité démocratique de la Commission reste posée. Ses détracteurs soulignent que les commissaires ne sont pas élus au suffrage universel direct, contrairement aux députés nationaux ou européens. Le terme de « technocrates non élus » revient souvent dans le débat public, notamment lors des référendums ou des élections nationales. Pour approfondir ce sujet sensible, tu peux te référer à l’analyse sur le déficit démocratique et réformes institutionnelles de l’UE.
Pour répondre à ces critiques, la Commission multiplie les efforts de transparence (registre des lobbys) et de consultation citoyenne. Le renforcement constant du contrôle par le Parlement européen est aussi une réponse : la Commission est politiquement responsable devant les élus des citoyens. Cependant, la tension entre une institution gardienne de l’intérêt général à long terme et des gouvernements nationaux soumis à des échéances électorales courtes reste une caractéristique structurelle de la construction européenne. L’avenir de la Commission dépendra de sa capacité à prouver aux citoyens qu’elle apporte une valeur ajoutée concrète (protection, prospérité, écologie) que les États seuls ne peuvent plus garantir.
🧠 À retenir sur la Commission européenne
- La Commission siège à Bruxelles (Berlaymont) et incarne l’intérêt général de l’UE, indépendamment des États membres.
- Elle possède le monopole de l’initiative législative : c’est elle qui propose les lois européennes.
- Elle est la gardienne des traités et peut sanctionner les États (infractions) ou les entreprises (concurrence).
- Elle a évolué d’une administration technocratique vers un organe plus politique (« Commission géopolitique » d’Ursula von der Leyen depuis 2019).
- Les commissaires (un par pays) sont nommés pour 5 ans et doivent être approuvés par le Parlement européen.
❓ FAQ : Questions fréquentes sur la Commission européenne
🧩 Quelle est la différence entre la Commission européenne et le Conseil européen ?
La Commission propose les lois et gère le quotidien de l’UE (pouvoir exécutif), tandis que le Conseil européen réunit les chefs d’État (Macron, Scholz, etc.) pour définir les grandes orientations politiques et les priorités stratégiques, sans voter les lois.
🧩 Qui élit le président de la Commission ?
Il est proposé par les chefs d’État (Conseil européen) en tenant compte des élections européennes, puis il doit être élu par le Parlement européen à la majorité absolue. C’est un processus double : nomination politique et validation démocratique.
🧩 La Commission peut-elle imposer une loi à la France ?
Non, la Commission propose seulement. Pour que le texte devienne une loi, il doit être voté et amendé par le Conseil de l’UE (les ministres des États membres, dont la France) et le Parlement européen (les députés élus). La France participe donc à la décision finale.
